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JESUS CHRIST

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109. — On comprend maintenant peut-être les raisons de ce choix. Sur le fait même, il n’y a pas de contestation possilile. Tous nos évangiles, dans toutes leurs parties, Icmoignenl que Jésus se désignait haMliuUenient par ce nom : on le lit 30 fois dans saint Matthieu, lïfoisdans saint Marc, 15 fois dans s.iinlLuc, Il (ou 12) fois dans saint Jean. Chose plus élrange, et quimonlreavec quelsoin les évangcïistes nous ont conservé le langage véritable employé par le Maître, sans le traduire en celui de leur temps, ce titre ne se trouve plus dansles écrits apostoliques (sauf en deux passages de l’Apocalypse : i, 13 ; xiv, 14, et dans une parole du martyr Etienne, rapportée par les.<c/es, vii, 56).Susccplil)le d’être mal interprété dans les milieux helléniques’, ou trop dillicile à expliquer aux fidèles venus de la gentilité, le nom tomba de lui-même, laissant place à une désignation plusclaire de la dignité qu’il était destiné à couvrir — comme ces gaines subtiles qui protègent en hiver les bourgeons des arbres et tombent, leur rôle accompli.

110. — Lesprécautionsauxquellesrépond, pourune part, l’emploi du nom de « Fils de l’homme », semblent tovitefois avoir été moins rigoureuses au début de la prédication. Devant un auditoire simple et religieux, parfois jusqu’à l’enthousiasme, et dont la grande majorité cherchait vraiment la lumière et désirait d’entrer dans le Royaume de Dieu, le Mai-Ire parlait et s’affirmait plus librement. Il importait d’ailleurs de fixer, en leur donnant des assurances, les hommes de bonne volonté. Peu à peu cependant, l’obstination des masses dans leur rêve de messianisme grossier devint manifeste ; il se forma, d’autre part, un groupe de pharisiens jaloux et fanatiques, foyer d’une opposition irréductible et systématique. Les paroles de Jésus étaient faussées, ses œuvres divines attribuées au malin : à cette inexpiable haine répondit une retenue plus grande. L’économie de la manifestation messianique s’accentua : les recommandations de juste prudence : « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, ne jetez pas vos perles devant les pourceaux » (Mat., vii, 6), s’appliquèrent de plein droit. De là, dans la conduite de l’œuvre du salut, une attitude de réserve beaucoup plus nette, et qui parut nouvelle.

Touslosévangélistes ont enregistré ce changement, étrange au premier abord, et l’ont justifié par les prophéties anciennes. La substitution, à l’enseignement plus clair et plus accessible, dont une partie imposante est groupée dans le Discours sur la montagne ^, de l’enseignement <( en paraboles », enveloppé, relativement énigmatique, donne en elfet aux.Synoptiques occasion de rappeler les paroles redoutables d’Isaïe- :

Va, et tu diras à ce peuple :

Ecoutez, et ne comprenez pas !

Voyez et ne connaissez pas ;

Endurcis le ca-ur cîe ce peuple.

bouche ses oreilles,

ferme ses veux.

Que de ses yeux il ne voie ni n’entende de ses oreilles,

que son cn-ur ne comprenne pas ;

qu’il ne soit pas guéri une nouvelle fois !

111. — Il serait contraire au caractère de la mission du Christ, tel qu’il ressort à l’évidence de la lecture des évangiles, contraire aux exemples et aux

1. Fr. Tll.LMANN, Ofr Menschensohn, p. 169 sn.

2. On sait que nombre des paroles réunies là pur saint Multhieu sont distribucespar les deux autres Synoptiques dans des contexte » diiîérents qui font plus d’état, semblct-il, de l’ordre chronologique.

3. Isaïe.w, 9-11 ; Trad. Kh. CosVkyuti.U Livre d’isaie. p. 4 ; i.’Tome II.

leçons du Maître, contraire au génie même de la langue hébraïque et surtout prophétique, de presser ces menaces au point d’y voir une annonce exclusive de châtiment, et un décret formel d’aveuglement. Pour bien les entendre, il faut se rappeler comme elles sont amenées, et examiner les applications qu’en fit Jésus à son enseignement* :

Et quand il unira qu’il fut seul, ceux qui l’cnlunraienl avec les Douze, l’interrogeaient louchant la parabole [du semeur]. Et il leur dit : « A vous il est donné de connaître le mystère du Royaume de Dieu ; mais pour ceux-ci, ceux du dehors, tout advient en paraboles, de façon que’- :

regardant ils regardent et ne voient pas, et écoutant ils écoutent et n’entendent pas, de crainte qu’ils se convertissent et que leur soit

[remis leur péché].

lis — Le terme flnal : aveuglement et perte, est ici énoncé à la manière hébraïque, comme l’objet d’une intention positive de Dieu. Les distinctions délicates auxquelles nous habitua une analyse plus profonde de la causalité divine, entre ce que Dieu veut positivement, et ce qu’il permet, n’avaient pas alors d’expression dans les langues sémitiques. Tout ce qui arrivait, arrivait parce que Dieu l’avait ainsi décidé et décrété. Mais l’histoire nous donne le moyen d’interpréter ici avec certitude renonciation prophétique. Après comme avant cette déclaration, Jésus se défendit constamment d’avoir une doctrine ésotérique (Jo., xviii, 19-22). La différence soulignée ici entre le cercle privilégié et ceux « du dehors » porte moins sur la matière ou sur l’accessibilité générale, que sur l’intelligence exacte et détaillée de l’Evangile. Bon nombre de paraboles oflrenl, au-dessus du sens profond, encore enveloppé pour la foule, une signification fort claire, très utile à tous les écoutants. De même qu’en refusant aux exaltés et aux fourbes les prodiges cosmiques, les « signes dans le ciel » qu’ils réclamaient, le Maître ne laissa pas de multiplier les signes de sa toute-puissante bénignité, ainsi la prédication du Royaume de Dieu, dont la simplicité déroutait la sagesse toute humaine des scribes, dont la sévérité déconcertait les ambitions du vulgaire, n’en continua pas moins, par sa

1. Je cite saint Marc, iv, 10. Sur les divergences modales du texte des divers évangélistes (Mt., xiii, 10 sqq. ; £, f., Ti II, 9 sqq.l et le contexte historique, voir D. BizT./nirodiiclion aux Paraboles évangc’.iques, Paris, 1<.I12. p. 233-S6. — Saint Je, -m, xii, , ’î7-40 rappelle à son compte les paroles d’Isaïe et les applique aux miracles de Jésus. On sait que saint Paul appliqua les n^èmes prophéties à l’endurcissement d’une partie des Juifs de Rome, Act.. xxTiii, 24-27.

2. Sur le sens de’^o. (hebr. pen ou le m a’an) voir CoN-DAMI. N, le Lifre d’/saïe. p. 45, 46, et D. Blzy, lib. laud., p. 286 sqq. On trouvera dans cette exrellente monographie une étude complète des textes et de leur inlerprctalion patristique. Sur le but des paraboles, on a beaucoup discuté naguère, non seulement entre exégètes cnlho’iques et libéraux, à la suite des ouvrages d’Ad. Juliciieb. Die Gleichnisredrn Jtsu. Tiibingen, i-, 1899, H, 1899, que M. Alfred LoisY a popularisés en France, Etudes rvaiigéliques. Pari », 1902 (contre, C. A. Bigce, Die Haupl-Parabeln Jesii, Giessen, 190, 1 : adaptation d’un ouragc danois antérieur) ; — mais aussi entre savants catholiques. On peut voir les nuances de leurs opinions dans Die Parabeln des Herrn =, du P. Léopold Fonck, Innsbruck, 1909, p. 19-.’Î6 (accentue le but de punition et de réprobation, après Maldonat et Knahe.nbauir ; M. J. Laoramie. /.c Ai/< des Paraboles dans saint Marc, Hefue Biblique, janvier 1910, résumé et complété dans Evangile selon saint Marc, Pari », 1911. p. 96-103 (accentue d’après les anciens Pères et surtout S. Jean Chrysostome, le but. au moin.s partiel, d’instruction « t de miséricorde) ; Alfred Duram). Pourquoi le Christ a-t-il parle en paraboles ? Dans Etudes, 1906, II, p. 756 sqq., et D. BuzT, tib. laud. (plus éclectiques).

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