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JEANNE (LA PAPESSE)

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légende, la papesse Jeanne apparaît entre un Léon et un Benoît, Léon IV et Benoit III (au moins dans la forme (]ui a prévalu et qu’elle a chez Martin Polonus ) ; ici, entre un Léon et un Benoit, Léon VIII et Benoit V, nous avons un pape dont la vie est telle que, défigurée par l’imagination populaire, elle a pu aisément donner lieu à la légende de la papesse. (Un détail encore aurait pu y contribuer, d’après Panvinio, annotations des Vite de’Ponte/ici de Platina, 1. 1, p. 210-211 ; c’est que Jean XII, aurait eu, au rapport de Liutprand, une concubine, nommée Jeanne, très influente. Cf. le même fait renforcé dans Florimondde Remond, L’anti-papesse, Paris, 1607, p. 289, et G. Moroni, Dizionario di erudizione slorico-ecclesiastica, Venise, 1845, t. XXX, p. 2- ; 9. Mais Liutprand nomme Annam viduam ciim nepte sua, non Johannam, dans De rébus gestis Ottonis magni imperatoris, c. x, P. /.., t. CXXXVI, col. 904, cf. D. Blondel, Familier esclaircissenient de la question si une femme a esté assise au siège papal de Borne, a* édit., Amsterdam, 16^9, p. 88.)

3. Pour aider à l’éclosion ou, du moins, au développement de la légende, il y eut, comme dans une foule de cas semblables, un monument dont on ne comprit pas la signilication. C’était une statue, qui a été enlevée de la place qu’elle occupait, et probablement détruite, au coursdes travaux exécutés à Rome par a ce grand remueur de terre » Sixte Quint, comme s’exprime Florimond de Remond, L’anli-papesse, p. 182. Ce qu’on en saitest suffisant pouraffirmerque c’était la statue d’un prêtre, ou d’une divinité païenne, avec un enfant. Cf. les indications précieuses de Florimond de Remond, p. 181-183, 266-267. Elle portait une inscription, qui devait être approximativement la suivante : ]’. Pat. Pat. P. P. P.. P. c’était le nom de celui qui avait érigé la statue ; Pat. Pat. était pour Pater Patrum ou Patri Pairum — paterpatrum fut un titre donné aux prêtres de Mitlira — ; P. P. P. était l’abréviation usuelle de la formule reçue : propria pecunia posait. Cf. J.-B. Lelièvre, lievue des questions historiques, Paris, 18-6, t. XX, p. S^ô. Le vulgaire ne se contenta point de cette explication trop simple. Pater Patrum ne pouvait désigner que le pape ; ce sacrilicateur — ou cette divinité — accompagné d’un enfant fut pris pour une femme ; c’était donc une papesse. Les souvenirs laissés par les papes de la maison de Théopbylacte, dont quatre eurent le nom de Jean, et dont le pire, Jean XII, fut pape avec ou avant un pape Léon et un pape Benoit, conduisirent à en faire une papesse Jeanne, qu’on mit entre un pape Léon et un pape Benoit. Dans un cas pareil, les données strictement historiques ne sont pas une gêne : à Léon VIII et à Benoît V on subrogea Léon IV et Benoit III, peut-être parce qu’on avait perdu les traces de Léon VIII, qiii ne figurait pas dans tous les catalogues du temps, cf. L. Duclicsne, I.e l.iher pontificolis. t. II, p. 260. Au surplus, la détermination de cette date n’eut pas lieu aux origines de la légende, puisque les textes les plus anciens adoptent une autre chronologie (vers 1 100, ou giT’). Que la statue et son inscription aient influé sur la légende, nous en avons une preuve dans la Chronica wiitersatis Meltensis ; nous y lisons : L’bi obiit ibi sepultus est, et ibi scriptum est : Petre, pater patrum, papisse prodito partant. Les textes ultérieurs mentionnent aussi l’inscription ; mais, parce qu’elle était gra éç sous une forme abréviative, ils la reproduisent avec des variantes, non seulement Etienne de Bourbon et le mineur d’Erfurt, mais encore plusieurs de ceux qui sont venus dans la suite, suppléant, chacun à sa manière, aux lacunes du texte abrégé. En outre, quand les papes se rendaient solennellement de Saint-Pierre au Latran, ils évitaient

la rue qui mène du Colisée à Saint-Clément et où se trouvait la statue ; on conclut que c’était par indignation contre la papesse, alors que la vraie raison de cet usage était l’étroitesse de la rue qui ne permettait pas au cortège pontifical de dérouler con tante giraiotte l’ordine deUa cavalcata, dit Panvinio, dans ses notes sur Platina, t. I, p. 210. Sur les motifs pour lesquels on dit Jeanne, par une contradiction manifeste, originaire de l’Angleterre et de Mayence et on la fit étudier à Athènes, cf. Doellinger, Die Papstfabetn, p. 46-53.

II. Les développements de la légende. — A. .^VA.NT LE PHOTESTAMis.ME. a) Surcharges de la légende primitive, i) Addition de la légende de la chaise stercoraire, c) Diffusion de la légende.

B. A PARTIR DU PROTESTANTISME, a) Les cathoUques. b) Les protestants.

A. AvAKTLE PROTESTANTISME, û) Surcharges de la légende primitive. — Un des premiers qui aient enregistré la légende, après Martin Polonus, est un frère mineur qui a écrit, vers 1290, les Flores temporum, chronique fameuse, qui est une sorte de décalque de celle de Martin Polonus, et qui a été attribuée à tort au frère mineur Martin d’Alnwick, -j- 1336, ce qui lui a valu le titre de Chronique de Martinus minorita. Voir le texte sur la papesse dans Mon. Germ. hist. Script., t. XXIV, p. 248. Les Flores temporum rééditent Martin Polonus sauf ces quelques détails : la papesse a régné trois ans et cinq mois ; elle se fit appeler Jeand’Angleterre, alors qu’elle était de Mayence (ainsi est supprimée une contradiction) ; elle enfanta entre le Colisée et Saint-Pierre ; adjurant un démoniaque, elle demanda au démon quand il se retirerait, et le démon répondit par deux vers dont le premier est : Papa pater putrum papisse pandto partum (comme dans le texte du mineur d’Erfurt), et le second : £t tibi tune edam de corpore quando recedam, c’est-à-dire : > Dis-moi quand une papesse enfantera, et je te dirai quand je sortirai du corps du démoniaque. »

Boccace, -j- 1375, s’écarte davantage de Martin Polonus, dansîoa Le c’aris malieribus, c. xcix, où il s’inspire, semble-t-il, des récits populaires. Cf. S. Ciampi, Disamina sutV opinionedel Boccacio intorno alla cosi delta papessa Giovaniia, Florence, 1828. Le nom decelle qui devint papesse estinconnu ;.il en est qui la nomment Gilberte. D’origine allemande, elle étudie en Angleterre, où elle a un amant, qui meurt. Elle se rend à Rome, Le démon la pousse à briguer le souverain pontificat ; elle réussit grâce àsa bonne réputation et à son savoir, et succède au pape I.cou. Le diable l’incite à la débauche ; elle est enceinte. Dieu, qui ne veut pas que son peuple soit trompé, prépare le châtiment. Jeanne perd le sens, et ne songe pas aux précautions requises pour cacher sa conduite. Elle enfante en célébrant la messe. Elle est punie par la prison.

La i)lupart de ces traits restèrent dans le livre de Boccace. Les auteurs s’en tinrent presque exclusivement à Martin Polonus. dont la chronique fut un des livres les plus lus du moyen âge, quitte, tout en gardant le fondde son récit, à y adjoindre certaines données nouvelles. C’est ainsi que Ranulphe de Iligden--jvers 1363 (cité plus haut), dit que la papesse s’op, pelait d’abord Agnès ; l’auteur de la première des Vies du pape Urbain V publiées par Baluze, Vitae pnparum ovenionensiiim, Paris, 1693, t. I, col. 381, cf. J.-II. Albanèsel U. Chevalier, Actes authentiques et documents concernant le bienheureu.c Urbain V pape, Paris, 1897, t. I. p. 21, dit qu’on racontait qu’elle avait avorté dans l’itinéraire de Saint-Pierre à Saint