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JESUS CHRIST

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du mot ; — de la gaucbe enOn, avec F. C. Bacr et la puissante école de Tubingue : Ed. Zeller, A. Hil-GBNFELD, O. Pfleidekeu, etc. C’esl encore l’inspiration hégélienne qui domine chez les rationalistes anglais et français : Ernest Rknax le reconnaît, et M. A. LoisY (qu’il ait ou non lu Hegel) le prouve.

Ces lignes d’orientation, toutes sommaires qu’elles soient, nous aideront à comprendre la façon dont les historiens protestants libéraux ou rationalistes présentent la personne et la mission du Clirist.Dans chacune de ces écoles (si écolesil y a ; disons plutôt : dans chacune de ces tendances) j’ai choisi deux écrivains qui mont paru plus représentatifs, soit à cause de leur importance, soit en raison delà netteté de leurs formules.

2. — Le Chrixt du Protestantisme libéral : Auguste Sabatier ; M. Adolphe Harnack.

147. — Celui qu’on a nommé avec un peu d’emphase

« le pape des protestants » et le plus grand

théoricien de la Réformation qui ait écrit depuis Calvin ; celui qu’on appellerait plus justement le père du modernisme en France, Auguste Sabatier, mort en igoj doyen de la Faculté de théologie protestante de Paris, a beaucoup écrit sur Jésus Christ. Le portrait qu’il en a tracé s’est modifié avec les années, à mesure que l’attitude générale de l’auteur s’orientait à gauche, dans le sens radical et rationaliste. Ses premiers écrits (Le témuignage de Jésus Christ sur sa personne, 1863 ; Jésus de.a : arelh, 186j) sont d’un croyant, et il fut choisi, de préférence à un candidat libéral, sur la recommandation de Guizot, en 1867, comme professeur adjoint de théologie dogmatique à la Faculté de Strasbourg. Dans le manifeste qu’il publia alors, il écrit :

{( Entre toutes les questions agitées pnrnii nous, la plus ^raye, la quostion vraiment décisive est celle qui concerne la personne de Jêsus-Glirisl. Jésus n’esl-il qu’un lioinme ? Alors, quelque grand qu’on le fasse, le chi-istiunismeperd sou cttrnctéte d’absolue vérité et devient une plii’osopbie. Si Jésus est le Fils fie Dieu, le christianisme reste une révélation. Sur ce point capital, après de longues et sérieuses réflexions, je tue suis rangé du ciMé des apôtres. Je crois et je confesse, avec saint Pierre, que Jésus est le Christ, le Fil » du Dieu vivant’. »

On ne pouvait mieux poser la question. Sabatier ne resta pas, malheureusement, (idèle à sa première réponse. Insensiblement, le rationalisme humanitariste envahit son esprit, et dans ses livres détinilifs il contreditformellement sa profession de foi initiale. C’est à ces ouvrages : Esquisse d’une Pliilosnphie de la religion d’après la psychologie et l’Iiisloire, Paris, 1896, et Les Religions d’autorité et la Heligion de l’Esprit^ Paris, i>osthume, igoS, que nous demanderons les éléments du portrait du Christ. C’est par ces livres en effet que Sabatier fut ce qu’il fut, et continue d’agir sur les esprits.

148. — Dans le dernier des ouvrages cités, qui est le testament de l’auteur, et expose sous leur forme la plus nette, et dans ses conséquences les mieux suivies, sa doctrine — la doctrine protestante libérale

— Jésus est représenté comme n’ayant été et voulu être, par sa personne et son exemple, qu’un initiateur, un maître, un excitateur dans l’ordre des choses religieuses. Prophète assurément, mais dans le sens (bien qu’à un degré supérieur et sublime) où les grands conducteurs d’hommes, et les grands génies furent des inspirés. Les déclarations et les revendications du Sauveur devraient conscquemment s’entendre comme des confidences, des effusions destinées

1. J’emprunte cette citation ii l’article du pasteur Eugène Lachkn.man.n sur Sabatier, dans la l’HE-^, XVII, l’JÛG. p. 278.

à faire valoir son enseignement, à le rendre plus pénétrant, plus elhcace.’Voyant Dieu son Père dans le miroir filial de la plus belle àræ qui fut jamais, conscient de le connaître et de l’aimer plus et mieux que ceux qui l’entouraient, indigné du rigorisme littéraliste que les Pharisiens imposaient aux hommes sous couleur de garder la Loi, sentant en lui-même une force et une ardeur capables de changer le monde, le Maître Nazaréen a pu sans blasphème dire ce que les évangiles lui font dire et prendre les attitudes qu’ils lui prêtent. Encore enfoncé par certaines de ses espérances et de ses ignorances dans le milieu juif de son temps et les illusions de sa race, Jésus s’en évada par l’esprit intérieur ; et le vol de son âme le porta au point le plus haut qu’un homme, lils d’homme, puisse atteindre. Il considéra la vie, en dépit des duretés qu’elle impose, de la t. rannie des forces matérielles qu’elle subit, de l’obsession du mal moral qui pèse sur elle, comme un don divin, dans lequel tous les hommes qui se mettraient à sa suite et referaient son expérience, pourraient communier. I’Jésus n’a été qu’un homme, mais l’homme dans le cœur duquel s’est révélé le plus complètement le cœur paternel de Dieu. »

149. — A côté de cette conception, qui rejoint au fond la conception rationaliste, dont elle ne se différencie que par le postulat inavoué de la perfection définitive, et inégalable, duSauveur, il faut placercelle du plus célèbre théologien protestant de l’Allemagne contemporaine. M. Adolphe IlvnNACK va beaucoup plus loin que Sabatier et, au rebours de celui-ci, toujours plus, dans le sens traditionnel. Il admet que, conscient dès le début de sa haute dignité personnelle, Jésus s’est donné (tout en gardant une sage et prudente économie) pour la voie, le médiateur unique entre Dieu et les hommes, pour le consolateur et le juge suprême de l’humanité.

« Persoime avant lui n’a connu le Père comme il le

ronnait, et il apporte aux hommes cette connaissance ; par là il rend « à plusieurs » un incomparable serice. Il les conduit à Dieu non seulement parce qu’il dit, mais encore ]>ar ce qu’il est, par ce qu’il f. lit, et enfin parce qu’il souffre,.. Il sait qu’il ouvie une ère nouvelle où " les petits » seront, par leur connaissance de Dieu, jilus gi-aiuls que les plus jjrands du temps passé… ; il sait qu’il est le semeur qui ré[)and la btmne semence à lui le champ, h lui la semence, à lui la moisson. Ce ne sont pas là des Iht’ories dogmatiques, en<-ore moins des transtoi-nialioiis de l’Evangile lui-même, c’est l’expression d’un fait, d’une réalité que Jésus voit naîtredéjà. Les aveu^^les voient, les boiteux marchent, les sourds entendent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres — par Lui. la lumière de ces expériences, il aperçoit au milieu même de la lutte, sous l’accablant fardeau de ha vocation, la gloire que le Père lui a donnée… Il est le chemin qui conduit au Père, et, comme l’Elu de Dieu, il est aussi le Juge’.))

Toutefois, et nonobstant ces magnifiques et uniques prérogatives, la personne même de Jésus n’est pas entrée, d’après le célèbre professeur de lîerlin.dans sa prédication faite au nom de Dieu : « le Père seul, et non le Fils, fait partie intégrante de l’F^vangile, tel que Jésus l’a prêché’-. » Il faut croire, pour être sauvé, à ce que dit le Fils : il n’est pas indispensable de croire au Fils.

150. — On reconnaît là cette fuyante philosophie ritschlienne, qui croit pouvoir se servir des choses et des hommes sans se prononcer, sans même s’engager à fond sur leur valeur réelle ; qui, à jamais découragée des certitudes rationnelles, héritière, à travers

1, Adolphe HAK^Al : K, L’Essence du citristianiame, Tr. fr. de 1907, p. 170-171 !.

1. Ihid., p. -&.