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JESUS CHRIST

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de partager l’impression formulée par un groupe de Juifs impatients : <i Jusques à quand licndras-tu notre esprit en suspens ? Si tu es le Clirist, dis-nousle franchement 1 » (/o., x, a^).

100. — Deux raisons d’importance inégale(et dont la première n’est pas d’ailleurs indépendante de l’autre) s’opposaient à cette manifestation ouverte. <^)u’on se souvienne des traits par lesquels ont été caractérisés plus haut les Hérodiens d’une part, d’autre part les Zélotes. Qu’on se rende présente la situation politi()ue de la Palestine. Dans ce milieu divisé, où le mot d’ordre des uns, opportunistes et timorés, était « Pas d’all’aire avec Rome ! » — où l’attente liévreuse des autres escomptait la venue du Uoi guerrier qui devait a bouter » les Gentils hors de la Terre sainte, une revendication messianique éclatante eût suscité des craintes et surexcité des espoirs, amené des oppositions et répressions violentes que Jésus ne voulait pas déchaîner avant l’heure providentielle, et qu’il n’entrait pas dans sa mission de briser à coup de miracles. Même avec les tempéraments qu’il adopta, le Maître dut se soustraire plus d’une fois à l’enthousiasme indiscret des foules. Ne parlait-on pas de le prendre et de le proclamer roi ? (/o., VI, 15 ; cf. Mc, vii, 24 i ix, 30 >’-c., XIII, 31 sqq ; Jo., vii, 6 ; x, 28, a/).)

loi. — Moins encore Jésus voulait-il et pouvait-il accepter d’incarner en sa personne une idée du Royaume de Dieu et du Messie, son instrument élu, à ce point faussée et déformée que les traits prophétiques y devenaient méconnaissables. Loin d’amender une conception pareille, la présence de traits authentiques la rendaient en un sens plus nocive. AlTermie, illuminée par cette âme de vérité, la nuée du messianisme apocalyptique et guerrier prenait ainsi une consistance et un air de grandeur épique.

IjB Messie ! — Il serait le Roi, (ils de David, lieutenant de lahvé dans la lutte finale contre les Nations. Nouveau Macchabée, nouvel Hyrcan, le Héros délivrerait Jérusalem, et ferait de la Ville sainte la capitale d’un monde régénéré, plantureux à merveille, où les Juifs (idèles seraient servis à genoux par ces Gentils arrogants ! Figure populaire, dont la seule pensée mettait en branle, avec tout ce qu’un Israélite considérait comme sacré : la Loi, le Temple, la Cité sainte, — l’orgueil deraceetl’esprit de lucre, l’instinct de la justice et le ressentiment du joug étranger.

Le Messie ! — D’autres enthousiastes, dont les descriptions trouvaient également créance, se le représentaient comme un Etre mystérieux, surhumain, apparaissant soudain — venu on ne sait d’où — sur les nuées du ciel, annoncé par des signes inouïs, lieutenant delalivé pour le grand Jugement, inaugurant le Royaume à force de prodiges. Par lui s’exercerait toute justice : sur Israël, réuni, privilégié, comblé ; sur les Gentils, soumis, convertis ou anéantis. Noble effigie assurément, mais vague, indéterminée, fantastique, sur laquelle l’esprit qui crée les mythes avait projeté ses lueurs bizarres.

102. — Les deux conceptions, qu’on vient de présenter diirérenciées, s’amalgamaient en proportions fort diverses et formaient, dans l’imagination et l’intelligence des auditeurs de Jésus, une l>arre opaque contre laquelle risquait de se briser, ou de se fausser, son enseignement. Ces traits ne s’effacèrent que très lentement, nous le savons, de la mémoire des plus fidèles disciples, dont l’inintelligence constatée résonne, comme un refrain triste, à travers les évangiles. Les apôtres eux-mêmes se ressentaient de cet état général des esprits, et l’espérance messianifiue (pi’ils nourrissaient comportait, avec d’étranges lacunes sur le rôle du Messie souffrant et rédempteur, bien des parties démesurées, trop humaines, bien

des illusions dontils eurent grand’peine à se détacher (J/ ;., xii, 46 sqq. ; XVI, 22 ; xx, 20-29 ; Âct., l, Ci ; etc.). Le récit des tentations du Maître fournit un éloquent témoignage des attraits que l’éclat <lu messianisme charnel exerçait alors, au jugement du tentateur, sur les meilleurs des fils d’Israël.

103. — Dans ces conditions, une revendication injmédiate et publique du titre de Messie (en plus des dangers qu’elle eût fait courir avant l’heure à la personne du Maître) aurait eu pour effet d’autoriser, et de rendre indéracinable l’erreur commune sur la nature et les destinées du Règne de Dieu. Chacun eût reporté sur ce Messie l’image qu’il s’en était forgée, et l’eût contemplé à travers le prisme de ses espérances vaines.

C’est pourquoi, fidèle en cela même à la conception du Royaume qu’il devait décrire dans les paraboles (lu levain et du grain de sénevé, Jésus adopte, dans l’exposition de son message, une sévère économie et une prudente lenteur. Il commence par inspirer aux hommes de bonne volonté, touchés déjà par la prédication du Baptiste, cette inquiétude, ce trouble fécond, cette componction, cette faim et cette soif de la justice qui devaient, selon les Ecritures, marquer l’aurore et commencer les conquêtes du Règne de Dieu. C’étaient là des conditions indispensables à l’intelligence, au goût, à l’acceptation de l’Evangile. Cependant, et dès le début de son ministère, le Maître pratique les œuvres de bonté, de délivrance et de puissance prédites par les grands prophètes. En face de ces œuvres, les mots d’André à Pierre devaient spontanément monter aux lèvres de ceux qui attendaient, en droiture etsimplicité, l’espérance d’Israël :

« Nous avons trouvé le Messie ! » (Jo., i, 41.) Respectueux

de la Loi qu’il pousse à son terme en l’accomplissant, mettant l’esprit en liberté par la ruine des surcharges littérales, d’origine humaine, qui rendaient insupportable le joug des scribes, Jésus laisse les faits parler pour lui ; il évite les promulgations prématurées, repousse l’hommage indigne des mauvais esprits, éprouve la foi naissante’, et mêlée de scories trop humaines, des disciples.

104. — Le Maître avait besoin, pour cette reuvre, d’un nom qui le désignât sans le compromettre, qui aiguisât les esprits sans les fourvoyer, et dont le caractère messianique fût réel sans être [irovocant. Nous savons par les évangiles qu’il adopta le nom de « Fils de l’homme » (i u>i ; ’^oJxyOpùT : ’-yu ; aTani., Bariiacha ) 2.

1. II Taut notci’à ce propos que les protestations les plus sincères, telles que le cri de joie d’André : « N’ons iivons trouvé le Messie !)) (Jo., 1, 41) ou la protestation des disciples voyant Jésus niaiclier sur les eaux : (’Vraiment vous êtes le’Fils de Dieu ! » (Ml., xiv, SS), ne sont pas incompatibles a^ec des reprises, des incertitudes, des doutes postérieurs. Il est d’une psychologie puérile d’opposer ceux-ci à celles-là. Ces alternativps sont au contraire hautement vraisemblables et saint Thomas note fort bien à ce propos : (i Dicendum quod in discipulis Christ ! nolatur quidam lidei profectns, ut primo eum venerorenliirquesi hominera sapientem et magistrum [un prophète ? ([ui sait, le Messie en personne ?…] et postea ei intenderent ipiasi Dco doconli. i) De Veriiate, q. xi, art. 3, ad 8’"".’2. Ce titre pose le problème ppul-èire le plus complexe de l’étude du Nouveau Testiimonl. I.a question a été traitée récemment, du point de vue philolo} ; ique, par Libtzmann, Der Menschensnhn. Freiburg i. B.. IS’.'fi, à la concluiiion radicale duquel a fini par se rallier J. Wei.i.hmskn (depuis 18’.in : Shi :-ev und Vorarheiieii, III, lîerlin, et dan » ses brefs Commentaires sur les Synoptiques, Berlin, V.W.11 !)(i, -, ). _et beaocoup plu » judicieusement par G. Dai-MAX, nie Wvrte Jrsu. Leipzig, 1908, p. 191-220, et Paul Fiebig, Drr Mensr/ienso/in, Tiibingpn. 1901.

Parmi les travaux catholiques, je signa’erai d abord le