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JEANNE D’ARC

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Commencement du procès (q janvier i’|31). — Le 3 janvier 11^3 1, par lettres patentes datées de Rouen, le roi d’Angleterre ordonnait que Jeanne d’Arc, sa prisonnière, a fût baillée à l’évêque de Beauvais pour faire son procès selon Dieu, raison et saints canons ». On le voit : c’est bien un procès anglais qui commence. Le juge que ce prince a choisi est sans compétence et sans juridiction. La Pucelle a été prise non sur le territoire du diocèse de Beauvais, mais sur celui du diocèse de Soissons, duquel dépendait Compiègne. Pierre Cauchon n’ayant sollicité de délégation ni des évéques ayant juridiction sur Jeanne ni du Saint-Siège, ne sera qu’un faux juge, le tribvinal qu’il constituera un faux tribunal, le procès ecclésiastique qu’il instruira un faux procès.

En possession de ces lettres patentes, l’évêque de Beauvais convoquait dans la maison du Conseil royal, pour le g janvier, huit maîtres et docteurs, et déclarait le procès ouvert. De concert avec ces personnages, le prélat désigna les ofliciers du tribunal. Lepromoteurchoisi fut Jean d’Estivet, vicaire général de P. Cauchon. Les notaires-greffiers furenlGuilIaume Manchon, prêtre et notaire de l’ollicialitè de Rouen, et Guillaume Colles, dit aussi Bois Guillaume. A Jean Massieu, prêtre rouennais, fut confié l’office d’exécuteur des commandements du tribunal, c’est-à-dire d’huissier. Jean de la Fontaine fut nomme examinateur des témoins.

Avant de voir le tribunal à l’œuvre, disons en quelques mots ce qu’était un procès ecclésiastique en cause de foi Dans ces procès, on jugeait d’ordinaire des fidèles accusés ou soupçonnés d’erreurs contre la foi ou de sorcellerie, magie et pratiques démoniaques. Les juges de ces procès étaient, de droit, ou bien l’évêque des accusés, désigné sous le nom d’Ordinaire à cause de la juridiction qu’il avait sur eux, ou bien l’Inquisiteur de la région ; dans certains cas, évêque et inquisiteur siégeaient l’un et l’autre. Ainsi en fut-il dans le procès de Jeanne. Mais ce procès ayant été ouvert, instruit, mené du commencement à la (in, par l’évêque de Beauvais, non par l’inquisiteur, il a été, non un procès d’Inquisition, mais vin procès de ! ’ « Ordinaire ».

Le procès jugé pouvait être un procès de chute ou un procès de rcclmte. Dans le procès de rechute, on ne pouvait juger qu’un accusé ayant déjà été jugé en cause de cliute : d’où ce nom de procès de rechute ou de relaps, et pour les accusés, celui d’hérétiques retombés ou relaps. Le procès de Rouen fut tout ensemble un procès de chute et un procès de rechute. Le procès de chute se termina par la sentence du 24 mai au cimetière de SaintOuen ; le procès de rechute par la sentence capitale du 30 mai sur la place du Vieux-Marché.

Dans tout procès de chute, on distinguait deux parties : l’une dite d’office, correspondant à ce que dans nos tribunaux on appelle l’instruction ; l’autre ordinaire, dans laquelle le promoteur prenait en main la cause et ne cessait de la poursuivre, jusqu’à ce que les juges, l’estimant suffisamment éclaircie, prononçassent la sentence de condamnation ou, en cas d’abjuration de l’accusé, une sentence dite d’absolution. Si, après avoir abjuré sous la foi du serment, l’accusé retombait dans quelqu’une de ses erreurs précédentes, les juges prenaient acte de la rechute et ouvraient le procès de relaps, qui aboutissait infailliblement à une sentence capitale et au supplice du feu.

La partie dite procès d’o//ice, ou l’instruclion, dura pour la Pucelle du g janvier au 26 mars. C’est en cette ])arlie qu’eurent lieu les six interrogatoires publics et les neuf interrogatoires de la prison. La partie dite procès ordinaire dura du 26 mars au >

24 mai. On y remarque le Réquisitoire de 70 articles, divers interrogatoires complémentaires, les délibérations sur les douze articles résumant le Réquisitoire la scène du cimetière de Saint-Ouen et la première sentence qui, la comédie de l’abjuration survenant, ne condamna Jeanne qu’à la prison perpétuelle. Là se termina le procès de chute.

La reprise par la Pucelle de l’habit d’homme fat qualifiée de rechute par les juges. Ils ouvrirent ce second procès le 28 mai, et en moins de trois jours tout fut expédié : le mercredi 30 mai, à neuf heures du matin, Jeanne était conduite au Vieux-Marché de Rouen, prcchce, sentenciée ; à onze heures ou onze heures et demie, elle était brûlée.

J)es assesseurs du procès. — Le droit canonique requérait que les juges d’un procès de foi se fissent assister par des « gens de savoir », periti, c’est-à-dire des théologiens, des canonistes, des juristes, et que, en tout cas, ils n’arrêtassent la sentence à porter qu’après leur avoir communiqué les pièces de la cause et avoir pris leur avis. Néanmoins les juges n’étaient point obligés de la suivre, même quand les assesseurs étaient unanimes. Les assesseurs n’avaient au procès que voix consultative et le pouvoir des juges demeurait absolu jusqu’au bout.

Le nombre des assesseurs à convoquer n’était point fixé. Dans les interrogatoires, deux assesseurs au moins devaient cire présents. Pour donner aux débats du procès de Jeanne la plus grande solennité, et surtout pour écarter toute défiance, l’évêque de Beauvais convoqua un nombre considérable d’ecclésiastiques. Le gouvernement anglais ne laissa pas ignorer aux clercs invités, séculiers ou réguliers, qu’il tenait à ce qu’ils répondissent à l’invitation ; au besoin, on saurait les y forcer. Cent treize ecclésiastiques ou juristes répondirent ; qualre-vingts étaient des suppôts de l’Université de Paris. Bon nombre de docteurs, de licenciés, de chanoines de Rouen et d’ailleurs, des religieux bénédictins, dominicains, frères mineurs parurent au procès, et en grande partie assistèrent aux deux sentences. Mais parmi ce grand nombre d’assesseurs, les maîtres qui remplirent le rôle le plus important et qui servirent de conseillers secrets à l’évêque de Beauvais furent ceux qu’envoya rUniersité de Paris, Jean Beaupère, Nicolas Midi, Guillaume Erard, Gérard I^euillet, Jacques de Touraine, Pierre Maurice et Thomas de Courcelles. Le gouvernement anglais paja généreusement tout ce monde. Chaque assesseur recevait vingt sols tournois par vacation, c’est-à-dire de 8 à 10 francs d’aujourd’hui, sans compter les gratifications, prébendes et dignités réservées à ceux dont on avait principalement à se louer.

Aucun procès en cause de foi ne pouvait s’ouvrir sans qu’une enquête ou information préalable eût établi l’existence de fortes présomptions contre l’accusée. Le samedi 13 janvier, l’évêque de Beauvais manda six assesseurs cliez lui sous prétexte de leur donner communication des informations qu’on avait recueillies et de certains mémoires sur les points qu’on y touchait. Le texte de ces informations et de ces mémoires eût dû être versé au procès. On l’y cherchera vainement, et jamais officiers du tribunal ou assesseurs n’ont déclaré en avoir eu connaissance.

En février, Pierre Cauchon requit le vice-inquisiteur de Rouen, Jean Lemaître, de s’adjoindre en qualité de juge au procès. Jean Lemaitre se récusa. Sans attendre que le grand inquisiteur eût obligé Jean Lemaître à s’exécuter, l’évêque de Beauvais décida que, vu les pièces examinées, « il y avait matière suffisante pour que la Pucelle fût citée en cause de foi ». En conséquence, le 20 février, Jean Massieu, au nom du tribunal, vint dans le cachot de Jeanne la sommer