Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/657

Cette page n’a pas encore été corrigée

1301

JÉSUS CHRIST

1202

dans les recueils, ils étaient en possession d’un respect et d’une conliance exclusive, dans toutes les églises chrétiennes, dès le troisième quart du second siècle.

19. — Nous savons assez peu de choses certaines sui" l’époque et les conditions de la mise par écrit de nos évangiles. Le premier l’ut, rapporte un témoin très ancien. Papias n’HiÉnvroLis, écrit d’abord en langue araméenne par l’apôtre Matthieu. Cet évangile araraéen nous a été conservé en substance dans l’évangile grec qui ouvre notre Nouveau Testament,

Le caractère hébraïque et biblique du livre apparaît au premier coup d’œil. Il débute par une généalogie, à la mode juive, et relfort principal de l’auteur va à montrer en Jésus de Nazareth le Messie promis par les Prophètes, dont les prédictions sont relevées avec une abonilance et un soin particuliers. D’autre part, Matthieu (le témoin cité plus haut l’avait déjà noté) a groupé d’une façon ordonnée, en discours considérables, les principaux enseignements du Maître sur un sujet particulier : la Loi et l’Evangile ; le lloyaume de Dieu ; les torts des Pharisiens ; les Uns dernières…

50. — Dans l’auteur du second évangile, le plus court de beaucoup’, toute l’antiquité chrétienne a vu un disciple de la première heure, Jean, portant le nom romain de Marc, interprète de rai)ôtre saint Pierre. Le livre, destiné aux Gentils, aux Koniains, à la dilt’érence du premier évangile qui visait les Juifs, est écrit dans un grec assez rude, plein de mots populaires, et avec une vivacité singulière. Nous possédons en lui un recueil de notations et d’impressions qu’on dirait parfois — si l’anachronisme n’était trop llagrant — cinématographiques. C’est à ce caractère, joint à l’absence presquecomplètede développements doctrinaux, qu’il faut sans doute attribuer en partie la faveur spéciale dont cet évangile jouit auprès de nos contemporains non-croyants. Les croyants peuvent, sans la porter jusqu’à l’exclusivisme, partager cette sympathie. En lisant saint Marc, on croit parfois apercevoir le Maître, saisi dans une photographie directe, et sans retouches. On croit l’entendre.

51. — Beaucoup plus châtié dans son style, plus large d’allures, délibérément ramené par son auteur aux règles d’une histoire exacte, ordonnée et complète, le troisième évangile est sans doute le plus touchant écrit qui soit tombé de la plume d’aucun homme. Composée par un disciple instruit, Grec de race et de langue, médecin, compagnon de saint Paul (il insère dans le récit des Actes des fragments d’un journal personnel où, parlant de saint Paul et de ses amis, il dit : nous), cette noble histoire se déroule avec sérénité : la face miséricordieuse, viniversaliste et, pour reprendre un motdesaint Paul, philantltropique, de l’Evangile de Jésus, luit et resplendit dans le récit de saint Luc. Les nouveaux chrétiens des églises méditerranéennes, venus de tous les points de l’horizon des âmes, d’Israël, d’Hellas ou de Rome, ne pouvaient tomber, pour comprendre le Seigneur Jésus et l’aimer, sur un meilleur interprète.

22. — Il faudrait un long discours pour essayer de dater avec quelque précision nos documents :

1. G74 versets contre les 1068 du premier, les 1149 d » troisième évungile. Celte division en versets est, on le sait, relativement modertte, mais elle donne ici une idée approximative juste. M. Kexdel Hakkis. Stichometri/. London, 1893, p. 3*, * sqfj., donne, d après les manuscrits des érangiles, les nombres de «  « tiques » ou lignes suivants : Matthieu, 2.560 ;.Marc, l.GKJ ; Luc, ï.7.")9 ; [Jean, -’.02’i]. Sur tout ce ciMé matériel, détails précis et copieux dans K. Jacquier, Le.V. T. dans l’Eglise clirétienne, , Paris, lU13, p. 9-76.

cette étude appartient d’ailleurs au problème littéraire. Aucun critiqne sérieux n’ose plus retarder la rédaction des synoptiques au delà de la Un du i" siècle ; M. LoisY fait remonter le second évangile « aux environs de l’an 70 », et assigne les deux autres, sauf retouches possibles, aux dernières années du i<" siècle. Il admet d’ailleurs l’existence, pour ceux-ci et même pour Marc, de documents écrits antérieurs’. Qu’un exégète aussi radical s’en tienne là, c’est une marque du progrès décisif de la critique en cette matière. On est obligé de reconnaître que le second évangile, et ce qui constitue la substance et le fonds des autres, remonte, comme document écrit, à la génération des premiers apôtres, aux contemporains de Pierre et de Paul, à des témoins dont beaucoup ont pu cjnnaitre personnellement le Seigneur Jésus. Pour expliquer le pullulement et l’acceptation progressive des développements mythiques qu’il prétendait trouver dans nos évangiles, David Frédéric Stuauss s’était donné du large : sous la pression des faits, la critique rationaliste a dû reculer pied à pied vers les dates traditionnelles. Sa retraite est instructive, et l’a ramenée, avec M. IIarnack et son école, sur les points essentiels, à ce que les savants catholiques croient pouvoir allîrmer avec sécurité.

23. — Deux indices ont surtout contribué à guider et à former l’opinion sur ce sujet. Le monde juif de Jérusalem s’est abîmé d’un bloc, en ; o, dans un désastre sans lendemain ; or c’est ce monde que décrivent avec la dernière exactitude, bien plus, c’est lui que supposent encore exisitint, florissant et redoutable, nos évangiles synoptiques. — D’au ti’e pari, les épîtres de saint Paul, écrites depuis l’an 50 environ, nous font connaître en détail et nous présentent comme communes dans les églises apostoliques, des doctrines en étroit accord sur le fond, mais beaucoup plus développées et plus explicitement formulées que celles qui sont consignées dans nos synopti ([ues.Detelsfaits(on nepeulque les indiquericid’un trait rapide et sec), conUrmés d’ailleurs par maint indice concordant, nous amènent à voir dans les trois premiers évangiles, des documents contemporains de la première génération apostolique. Cette constatation importe infiniment à leur valeur d’histoire, qu’il faut maintenant essayer de préciser.

Parmi les récits qui prétendent faire revivre les événements du passé, on peut discerner en effet bien des degrés d’historicité.

24. — Au plus bas degré, nous trouvons des amplilicalions légendaires, rédigées longtemps après les faits qui leur servent de thème. Quelques souvenirs traditionnels, rappelés ou supposés par ces récits, ne permettent pas de les mettre au nombre des documents hislori<|ues proprement dits. C’est dans cette catégorie que les indianistes rangent, d’un commun accord, la biographie du Bouddha telle que la présentent les sources du Nord, et en particulier le Lalita-Vistara. Les narrations de Tite Live intéressant les origines romaines, et nos évangiles apocryphes du iv" siècle (tels que V Histoire de Joseph le charpentier, ï’Ei’an^ile de Thomas, etc.) nous offrent d’autres exemples. Encore faut-il observer que l’inlluence des évangiles canoniques a conservé, dans une mesure appréciable, à ces dernières productions, quelque apparence d’histoire-.

23. — Un peu plus haut se classent les ampliUcations libres autour d’un noyau historique, reçu par tradition. Des traits postérieurs, imaginés de toute pièce ou résultant d’embellissements successifs,

1. Les Ei’angiles synoptiquts, CefTonds, 1907, l. p. 82.

2. W. Balf.k, Das Lcben Jesuim Zeitaller der.V. T. Apo kryplien, p. 487 sqq.