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JESUS CHRIST

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33. — Les écrit s allribucsà Jean, frère de Jacques et fils de Zébédée, depuis la plus baule antiquité cbrctienne, ont donné occasion naguère à des discussions retentissantes. Il est impossible d’entrer ici dans un détail qui serait inlîni’.Nous pouvons d’ailleurs négliger dans cet article l’apocaljpse et les j)elites(li’et III’) épîtres jolianniques. La première (le ces épîtres, dont « la parenté avec I évangile, nonobstant l’extrême dillérence de forme entre les deux écrits, est frappante^ », nous intéresse surtout par le caractère de témoin immédiat du Clirist revendiqué par l’auteur dès les premiers versets. La similitude de style, dépensées, d’expressions, nous assure d’ailleurs que les deux ouvrages sont du même écrivain et que l’épître est plus encore que l’aurore et

« le Pérugin du Rapbaél jobannique », selon la jolie

mais un peu précieuse expression de H. J. Holtz MANN 3.

33. — L’évangile lui-même se distingue profondément des écrits synoptiques. D’abord, par ce qu’il n’est pas, et par ce qu’il ne dit pas. L’enfance du Cbrist, le récit de la tentation, la plus grande part du ministère galiléen, y compris les enseignements, la transtiguration et les miracles, sont omis dans notre quatrième évangile. Plus encore ])ourtant que ces lacunes énormes, ce sont des traits positifs qui mettent le livre à côté et (dans un certain sens que délinissait saint Augustin) au-dessus des autres évangiles. La tradition la plus authentique a bien distingué ces traits. L’ouvrage est, d’après cette tradition, un évangile spirituel, une description et interprétation par l’intime de la personne et de la doctrine du Maître. A la différence des Synoptiques, qui s’attachent surtout au « corporel », aux faits visibles, aux enseignements littéraux, Jean s’attache à « l’esprit ». Le sens profond des faits le retient plus que leur matérialité.

34.— Non certes qu’il néglige ou fasse peu de cas de celle-ci 1 Le croire est une des erreiirs qui ont le plus vicié l’énorme commentaire de M. Loisy sur le qudli-ii’ine Evangile (igoS). Bien au contraire ; et .lean avirait reconnu pour siennes ces paroles du l)lus pénétrant, du plus « jobannique » de ses commentateurs, saint Augustin : « Avant tout, mes Frères, nous vous avertissons de toutes nos forces et nous vous ordonnons, quand vous entendez exposer le sens profond des faits narrés dans l’Ecriture, de croire d’abnrd que ce qu’on vous lit s’est passé de la façon que le rapporte ce qu’on yous lit, de [)eur que, faute du fondement du fait accompli, vous ne cherchiez à édifier en l’air, pour ainsi parler. » (.Sermo ii, n. 7. P. /.., XXXVIII, 30.) Comme personne n’a insisté avec plus de force, et j’allais dire de crudité, sur la chair » du Christ, que ce grand champion de 1’<i esprit » ; tout de même la réalité des faits allégués est pour Jean le fondement indisjiensable des liants enseignements qu’il propose. Dans les morceaux, souvent considérables, où son choix s’est porté sur des épisodes racontés déjà par les Synoptiques, il ne leur cède ni en couleur, ni en détails vivants. Mais, là comme ailleurs, c’est la portée religieuse et le retentissement spirituel des gestes et des paroles du Seigneiir qui importent à Jean ; non la plénitude historique, à laquelle il déclare explicitement (Vo., XX, 30) renoncer. Sa tâche est de dégager, des ombres et pour ainsi parler des langes de la conversation

1..l’aime à renvo.yer sur ce point aux écrits considérahles de M. M. Lepin, Vorî^inc du tjuatrièwe étfangilc^, Paris, l’.MO ; l, a râleur historique du quatrii-nie évangile, 2 vol., Pnris, l’.llO.

2. A. Jiii.icHEB, Einteitungi^, p. 213.

t. Einleitung in das Neue Testament-^, Freiburg i. lî., 1892, p.’169.

humaine de Jésus, la révélation lumineuse, le sens intérieur, l’interprétation « en esprit et en vérité ». Son évangile est une épiphanie du Verbe incarné, non un tableau complet et minutieux de l’activité extérieure du Maître. De là ce caractère fragmentaire, cette absence habituelle de transitions, ces lacunes déconcertantes, ce choix, parmi les miracles, d’un unique fait, typique et majeur, propre à sj’uiboliser l’une des faces de l’œuvre du (Hirist. De là encore ce mélange presque constant de réflexions et de gloses, cette langue abstraite, ces divisions ternaires, cette monotonie des procédés littéraires, cette sorte de fusion de l’auteur avec son modèle, qui rend très, malaisé, et parfois incertain, le départ entre les paroles de celui-ci et les réflexions de celui-là’.

33. — Avec cela, malgré cela (et c’est ici que fait naufrage la trop ingénieuse sagesse des exégètes libéraux), l’évangéliste n’est pas un épigone, un visionnaire tard venu, tournant en symboles et organisant à loisir, dans une synthèse préconçue, des données traditionnelles reçues d’ailleurs. Il est encore, il est d’abord un témoin, le témoin. Ces données, qu’il connaît et emploie, il les domine, il les juge, il y ajoute. II raconte ce qu’il a « vu de ses yeux, entendu de ses oreilles, touché de ses mains » (I }o., I, 1). Il sait et il dit que « son témoignage est véritable » (./o., xix, 35). Son indépendance se fonde^ sur des souvenirs de première main, souvent incom- : pris sur le coup (il le note à mainte reprise : Jo., 11, 21-22 ; VII, Sg ; XII, 33, etc.), mais qu’une vie d’ardente méditation a fécondés, illuminés, interprétés. Encore qu’il ait conçu son œuvre à loisir, et qu’il l’ait coulée dans les grandes catégories de vie, de lumière, de vérité, oii se résume toute la religion en esprit, Jean n’a rien d’un auteur compassé, et l’adorable matière ne s’appauvrit pas entre ses mains, ne se fige pas en froids symboles, en schèmes et abstractions lointaines. Le vieil apôtre, qui a tant appris depuis les jours où il conversait avec Jésus, n’a rien oublié. La dileclion spéciale de Jésus alluma dans ce cœur d’homme une inextinguible flamme. Aussi Jean n’a pas tracé de son Maître une efPigie illisible : le Christ en gloire qu’il nous présente n’est aucunement un être irréel, surhumain, un (I théorème théologique gardant à peine les apparences de l’histoire » ^.

36. — L’histoire, Jean n’a pas besoin qu’on la lui

1. Voir J. Lebut-Ton, Les Origines du Dogme de la Trinité, Paris, 1910, p. 374 sqq.

2. Est-il rien de ]iliis précieux, par exemple, que les récits johainiiques concei-nant l’activité de Jésus à Jérusalem, pour expliqtier et juslifier cette parole dos Synoptiques (appartenant incontentablement ù la « Collection des dires » désignée par les exégètes libér-aux par la première lettre du mot allemand Quelle, et, d’après eux, la plus solide partie de notre inlormation historique sur le Christ) ; u Jérusalem,.lérusalem, combien souvent j’ai voulu rassembler tes enfants comme une poule fait ses poussins sous ses ailes, et tu n’as pas voulu ? » (t/i., xxiii,

: 17 ; Lc, xiii, 2’i.) Le i|uutrième évangile xeul ]>erræt de

donner à cette parole sa valeur. Mais, comme le fait très bien remarquer Briediich Loors, le parti pris anti-jolianni (]ue des criliques libéraux les aveugle. « Il est cM’ident, ajoiite-t-il. qu’une conception purement humaine de Jésus force ceux fpii en sont les tenants à déclarei" que le quatrième évangile n’est pas l’œuvre de Jean, et, do plus, qu’il n’est pas digne de foi. Mais par cela même cette conception se prouve, du vrai point de vue de l’iiistoîre, incapable’le faire pleine jiistice aux sources. » Whnt is ilie Truthahout Jésus Christ ? Edinhurgh, 1913, p. 100. — Cet opuscule n’a ])aru jusqu’ici tpi’en langue anglaise, nviis M. F. I^ooFsesl, on le sait, un protestant allemand, professeur d’histoire de l’Eglise à l’I’nivorsité de lIalle-Vittcnlierg.

3. AU. Loisy, Le quatrième Eeùngile, p. 73.