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JEANNE D’ARC

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sainte et se disait n envoyée pour la consolation des niallieureux et des pauvres » (Procès, t. III, p. 88). Les bonnes jrens n’avaient pas tout à fait tort de parler ainsi. Ne vit-on pas. en ces jours de deuil national, un chancelier du royaume, Regnault de Chartres, archevêque de Ueinis, s’oublier jusqu’à écrire que Jeanne avait eu à Compiègne « le sort qu’elle méritait ? Elle ne voulait croire conseil et faisait tout à son plaisir » (Procès, t. V, p. 168-169.)

De Compiègne à Rouen. — Le bâtard de Wandonne, à qui Jeanne avait été remise prisonnière, était un chevalier au service de Jean de Luxembourg, lieutenant du duc de Bourgogne, ("était donc Jean de Luxembourg qui devenait l’arbitre du sort de la Pucelle. Au bout de trois ou quatre jours, pendant lesquels la captive vit la duchesse de Bourgogne à Noyon, ce seigneur l’envoya au château de Beaulieu, en Vermandois. Elle y resta deux mois. Deux pensées l’y obsédèrent : la crainte d’être livrée aux Anglais, et la crainte que Compiègne ne fût prise d’assaut. Pour aller rejoindre les défenseurs de la ville assiégée et pour recouvrer sa liberté, elle tenta de s’évader : elle avait à moitié réussi, lorsque le portier du château survint et la remit en lieu sur. O fut pour Jean de Luxembourg un motif de transférer Jeanne en son château de Beaurevoir, entre Saint-Quentin et Clambrai, et de lui donner pour prison une tour très massive et très liante. A Beaurevoir résidaient la tante et la femme de Jean de Luxembourg. Ces nobles daines furent pleines d’égards pour la captive. Mais ces égards ne la consolaient pas. Malgré ses saintes, qui l’assuraient de la délivrance prochaine de la ville assiégée et la détournaient de son entreprise. Jeanne attacha des linges ensemble, les suspendit à une fenêtre, et essaya de se sauver. Les linges se rompirent. Précipitée au bas du donjon, elle y resta sans mouvement. Enfermée de nouveau, il lui suffît de trois ou quatre jours pour être réconfortée. Sainte Catherine lui dit de se confesser ; que, d’ailleurs, avant la Saint-Martin d’hiver, Compiègne serait secourue. En effet, sur la lin d’octobre, le siège de cette ville était levé ; mais Jeanne elle-même, à cette date, était vendue et, peu après, livrée aux Anglais.

Le duc de Bedford et les dirigeants du parti anglais avaient dressé leur plan en conséquence. Ce plan consistait à obtenir que la personne de la captive fût remise au roi d’Angleterre, et à la faire juger, de telle sorte que sa mort devint inévitable. On y réussirait au moyen d’un procès criminel ecclésiastique pour cause de pratiques démoniaques et d’erreurs contre la foi. Un procès semblable devant être jugé par des gens d’Eglise, le gouvernement anglais y gagnait de ne point paraître poursuivre une vengeance personnelle, et d’en avoir tout le prolit.

Pour l’exécution de ce plan, il fallait avant tout à l’Angleterre des hommes et un tribunal ecclésiastique à sa dévotion. Elle les trouva dans l’Université de Paris et dans la personne du conservateur de ses privilèges, Pierre Cauchon, évêque de Beauvais. Avec leur concours, le gouvernement anglais obtint que Jeanne lui fût cédée à prix d’or. Il obtint qu’elle fût jugée par un tribunal qui la condamna en qualité d’hérétique relapse, et qu’elle fût déshonorée et brûlée. « Déshonorée et brûlée », disons-nous ; car on tenait à pouvoir dire que le roi de France Charles VII élail redevable (le son sacre et de son royaume à une aventurière de bas étage.

La première chose à obtenir, c’était que Jean de Luxembourg consentît à livrer la captive soit par crainte, soit par intérêt. On mit donc en œuvre l’intimidation d’abord, l’intérêt ensuite.. la première

heure, l’Université de Paris, toute dévouée au gouvernement anglais, entrait en scène. Le 25 mai, on apprenait dans la capitale la prise de la Pucelle. Le ï6, une lettre du vicaire général du grand Inquisiteur et une requêtede l’Université de Parissommaieiit le duc de Bourgogne de faire livrer la Pucelle « soupçonnée véhémentement d’hérésie, pour lui faire son procès comme de raison ». Fin juin, une lettre subséquente de Y Aima mater proposait au duc Philippe de faire remettre la prisonnière, s’il le préférait, à l’évêque de Beauvais, sous le prétexte qu’elle avait été appréhendée en sa juridiction spirituelle. Dans les premiers jours de juillet, Pierre Cauchon prenait à son tour la plume et écrivait dans le même sens au duc de Bourgogne, à Jean de Luxembourg, et au bâtard de Wandonne. Mais, preuve qu’il avait reçu du gouvernement anglais pleins pouvoirs pour agir par l’intérêt encore plus que par l’intimidation sur le châtelain de Beaurevoir, l’évêque de Beauvais offre « au nom du roi d’Angleterre » une somme de dix mille livres, à la condition que ladite femme lui soit livrée..Sur la fin d’août, les parties étaient tombées d’accord. Il n’y avait à attendre que la mort de la vieille comtesse de Ligny, tantede Jean de Luxembourg. Le 13 novembre, cette noble demoiselle mourait à Boulogne. Quelques jours a[irès, les dix mille livres tournois promises étaient comptées ; la vente de la Pucelle était un fait accompli. De Beaurevoir, on l’avait déjà transférée dans la prison d’Arras oii elle demeura quelque temps. Livrée aux « jfficiers de l’Anglelerre, elle traversa le Crotoy, Saint-Valéry, Eu, Dieppe et, sur la fin de décembre, elle arrivait à Rouen. Pour prison, une tour du château royal lui fut donnée : on l’y enferma dans une cage de fer construite exprès. Durant près de deux mois, jusqu’au 21 février, jour du premier interrogatoire public, la malheureuse jeune fille y resta attachée par les pieds, par les mains et par le cou.

Procès de la Pucelle. — Le duc de Bedford, de concert avec l’Université de Paris, arrêta que la Pucelle serait jugée en cause de foi pour crime d’hérésie et de sorcellerie, et que Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, présiderait le tribunal. En même temps, on convint de la forme sous laquelle le procès serait présenté au public. Pour le public et en apparence, le procès de Jeanne serait un procès canonique régulièrement constitué et fonctionnant de même. Dans la réalité, il serait un procès anglais de vengeance d’Etat, jugé per fas et nefas de manière à procurer à l’Angleterre la mort de sa victime et un arrêt infamant dont le contrecoup frapperait Charles VII lui-même.

Faux procès ecclésiastique, ouvert uniquement par ordre du roi d’Angleterre, mené par un juge de son choix sans pouvoirs et sans compétence : procès dans lequel les règles les plus essentielles du droit sont violées, des pièces gênantes sont détruites, des testes faux mis à leur place ; procès enfin dont on laisse tout ignorer au Saint-Siège, de crainte qu’il n’évoque la cause à son tribunal, comme il le fit pour celle des Templiers, auquel cas la Pucelle n’eût jamais été condamnée : voilii ce que, dans la réalité, a été le procès de Rouen.

.ssurément ce n’est pas ce qu’on voit dans lelexte de l’instrument ofliciel : en ce texte, Pierre Cauchon n’a dit que ce qu’il voulait que crût la postérité. Mais à côté du procès de condamnation, il y a le procès de réhabilitation qui en a découvert les dessous, dénoncé les iniquités et fait connaître ce que les juges de la Pucelle eussent voulu qu’on ignorât à jamais. C’est l’étude comparée des deux procès qui a conduit les historiens au résultat que nous venons de préciser.