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JESUS CHRIST

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regret à l’insistance de celui dont la grandeur unique ne lui échappait pas. C’est à Jean encore que nous lierons de connaître l’intervention miraculeuse de Dieu désignant le nouveau baptisé comme son Fils bienaimé. Dès lors, le prophète ne cessa plus de rendre témoignage à 1’  « Agneau de Dieu ». Il suggéra, ou Ut converger sur lui les titres les plus magnifiques. De sa prison même, il dépêchera au Maître, pour obtenir de lui une déclaration explicite, plusieurs de ses disciples restés fidèles.

96. — Cependant, après son baptême, et tandis que Jean achevait une carrière dont il est impossible de fixer la durée exacte, mais qui fut moins courte qu’on ne l’imaginerait sous l’impression d’une lecture superficielle des évangiles, Jésus ne regagna |)as immédiatement Nazareth. Suivant une inspiration d’en haut, il alla se préparer, dans l’une des régions désertes qui avoisinent le Jourdain, à renil )lir la place que Jean refusait d’usurper. Ce que fut cftle longue retraite de quarante jours, les évangélistes nous le laissent entendre plus qu’il ne nous le disent. Jésus pria, jeûna, suivant à son tour la grande tradition des prophètes d’Israël. Un fait ressort à l’évidence du récit des Synoptiques : c’est que l’Esprit malin tenta de faire dévier, vers un messianisme cliarnel et voyant, la volonté de celui dans lequel il pressentait un redoutable adversaire. Mais le tentateur redoubla en vain ses prestiges. En vain voulut-il profiter de la faiblesse d’un pénitent exténué par le jeune ; en vain fit-il passer devant l’imagination de Jésus les images les plus troublantes pour une grande àme. Les sentences scripturaires qui rappelaient à tout Israélite fidèle la primauté de la vie de l’esprit et le souverain domaine de lahvé, suffirent à déjouer ces attaques, et le Fort armé s’éloigna ])our un temps. Ce qu’il faut retenir ici de cet épisode, dont tel ou tel détail demeure mystérieux, c’est que dès cette époque la question messianique fut posée devant Jésus.

97. — L’emprisonnement de Jean Baptiste laissa peu après tout le champ libre au Maître Nazaréen. Venant donc en Galilée, il se mit à y prêcher la pénitence et l’approche du Règne de Dieu.

Jésus avait alors trente ans, à peu près. On le croyait fils de Joseph, un charpentier de Nazareth. .Sa mère Marie, ses « frères et sœurs > — cousins et parents proches, que l’usage du paj’S permettait, et que la langue araniéenne alors parlée en Judée força il souvent d’englober sous ce titre’— étaient connus

t. Dans son excellente dissert.-ition sur « les Frères du Seigneur » [Etnin^iU selon saint Marc^ Paris, 1911, p. 72-90), le P. La( ; rangk fait observer que l’expression reçue dans la chrélienté primilive, et désignant un ^^roupe particuculier, de « Frt’res du Seigneur, r^i vZù.yÀ r^O Ivjct’su », est la traduction grecque d’une expression araméenne. Or, en araméen comme en liébreu, le mot fi-ère : ni » (aram., alla) signifie certainrmenl, non seulement frère au sens propre, de père et de mère, mais demi-fi-èro, de père oit de mère, et encore proche pai-ent : cousin germain, neveu. (( Abraham di Là Lot : << Puisque nous sommes frères >. |GeH., xiii, 8.) Or’Lot était son neveu. Labaii dit à Jacob : c Puisque nous sommes frères » (Gen, , xiv, 14, IG). Or Jacob était son lïcveu. Eléazar et Keis sont frères : Elèazar ne laisse que <Ies filles : elles sont épousées pai’les fils de Keis. « leurs frères » (I /’aral.^ xxiii, 21, 22) ; ici les frères son Ides cousins germains. Aj>rès la mort de Nadal) et d’Abiu, Moïse… dit aux fils d’Oziel : « Eidevez le corps de vos frères n (/.fc., X, 4), c’est-à-dire de vos cousins… [nombreux autres exemples]. I ! faut noter que, ni l’hébreu, ni l’ararnéen ne possédant de mot pour dire « cousin », le terme de fr-èi-e s’imposait dans fiien des cas… Le mot de frère était tout à fait indispensable pour indiquer un groupe de cousins d’origine difTérenle. Il est donc certain que si Jésus avait des cousins, et surtout s’ils n’étaient pas nés de la même mère, on ne pouvait, en arainéen, les appeler autrement que

des gens de Galilée, et nous savons les noms de plusieurs. A cette époque, les épisodes de l’enfance’du nouveau prophète étaient ignorés du public : sa mère conservait dans son cœur le souvenir de ces choses admirables. Joseph avait disparu. C’est donc avec la seule autorité que lui conféraient l’appel divin et le témoignage du Baptiste, que le jeune Maître galiléen commenta d’annoncer la Bonne Nouvelle. Il le fit dans le milieu déjà ébranlé par la prédication de Jean et en adoptant les formules de ce dernier (aussi bien, elles étaient traditionnelles). Mais il ne se donna pas pour le continuateur du prophète qui lui avait préparé les voies, et en particulier il semble qu’il laissa bientôt tomber, dans la pratique de son ministère personnel, le baptême figuratif auquel il s’était lui-même soumis^.

98. — Dès le début, en effet, Jésus mêla sa personne à son œuvre. Le témoignage qu’il se rendit, et que nous allons tenter d’exposer, date des premiers jours du ministère galiléen. A s’en tenir à l’histoire, on peut dire qu’il est impossible de précisercomment, j et à quelle époque, la conviction qu’il était le Messie s’imposa à la pensée de Jésus. Mais il est certain, par la seule histoire, que cette pensée était mfire quand le Maître commença de prêcher l’Evangile.

99. — La forme sous laquelle se présente le témoignage messianique resterait énigmalique, voire incompréliensible.à qui ne se rappellerait pas les divergences, les incertitu(jes, le caractère inquiet, étroitement charnel et national, ou chimérique, infligé alors à l’espérance d’Israël. Hors de cette perspective, comment s’expliquerles précautions, lesatténuations. les réticences, d’un mot (employé à ce propos par les Pères anciens) l’économie adoptée par Jésus dans l’allirmation de sa mission ? Tout le monde juif, alors, attendait le Messie, et cette attente, ivait, au témoignage d’auteurs païens, débordé les frontières de la Terre sainte. Qu’il eût été simple de dire : (( Je le suis ! »

.u lieu de cetteassertion catégorique, nous voyons le Maître fermer la bouche aux possédés, défendre à ses disciples de le faire connaître C(uume le Messie et, tout en proclamant l’avènement du Règne de Dieu, éluder les questions directes sur ce sujet brûlant. X i ce point que le lecteur des évangiles est parfois tenté ;

SOS frères. Naturellement, r les frères » pourraient désigiieià la f’» is des frères et des cousins, mais cette liypotbèse n’a pas grand intérêt dans la question, parce que si le mot « frères)) peut comprendre les cousins, on n’a plus aucun argument j>our soutenir que les frères de Jésus étaient vr.’dnient ses fr(-res.)> Lagrange, loc. iand., p. 73. Kn ellot, t(uis les textes suggèrent impérieusement ([ue Marie n’eut pas d’autre enfant. M. LoisY lui-même reconnaît que (( le sentiment commun des éxégètes catholiques [voyant dans les paroles de Mai’ie /-((c, i, It’i, l’intention de garder une virginité perpétuelle] ne [ » eut être (pudifié d’arbitraii’e. Aucun passage de l’Evangile et des Artes n’y contredit : car s’il y est question des frères de Jêsns. on ne les prt’sente jamais comme fils de Marie, et il est à noter qu’on n’eiï cite jamais un en pai-ticiilicr, pas même Jacques, comme frère du Seigneur. » I.es Kran^ites synopli<iues, Ceffonds, 1907, 1, p. 290, 291. Pour plus de détail, voir Alfred Durand. Art. Fnf ; RES du Seigneib, dans ce Diciionnalre, vol. II, (^ol. l.’îl-148.

1. Sur « l’Evangile de l’enfance » voir l’ouvrage du P..lfred Durand, L’Enfance de Jésus Chriit d’après les Evangiles canonù/ues^ Paris. 1908.

2. Nous voyons par/o., iv, 2, que les apfttres continuèrent, un temps, de baptiser, même après avoir passé sous l’obédience de Jésus. Etait-ce une continuation autorisée par le Maître (qui pourtant ne baptisait pas en pei soiine.i du baptême de Jean ? Sur cette ipiestion, voir dans ce Dictionnaire l’article initiation ciiRr.TiENNE, vol. II, col. 799 : A. o’Ai.iiS.