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JEANNE D’ARC

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avaient promis, à savoir de la « mener en Paradis ».

— « Prends tout en gré, lui dirent-elles : ne te chaille pas de ton martyre : tu l’en viendras enOn au royaume du paradis. » Dans la séance de l’aprèsmidi, quatre prétendus crimes furent reprochés à la Puceile, la mort de Franquet d’Arras. l’acliat du cheval de révoque de Senlis, le saut de Beaurevoir et la prise de l’habit d’homme.

Dans le sepliènie interrogatoire, le seul de la journée du jeudi 15 mars, l’évêque de Beauvais fit aborder la question de la soumission à l’Eglise, afin d’amener l’accusée à s’en rapporter à la décision de ses juges. L’évêque y reviendra dans l’interrogatoire suivant Avec ce sujet l’on traita, le 15mars, ceux des tentatives d’évasion de la prisonnière, de l’audition de la messe en habit d’homme, des témoignages de respect rendus aux saintes et à saint Michel, de l’enseignement que l’archange lui donnait.

Le samedi 17 mars vit la fin des interrogatoires de la prison. Il y en eut deux, l’un le matin, l’autre dans l’aiirès-midi. Saint Michel, la soumission à l’Eglise, l’habit d’homme, les apparitions des saintes Catherine et Marguerite, les anges que Jeanne avait fait peindre sur son étendard, fournirent la matière de la séance du matin. Dans la séance du soir on s’occupa de l’étendard, des noms « Jésus, Maria », des saintes Catherine et Marguerite, du sacre de Reims et de l’altitude que la Puceile y avait tenue.

A cette dernière séance assistèrent, avec les juges, les six docteurs de Paris. Entre autres incidents à noter, il y a celui de l’appel de l’accusée au Pape, sur lequel elle reviendra le jour du premier jugement. — « Ce que je requiers, dit-elle à révè<iue de Beauvais et aux assesseurs présents, c’est que vous me meniez devant notre seigneur le Pape ; alors devant lui je répondrai tout ce que je devrai répondre. » (Procès, t. I. p. 185.) Rappelons encore la superbe réponse qui termina la dernière séance. Le juge interrogateur demandant à Jeanne : « Pourquoi votre étendard fut-il porté en l’église de Reims, au sacre de votre roi, plutôt que ceux des autres capitaines ? » Jeanne répond : — « Il avait été à la peine, c’était bien raison qu’il fut à l’honneur. » (Procès, ibid., p., 87.)

Quelques mots sur ces quinze interrogatoires. Du côté des juges, le but qu’ils poursuivent jusqu’au bout ce n’est pas de mettre lacciisce à même de faire connaître la vérité, de lui en rendre la manifestation facile, mais de l’embarrasser, de la déconcerter par les questions, questions subtiles touchant à des sujets de théologie. Les interrogateurs passent brusquement d’un sujet à un autre. Pourquoi ? est-ce par inadvertance ? point du tout, c’est par suite d’un dessein arrêté, afin de troubler l’accusée, de l’amener à se contredire et à se perdre. Nous apprenons par l’instrument du procès que l’évêque de Beauvais tt ses conseillers employèrent les cinq jours qui suivirent le dernier interrogatoire public à préparer le programme des interrogatoires secrets.

Se proposant d’arracher à l’accusée l’aveu d’actes dans lesquels ils voulaient voir des pratiques démoniaques, il suffisait d’interrogations équivoques. dilliciles, incomprises, pour causer la perte de la Puceile. Tout historien impartial conviendra qu’il n’y a pas in seul interrogatoire danslequel, du côté deJeaniu’, on puisse relever des réponses vraiment compromettantes. Bien au contraire, il en est d’admirables à tous les points de vue, à celui de l’inlt Uigence. de la pénétration, de la mesure, d’une sorte de divination, comme à celui de la délicatesse, de la noblesse, de l’élévation des sentiments et du patriotisme. Les quinze interrogatoires du procès fussent-ils les seuls documents révélateurs de l’âme de la Puceile, qu’ils

lui assvireraienl une place de choix parmi les héroïnes <jui honorent leur pays.

Plusieurs fois la netteté de ses réponses arracha des approbations enthousiastes à ses auditeurs.

« Très bien, Jeanne, lui cria-t-on, très bien. » Le docleur

de Paris, Jacques de Touraine. lui demandant si elle s’était trouvée en des affaires où des Anglais avaient été tués : — « Sans doute, répondit Jeanne, j’y ai été. Mais pourquoi ne voulaient ils pas se retirer de France et retourner en leur paj’s ? — Ah I la brave tille, s’écria un seigneur anglais présent : c’est dommage qu’elle ne soit pas anglaise. » Au sentiment du nolaire-gretlier Manchon, jamais la prisonnière, dans une cause aussi didicile, n’eût pti se défendre contre des docteurs de cette force, des maîtres si habiles, « si elle n’eût été inspirée ».

.Iprès le procès d’office, le procès ordinaire. — Le lundi de la semaine sainte, 20 mars, l’évêque de Beauvais ayant réuni le vice-inquisiteur et douze assesseurs chez lui, déclara le procès d’office ou instruction préparatoire clos et le procès ordinaire ouvert Le promoteur présenterait son réquisitoire. L’accusée aurait à s’expliquer sur chacun des chefs d’accusation, et les articles sur lesquels elle refuserail de répondre seraient acquis au procès.

Le mardi 27 mars, le promoteur d’Estivet déposait sur le bureau du tribunal son réquisitoire qui comptait soixante-dix articles, et Thomas de Courcelles en donnait lecture en séance publique, ce jour-là et le jour suivant. Le mardi, on entendit les trente premiers articles ; le mercredi, les quarante derniers.

Ce réquisitoire n’est autre chose que le résumé de la vie de la Puceile, de ses faits et dits, tels que les témoins anglo-bourguignons, les enquêtes ordonnées par le tribunal, et les préjugés des juges les avaient présentés : faits et dits faussés, inventés, dénaturés, sauf un petit nombre, et tendant à montrer dans l’accusée une aventurière elun personnage démoniaque. Ainsi, d’après le promoteur, Jeanne n’avait point été instruite chrétiennement, mais de vieilles femmes l’avaient formée à la pratique de la sorcellerie et des divinations (art. 4). — Elle visitait les lieux hantés par les fées (art. 5). — Elle portait sur elle une mandragore, pour arriver plus vite à la fortune (art. 7). — Elle s’était mise, vers ses vingt ans, avec des filles débauchées, au service d’une hôtelière de Neufchàteau, et y avait fréquenté des gens de guerre (art. 8). — C’est une consultation des démons qui lui apprit l’existence de l’épée de Fierbois (art. rg). — Elle avait jeté des sorts sur ses anneaux, son étendard et les panonceaux de ses hommes d’armes (art. 20). — Elle s’est faite orgueilleusement chef de guerre (art. 53). — En somme, on ne trouve dans sa vie <iue superstitions et sortilèges, choses provoquant l’elTusion du sang et sentant l’hérésie, malédictions et blasphèmes contre Dieu et ses saints, mépris de l’Eglise et révolte contre ses commandements. . ^’^~^—^^Sicarov (d)

A ces arlicles haineux, Jeanne opposa les réponses consignées dans les procès-verbaux des interrogatoires. Parmi ses répliques, il y en a de superbes : a Tout ce qui est ocjivre de femme lui répugne, dit le promoteur. — Quant à ces œuvres de femmes, répond dédaigneusement la jeune fille, il y a bien assez d’autres femmes pour les faire. » (.^rt. iG.).V l’accusation de s’être érigée en chef de guerre, elle répond : « Si j’étais chef de guerre, c’était pour ballrr les Anglais. » (Art.."iS.) Elle a dissuadé Charles Vil de faire la paix. II y a, reprit-elle, la paix avec les Bourguignons et la paix avec les Anglais. La ])aix qu’il faut avec les Anglais, c’est qu’ils s’en aillent en letir pays. » (Art. 18.)

Sur la question de la soumission à l’Eglise, Jeanne