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JÉSUITES

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pour soutenir et consolider un édilice qui paraissait menacer ruir.e. A quclque point do vue qu’on se place pour juger la société de Jésus et ce qu’elle a l’ait dans le monde, on ne peut nier une chose… c’est que c’est elle, et elle seule, qui a maintenu cl sauvé le catliolicisnic en Euroiie au xvi’et au xvu* siècle. Elle ne l’a pas seulement sauvé, elle l’a refait à son ima-fe et lui a imprimé le cachet qu’il portera désormais. Toutes les métamorphoses par lesquelles il a passé depuis, toutes celles que l’avenir peut lui réserver encore ont été préligurées déjà par les doctrines et les enseignements des disciples de saint Ignace depuis l’étroite alliance du trône et de l’autel, jusqu’aux excitations à la révolte de la démagogie cléricale. »

Cette manière de voir est classique. On lit dans un ouvrage récent : l’Eglise attaquée par Luther, s’est réformée, fortifiée, mais elle s’est enfermée dans une bastille bien close, où ne pcnèlre plus la vie el l’air du dehors. « L’ordre règne partout, mais partout aussi s’installe la routine el se perd le sens de la vie. C’est aux Jésuites qu’il faut attribuer ce grand changement. » (G. Desdevisks du Dbzeht, L’Eglise et l’Etat en Fiance, t. I. 1907, p. 10.) Ces simplifications étonnent, à une cjjoque où, dans l’étude des courants de la pensée, on apporte tant de subtilité à distinguer les inlluences. Routine et manque d’air mis de côté, les Jésuites ne pourraient qu’être flattés qu’on leur fasse la part si large : mais est-il possible d’admettre cette synthèse préliminaire ?

Sans doute, leurs nombreux collèges el universités, leurs cougrégalions, leurs missions d’Europe et des nouveaux mondes, leurs théologiens, ont fortement travaillé à rétablir partout l’autorité du Saint-.Siège et la vie chrétienne. Ils ont reconquis plus d’une province au catholicisme en Allemagne. Sur les bords du Rhin et du Danube, en France et dans les Pays-Bas. ils ont eni-ayé le mouvement séparatiste, et arrêté les défections. Mais sont-ils les seuls ? Xe voir qu’eux, c’est faire tort à des hommes comme saint Pie V, saint Chai-les Borromée, saint François de Sales, saint Vincent de Paul el bien d’autres, dont l’action a été parallèle, identique à la leur, mais absolument indépendante. Que ne poiu-rait-on dire à la louange d’autres sociétés religieuses, qui ont ti-availlé près des Jésuites, à la même œuvre et avec le même zèle ! Les Capucins, pour ne nommer que ceux-là, sont bien pour quelque chose dans les missions d’Allemagne, et les Sulpieiens dans la lutte contre le Jansénisme. Il est vrai, dans ces guerres, où il ne s’agissait pas seulement d’arrêter la propagande hérétique, mais de réagir énergiquement contre les troubles luoraux, disciplinaires, doctrinaux, qui avaient agité les deux siècles précédents, les Jésuites ont fourni un régiment noml)reux, compact, obéissant, portant vile et sûrement jusqu’aux extrémités du champ de l>alaille les ordres et les impulsions de Rome. Ils ont été [lour les papes modernes, ce que les Clunistes avaient été pour Grégoire Vil. Mais enfin, il n’y a pas qu’eux dans la mêlée, et ne voir qu’eux, c’est une simplification commode pour le pamphlétaire, mais indigne de l’histoire.

On va plus loin. Ils n’ont été instrument qu’en apparence : en réalité, ils ont mené la papauté. Le vrai chef de l’Eglise n’a pas été le pape blanc, mais le a jiape noir ». C’est lui, disaient les protestants des environs de 1600, c’est ce « Vieux de la Montagne » qui, par toute l’Euro|)e, arme le poignard des régicides. C’est lui, disent les Jansénistes, qui a imposé la condamnation des cinq propositions et la bulle Unigenitus. ("est lui qui, sous Pie IX, a dicté le Srllabus. Il avait dirige le concile de Trente, et il a fait la loi

à celui du Vatican. « Directions pontificales », entendez n directions jésuitiques »,

Puie légende. Qu’on explique comment ces a maîtres du pape ii, qui font la loi au Vatican, n’ont pu arriver à se tirer plus glorieusement de certaines grosses difiicullés. La congrégation De auxiliis, l’afifaire du probabilisme, celle des rites chinois et malabars : autant d’occasions d’allirmer leur omnipotence, d’iuqioser leurs vues, au moins de réduire leurs opposants au silence. On sait ce qui en fut. L’histoire de ces controverses montre que leur domination était discutée. Très appuyés quand ils n’étaient que défenseurs du Saint-Siège, théologiens de son infaillibilité, polémistes el apologistes de ses décisions ; beaucoup moins soutenus quand il ne s’agissait que de leurs intérêts de corj>s, de doctrines restées à l’état de systèmes ou de mélhodesparliculières. Après tout, c’était dans l’ordre.

Aucun pape ne leur a clé proprement hostile, pas même CLiiMK.>r XIV ; mais plusiems ont été froids. Aucun, sauf Clément XIV, ne leur a refusé de se servir d’eux, seule marque de confiance dont la privation les eût humiliés. Plusieurs, et non des moindres, qui n’étaient d’humeur à se laisser mener par qui que ce soit, tout en les employant, les écoutaient peu : tel I>xocENT XI. Et, même aux jours de plus grande faveur, il s’en fallait que l’amitié du ])ape entraînai toujours celle des cardinaux ou les bonnes grâces des congrégations.

Reste que les Jésuites ont toujours été, le plus qu’ils ont pu, selon le mot des Encyclopédistes, les u grenadiers du Pape ». Ils n’ont point inventé les doctrines ultramontaines. Depuis plusieurs siècles déjà, elles étaient formulées, discutées, enseignées. Us les ont adoptées, el volontiers se glorifient d’avoir lutté pour elles pendant trois cents ans. Ils les ont précisées peul-ètre sur quelques points, mais n’y ont rien ajouté d’essentiel. Que si vraiment c’est mener le pape que de diriger l’opinion catholique dans le sens le plus favorable aux droits du pape ; alors, en quelque façon, ils ont mené le pape. Ils ont, de leur mieux, préparé les voies à certaines grandes décisions. Us y ont collaboré de tout leur pouvoir. Us ont suivi de très près, accéléré même, si l’on y tient, un mouvement qui avait conuuencé avant eux, et qui eût abouti sans eux. C’est tout ce que l’histoire peut conclure de leur action générale dans l’Eglise, depuis trois cents ans.

II. Ee^prii de seitilité. — Alors, dira-ton, c’est leur action lente et occulte qui est à examiner. Qu’ont fait les Jésuites dejjuis qu’ils existent ? Us ont consolidé le romanisme, uiais à quel prix ? En détruisant dans les volontés et les intelligences tout ce qu’il y avait de vital. Qu’on examine ce qui est à eux, bien à eux, l’on constatera que Michelet avait raison quand il résumait leurs systèmes d’un seul mol, le

« machinisme ». Ce sont eux qui ont comme naturalisé

dans le catholicisme la notion déprimante de l’obéissance allant jusqu’à l’immolation du jugement. Mais il le fallait ; ce qui avait enlevé au pape les pays allemands, anglais, suédois, c’étaiU’esprit de liberté : il importait d’y substituer l’esprit de servitude, seul moyen d’empêcher les pays latins d’entrer par la voie libre qu’ouvrait Luther.

Cet esprit de servitude », ils ont commencé par l’organiser chez eux, dans leur gouvernement intérieur, d’une façon absolument nouvelle jusque-là. Leur général est un véritable despote, disait-on jadis dans les pamphlets allemands, disaient encore les comptes rendus parlementaires de 17C2, et répètent à leur suite nos auteurs (voir l’article Jésuites, dans l’Encyclopédie des sciences religieuses). Ce « Vieux de la Montagne », maître des consciences, peut