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JEANNE DARC

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Winchester el autres in-élals anglais, une pour le bailli el ses gens, la quatrième pour le prédicaleur et Jeanne même. A quelques pas, on apercevait le liùuher formé de fagots reposant sur un massif de moellons et de plâtre : un poteau élevé le dominait. En face de l’écliafaud on voyait un tableau avec cette inscription en grosses lettres : Jeanne qui s’est fait nommer la Fucelle, menleresse, pernicieuse, abuseresse de peuple, devineresse, superstitieuse, hlas]diémeresse de Dieu, présomptueuse, mécréante en la foi, vanteresse, idolâtre, cruelle, dissolue, invocatrice de diables, apostate, scUismalique, hérétique. La. mitre que la condamnée avait sur la tête portait ces mots : hérétique, relapse, apostate, idolâtre.

Nicolas Midi, le prédicateur, développe pendant une heure, en l’appliquant à la Pueelle. cette parole de saint Paul : « Si un membre soulTre, tous les membres souffrent. » Il Unit par ces mots : « Jeanne, l’Eglise te retranche de son corps, elle ne peut plus le défendre. Va en paix. « L’évêque de Beauvais prit alors la parole, adressa quelques paroles d’exhortation à la condamnée et prononça la sentence qui la déclarait hérétique relapse, la rejetait du sein de l’Eglise et l’abandonnait à la justice séculière.

Dès que la voix de l’évêque a cessé de se faire entendre, Jeanne se jette à genoux el se met à prier. Il Trinité sainte, s’écrie-t-clle, ayez pitié de moi. Je crois en vous ! Jésus, ayez pitié de moi. » Elle invoque la Vierge, ses saintes, saint Michel. « O Marie, priez pour moi ! saint Gabriel, sainte Catherine, sainte Marguerite, soyez à mon aide ! » Elle n’entend pas qu’on s’en prenne à son roi. « Il n’est pour rien dans ce que j’ai fait : si j’ai fait mal, il est innocent. » A la pensée des qualilicalions qui lui sont appliquées, elle s’écrie : « Non, je ne suis pas hérétique, je ne suis pas schismatique ; je suis une bonne chrétienne. Vous, i)rêlres, dites chacun une messe pour le repos de mon âme. » Ces supplications émouvaient les spectateurs. Les Anglais eux-mêmes ne purent s’en défendre. On vit jusqu’à l’évêque de Beauvais el au cardinal de Winchester répandre des larmes. Jeanne ayant demandé une croix, un Anglais en fait une avec deux morceaux de bois. Mais Jeanne voudrait la croix avec l’image de Jésus crucifié. Frère Isambard va lui en chercher une dans l’église voisine. La jeune liUe la couvre de baisers el prie le bon religieux de la >i tenir élevée devant ses yeux jusqu’au pas de la mort 11.

Cependant la soldatesque s’impatiente. Elle crie à Jean Massieu : « Hé ! prêtre, nous ferez-vous dîner ici ! B Le bailli, devant leijuel on mène la condamnée, ilit au bourreau : « Fais Ion devoir. » Les clercs du roi d’.

glelerre viennent prendre el conduire Jeanne au bûcher. Elle en gravit les degrés avec frère Ladvenu, et le bourreau met le feu. Jeanne aperçoit la flamme. " Frère Martin, s’écrie-t-ellc, descendez : le feu. 1) Elle ajoute : « Elevez la croix, que je puisse la voir » (Juand la flamme l’atteint : « De l’eau bénite, de l’eau bénilel » demanda la suppliciée. Parmi les crépitements de la flamme, on l’entend invoquer à plusieurs reprises le nom de Jésus. Le feu gagnant toujours, elle s’écrie : a Saint Michel, saint Michel ! non, mes Voix ne m’ont pas trompée ! Ma mission était de Dieu. » Un peu après, elle dit encore :

« Jésus, Jésus, Jésus ! » Enfin un dernier cri, poussé

d’une voix forte, dans lequel s’exhale son âme de vierge, de martyre et de sainte : « Jésus ! »

C’était le 30 mai 1 43 1. Jeanne n’avait pas vingt ans.

V. — Jeanne d’Arc et sa « mission de survie ».

— Expulsion des Anglais. — Réhabilitation et glorification.

En livrant leur ennem’e au bûcher, les Anglais

comptaient bien rendre impossible l’achèvement de l’œuvre que l’envoyée de Dieu avait annoncée et qu’elle n’avait pu accomplir de son vivant. Ils eussent eu raison si la mission de Jeanne d’Arc n’eût été qu’une mission huuiaine.

A la mission de survie se rapportaient, avec la continuilé de l’élan patriotique, les événements que la Voyante avait prédits comuie les étapes certaines du triomphe final, c’est-à-dire l’expulsion de l’ennemi héréditaire et la délivrance du territoire français. Militairement parlant, si Jeanne n’eût pas fait lever le siège d’Orléans en i^^y, Talboten ilib’i n’aurait pas perdu la bataille de Caslillon, et les Anglais n’auraient pas été, à la suite de cette défaite, contraints de rentrer dans leur ile. Moralement parlant, si Jeanne, éclairée de Dieu, n’eût pas à plusieurs reprises fait savoir à tous, amis el ennemis, l’issue inévitable de la lutte qu’elle allait engager el les événements inattendus qui devaient y conduire, l’àme française n’eût pas tressailli d’espoir, et le patriotisme n’eût pas eu le dernier mot.

Jeanne n’ignorait pas qu’il en seraitainsi.etque sa

« mission de survie » couronnerait et achèverait sa
« mission de vie. De telle sorte que « s’il convenait à

Dieu — ce sont ses propres paroles — qu’elle mourût avant que ce pour quoy il l’avait envoyée fût acconqili, après sa mort, elle nuirait plus auxdits Anglais qu’elle n’aurait fait en sa vie, el nonobstant sa mort, tout ee pour quoy elle était venue s’accomplirait u (Mathieu Thomassin, Procès, t. IV, p. 311). Tliomassin, témoin oculaire, ajoute en manière de eonllrmalion : « El il a été ainsi fait par la grâce de Dieu, comme il appert el est chose notoire de notre temps.

Ce sont les années écoulées entre 1431 el 1455-56, date du procès de réhabilitation, qui ont vu se produire les événements compris dans cette mission de survie. Jeanne les avait spécifiés en des circonstances parfois solennelles, à Chinon. Poitiers, Uoien.

Eu 1435, le 2 1 septembre, le duc Philippe de Bourgogne se réconciliait avec le roi de France et signait le traité d’.rras, qui enlevait à l’Angleterre son puissant allié. Le 4 se|>teml)re de cette même année, la mort du duc de Bedford délivrait Charles de son plus redoutable ennemi.

En I’436, le i." avril, le maréchal de l’Isle-Adam arl)orail la bannière de France sur les mvirs de Paris, le connétable de Richcmonl en prenait possession au nom du roi, et le 12 novembre de l’année suivante Charles VII entrait solennellement dans sa capitale recouvrée.

En 1440, le duc Charles d’Orléans, prisonnier des Anglais, voyait finir sa captivité, ainsi que l’avait assuré maintes fois l’héroïne, et il rentrait dans la cité orléanaise où devait naître l’enfant apjielé à régner sous le nom de Louis Xll.

Dans les années qui suivirent la soumission de Paris, les villes et provinces au pouvoir des Anglais se rangèrent de gré ou de force à l’obéisSvance de Charles VII. En 1449. la capitale de la Normandie redevenait française. Le lundi 10 novembre, le roi Charles reprenait possession de la ville où Jeanne avait subi son martyre. L’année suivante, le |5 avril, la victoire de Formigny ravissait aux. glais tout

espoir de demeurer en terre normande. Il ne leur restait plus que Bordeaux el la Guyenne. En juillet 14"’3, la bataille de Caslillon, où ïalbol fut mortellement blessé, leur enleva ce dernier boulevard ; le II) octobre, Bordeaux ouvrait ses portes aux chefs de l’armée royale, la France était rendue aux Français.

On s’est étonné que le -Saint-Siège ail attendu plus de vingt ans avant de sortir de sa réserve. C’est que