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JESUITES

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que les Jésuites. » Les vraies Provinciales coiumençaieiit. Morale relâchée, casuisles, iirobabilisme, en allaient faire les frais. Adversaires de la grâce divine cl de saint Augustin, les Jésuites l’étaient plus encore de l’austérité évangélique et de la morale chrétienne. Cela, prouvé d’après une méthode d’inlormation dont le moins que nous puissions dire est qu’elle manquait de critique.

Les Jésuites vivant toujours et ne se convertissant pas, le grand Arkauld, la mort dans l’àme, par pur esprit de charité, revint à la charge. Ce l’ut le quatrième assaut. Dans la Morale pratique (166y-16g5), on montrait que les abominables principes des Pères ne restaient pas théoriques ; ils s’en inspiraient dans leur vie. Arnauld et ses collaborateurs accaparèrent la querelle des « rites », et toutes les autres ditlicultés menues ou grandes que les Jésuites pouvaient avoir de par le monde. On les montrait idolâtres en Chine, hérétiques au Japon, juifs à Gènes, généraux d’armée au Paraguay, négociants partout, accapareurs des biens monastiques en Allemagne, souvent banqueroutiers, persécuteurs acharnés de leurs rivaux en pays de mission, etc., etc. — Arnauld, qui en avait copié d’autres, eut d’innombrables copistes pendant tout le xviii" siècle. Un journal se fonda, les Nouvelles ecclésiastiques, dont le but semblait cire de dénoncer au jour le jour tous les crimes, péchés et peccadilles des « ennemis de saint Augustin ».

Restait à s’en prendre aux Constitutions mêmes des Jésuites. A vrai dire, il y avait longtemps que les gallicans avaient épluché l’Institut. Le travail fut repris en 1762 par les parlementaires, et aboutit à d’innombrables réquisitoires et com|)les rendus, l)armi lesquels il sullit de signaler celui de La Cha-LOTAis. On attaqua surtout l’obéissance, la fameuse obéissance aveugle qui lie des Français à uu chef étranger. Impossible à un état moderne, conscient de ses droits, de su|q)orter une telle intrusion. Est-il nécessaire de faire remarquer que, pour en venir à celle conclusion, l’on avait commencé par faire du supérieur des Jésuites, de son autorité, cl de l’obéissance qu’il exige, la description la plus extravagante ?


111. Anliiésiiilisme moderne. — Les Jésuites disparus, l’antijésuitisme s’assoupk un peu. U se réveilla dès que la Com])agnie fut rétablie.

U y eut dans le courant du xix’siècle quatre ou cinq grandes crises de jésuitophobie, aboutissant à des exils, des dispersions et même à des massacres.

Sous la Uestauration, campagne de Mo.ntlosier, avec création de la légende de Montroiigi- cl de la Congrégation, lin 1834, massacres de Madriil, sur une accusation d’empoisonnement des fontaines. En iSti’i. levons de Quinet et de Michei.kt au Collège de France. En 1871, 1e Culturhampf jirussien. En 1880, l’article 7. (^es crises ont prooqué l’éclosion d’une littérature considérable, mais dont probablement il ne survivra que deux pampliUls, le Juif Errant d’FIugéne Sus et les Jésuites de Wicuklkt.

Cet antijésuitisme moderne ne s’est refusé aucune des fantaisies qui avaient rendu grotescpie celui d’il y a trois cents ans. Il s’est trouvé des « Hevercnds «  anglais jiour décrire l’u Eglise » établie comme absolument minée |iar les Jésuites. Ils sont dans les églises, dans les presbytères, dans les couvents : ils sont l’âme du mouvement ritualistc. Combien de n nurses » ne sont que des jèsuitesses ! — De même en Allemagne, His.mauck disait voirjiartout leur action. Son ami, l’étrange calholicpie prince de Houen-LOHE. les montrait maîtres de la paix et de la guerre, responsables de la chute des Bourbons de Naples, directeurs de l’inlernationale monopolisant le

commercedesmodesàParisetcclui du guano, opposés au rapprochement de Rome et de la Prusse, tenant sous leur inlluence Bismarck en personne et l’impératrice Eugénie et, bien entendu, le concile du Vatican, entravant Windlhorsl, etc. Il enregistrait sans broncher les imaginations du prêtre vieuxcatholique Michaud, assurant tpie le massacre des otages par la Commune avait vraisemblablement été combiné par la fraction ultramoiitaine de la Compagnie, qui voulait se débarrasser de Mgr Darboy et des Jésuites libéraux comme le Père Olivaint. {Memoirs of prince Chludtvig of IIoiiKNLonii, traduction anglaise, 190O, t. I, p. 276, 365, II, p. 56, 140, 147, etc., etc.)

Récemment encore, un candidat catholique à la députation s’étant fait un honneur d’être un ancien élève dcî Jésuites, le journal Toumon lléputilicain (16 mars 1912), répliqua par une énumération des forfaits attribués à la Conq)agnie. Elle a fait assassiner des hommes réputés saints » comme Jean de la Croix, Ribera, Philippe de Meri (sic), Borromée, Savonarole…

On voit le genre : au point de vue de l’apologétique générale, il est à noter. C’est un bon spécimen des procédés anticléricaux. A qui hait l’Eglise, tout est peruiis, jusqu’au mensonge le plus absurde. Est-ce que « la lin ne juslilie pas les moyens » ?

Il est impossible de répondre ici, même en courant, à toutes les accusations. La plui)art d’entre elles, si elles étaient aussi fondées qu’elles sont populaires, prouveraient contre les individus, contre l’Ordre tout entier, si l’on veut, mais ne prouveraient contre l’Eglise que dans le cas où l’Eglise se serait soliilarisée avec les Jésuites. Que ces religieux ait été aussi farouches ligueurs qu’on le prétend, que l’un d’eux ail violé le secret des confessions de l’impératrice Marie-Thérèse, qu’ils aient pratiqué le commerce malgré les défenses des papes, et qu’ils aient l’ait de la politique et de la mauvaise, à supjioser même que les faits soient élal)lis, cela ne i)rouvera qu’une chose : ils ont manqué à leurs règles qui leur interdisaient tout cela, (iela n’établira aucunement que l’Eglise soit une institution humaine. (La réfutation d’un grand nombre de ces fables se trouve dans notre livre sur les Jésuites de ht légende, et plus en détail dans celui de P. B, DuuH, Jesuitenfabelii. )

Il n’en va plus tout à fait ainsi de certaines synthèses historiques, stéréotypées dans le monde savant des prolestants et des rationalistes. Chez ces docles ennemis de l’Eglise romaine, s’est déveloi>pé ce cpie nous sommes obligés d’appeler la légende scicnlitique. Eliminant tout ce qui, dans la légende populaire, était par trop invraisemblable, ces écriains ont donné aux vieilles accusations un tour plus moderne, plus critique, plus acceptable. Us se sont fait de la Compagnie de Jésus, de son rôle, de son influence, une idée qui, si elle était fondée, ne laisserait pasque d’élrecomprometlante pour l’Eglise. C’est elle qu’il nous faut discuter.

II. — La légende savante

I. L’Eglise romaine esclave des Jésuites. — a) Un premier préjugé, d’origine nettement protestante, consiste à tout expliquer dans l’histoire de l’Eglise, de]>uis trois cents ans, par l’action des Jésuites. Ce sont eux qui ont fait l’Eglise catholique moderne ce qu’elle est. L’œuvre de saint Ignace, écrit un rédacteur de la Hevue critique, M. R. Rkuss (1896, t. 1, p. 152), « est à la fois la plus formidable machine de guerre imaginée pour écraser un ennemi, et le i>lus puissant contrefort qui ait jamais été dressé