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JEANNE (LA PAPESSE)

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stercoraire, et il explique ingénieusement les origines lie la légende. Le livre n’était pas sans défaut ; il était décisif contre la fable ridicule.

B. Après Florimond dk Remond. — Les catholiques surent gré à l’auteur du service rendu. Dans un ouvrage qui eut du succès, la Chronograpliia. Lyon, 1609, p. 538-540, Géncbrard combattit la légende, et termina de la sorte : Qui ea de re disputatiuner » omnibus niimeris absnlutam vellet cognoscere légat librum Florimundi Hemandi. Baronius inséra un résumé de.’Jnti-i>opesse dansses Annules, et proclama, ad an. 853, n. 62, que Florimond sic confecit mons-Irum islud ul novalores pudeat quæ scripserunt vel soinniasse. C’était trop dire. Dans sa 2’édition, Florimond eut à répliquer à un ministre du Béarn qui avait écrit contre lui. Cf. VAnli-papesse, Paris, 1607, p. 26^-268 ; après sa mort, des protestants continuèrent d’alfirmer l’existence de la papesse. Cf. Bayle, Dictionnaire historique et critique, t. III, p. 586. D’autres, percupidi i’eritalis investigandæ et recto raiionis ductu ad ipsani anhelantes pervenire, dit Baronius, ad an. 853, n. 56, làolièrent la légende. Citons, parmi les plus illustres, Charnier, Dumoulin et Boehart, cf. Bayle, t. I, p. 070, et, serablet-il, Basnage. Citons surtout David Blondel, -j- 1655, qui mil en pièces la légende dans sou Familier esclaircissement de la question si une femme a esté assise au siège papal de Itome entre Léon IV et lienoist III, Amsterdam, 16^7, et dans son écrit posthume De Joanna papissa, sife famosæ quæstionis an foemina ulla inter Leonem l V et Henedictum III Itom. Pontifices média sederil vM-yypizi-., avec préface apologétique d’Etienne de Courcelles, Amsterdam, 1657. Venant d’un protestant tel que Blondel, ces volumes fortifièrent l’œuvre de vérité historique entreprise par Florimond de Remond, qu’ils dépassaient sur quelques points tout en retardant sur d’autres.

L’émotion fut vive. Des protestants se rendirent aux raisons de Blondel. D’autres, plus nombreux, ne voulurent rien entendre. Cf. Bayle, t. I, p. 675, t. III, p. 586. Au livre français de Blondel, un avocat de Rouen, Congnard, opposa le Traité contre l’esclaircissemeni donné par Blondel en la question si une femme a esté assise au siège papal de Home entre Léon IV et lienoist ///, Saumur, 1655. Au livre latin S. desMarels(.J/ares(Hs) répondit par le Joanna papissa restituta sive animadversioni’s et annoiationes historicæ ad I). lilondelli libriim posthumum, Groningue, 1658. Cf. la polémique très vive de Labbe contre S. des Marets, Cenotapliium Joannue papissæ ab heterodoxis ex Utopiu in Eurnpam nuper revocatæ eversum funditusque excisum demonstratione clironica, dans Pe scriptonbns ecclesiasticis, Paris, 1660, 1. 1, p. 835- 1006, reproduit dans ses Sacrosancta concilia, Paris, 1672, t.’VIll, col. 150-222. Spanheim et Lenfant galvanisèrent une histoire qui décidément était morte. Le bruit courut que, entre la première édition de son livre (161j’i) et la deuxième (1720), Lenfant avait < : hangé de sentiment et relégué parmi les fables les récils sur la papesse, et que pour ce motif il avait refusé de fournir à son éditeur des additions (elles furent rédigées par.V. de Vignoles). Cf..Xoiu’elles littéraires,.-Vuisterdam, 1720, t. XI, i" partie, janvier-mars, j). 87. La légende tombait de plus en plus dans le discrédit. Le grand Leibnitz écrivit contre Spanheim ses Flores sparsi in tumulum papissæ ; cf. une lettre de Leibnitz dans lEmeryJ, Pensées de Lribnitz sur la religion et la morale, Paris, 1803, t. ii, p. ^17. Bayle porta le coup de grâce à la légende. Il s’en occupa un peu partout dans son Dictionnaire historique et critique, non seulement au mot Papesse (Jeanne la), t. III, p. 580-592, mais aussi à l’occasion de divers auteurs

qui en ont parlé, t. I, p. 57^.576, t. II, p. 49 « -492, t. III, p. 4’t', ’773-777, t. IV, p. 10-19. Selon sa coutume, il s’appliqua à extraire de ces auteurs tout ce qu’ils ont de scabreux ; mais il exclut sans ambages l’existence de la papesse. « Je croi, dit-il finement, t. 111, p. 586, que des traditions avantageuses aux papes, et combattues par des raisons aussi fortes que le sont celles qui la combatcnt, paroitroient dignes du dernier mépris à ceux qui disputent le plus ardemnicnl pour ce conte-là. » Bayle avait donné le ton. Les philosophes du xviii^ siècle s’accordèrent avec lui. Cf. Voltaire. Annales de l’empire depuis Charleinagne, dans Œuvres, Genève, 1777, t. XXX, p. v ; V Encyclopédie, Neufchàlel, 1760, t. XI, p. 834.

Ce n’est pas à dire que la légende ait disparu de la circulation. Les légendes ont beau avoir été tuées ; il y a toujours des gens pour les croire vivantes. Au xix’^ siècle, on tenta de rendre à celle de la papesse un caractère historique. Elle fut utilisée, elle l’est encore et, sans doute, elle le sera longtemps dans la polémique anticléricale. Mais ellerei)arul également dans des livres à prélenlions scientiliques, comme celui de N.-C. Kist, De pausin Joanna, Leyde, 1844. En Espagne, un journaliste protestant, Herzun, essaya de lui insulller une vie nouvelle, ce qui amena la réfutation — assez médiocre — de F. -M. Gago y Fernandez, Juana la papissa, coniestacion a un articitlista papisevo de Santader, Madrid, 1878 (trad. française, Paris. 1880). En Grèce, E.-D. Rhoides a écrit’H : Tâ : rt77 « Iwovvk ^a£rycoJv(/ï ; yj/sT-/, ,.thènes, 1869 (trad. française, allemande, italienne). C’est un véritable roman, de même que l’ouvrage qu’E. Mezzabolta a intitulé franchement : La papessa Giovanna, ronianzo storico romano, Rome, 1885.

Un roman, ainsi peut se résumer l’affaire de la papesse Jeanne. C’est le jugement de tous les esprits éclairés et sérieux. Cf. la protestante RealencyUopadie, 3" édit., Leipzig, 1901, t. IX, p. 254, et l’incroyante Grande encyclopédie, Paris (sans date), t. XXI, p. 100, qui conclut fort bien : « L’inanité de la légende ne laisse plus de doute à personne aujourd’hui ; ou ne peut plus guère discuter que son origine. »

IV. Conclusions. — A. Fausseté uk la léobnde. B. La lkgbnijf. et l’Eglise.

. Fausseté db la légende. — Jadis les adversaires de la légende se sont attardés à démontrer que la papesse Jeanne n’a pas existé parce que tous’les documents contemporains établissent que Léon IV mourut le 17 juillet 855, que Benoit 1Il fut élu avant la lin de juillet 855, et qu’ainsi entre Léon IV et Benoit III il est impossible de mettre le pontilicat de la papesse, qui aurait duré environ deux ans et demi. Cf, par exemple, Labbe, Ccnoiaphiam Joannæ papissae (cité plus haut) ; J. Garaïupi, De nummo argenteo Benedirti III dissertalio in qua ptura ad pontifie, histnriam illuslrandain et Joannæ papissæ fabulant refellendam proft runtur, one, I7’19 ; J.-H. Wensing, De verhandeling van..-C. Kist oivr de pausin Joanna, .S’Gravenhage, 1845 (la partie qui établit qu’entre Léon 1’et.Nicolas 1" la chronologie ne laisse place qu’à Benoit III a été traduite dans la venté historique, Paris, 1863, t. XII, p. 27-58, 9’, - ! 16. 13->-158). Sinipl liions cette preuve. Il n’y a qu’à ouvrir Jadé-Loewenfeld. /i’("^ » es/n Ponti/icum rnmanoriini, n"t>.6612CG2, t. I, p. 339 ; on constatera du coup (]u’entre les pontillcats de Léon IV et de Benoit III il n’y a pas d’intervalle, et donc qu’il est impossible d’intercaler le pontilicat de la ])apesse. ^}v si, avec le frère mineur d’EifurI, Etienne de Bourbon et l’auteur de la Clironica uniiersalis Meltensis, on renvoie la papesse à une date ullérieure, le même argument s’impose ;