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pensées morales, charité et patience, intention pure. Notons la place faite aux devoirs intérieurs. Quant aux devoirs envers la divinité, ils sont nécessairement très vagues, puisque, à vrai dire, il n’y a pas de divinité, ils tiennent en ces trois points ; respect du bouddha, de la loi et de la confrérie.

Mais, à côté de cette morale, athée parce qu’on n’y voit rien qui rappelle une autorité supra-liuinaine, religieuse cependant, parce qu’elle a pour Un d’orienter l’homme vers sa destinée délinitive, il y en a une strictement laïque, où le Shinto, Bouddha, Confucius ont encore chacun mis du leur et qui est plus spécitiqueaxent japonaise. C’est le code des anciens chevaliers, des buslii^ le hiishijo.

Tout à la base se trouve l’obéissance quasi religieuse du shintoïste au mikado, lils et représentant des dieux. Là-dessus, le confucianisme ajouta ses théories de piété liliale, précisa les devoirs sociaux, fut maître de calme, de bienveillance, de politesse aristocratique. Le bouddhisme, au xiii’siècle, pénétra le tout d’un vague mysticisme. Un vieux maître d’escrime disait, quand il avait appris à son élève tous les secrets de son art : « Et au delà, il y a le zen » ; le zen, c’est-à-dire « l’effort de l’homme pour atteindre à Iraversla méditation, les zones de pensée ultérieures à toute expression verbale » (Lafc-uio Hearn, Exotics and représentatives, p. 81). Cet étrange mysticisme s’évanouit avec le temps, aumilieuWes horreurs féodales. Au xvii’siècle, le hushido était strictement laïque et stoïcien. Aujourd’hui, il est revenu à son point de départ shintoïste et se confond avec le patriotisme le plus exalté. Ue tous temps, il a comporté le mépris pour 1.1 douleur et la mort, le scrupule du point d’honneur poussé à ce point qu’on recourt au suicide pour des bagatelles, la possession de soi, la surveillance des passions, l’humanité, la droiture, l’inviolable lidélité aux devoirs de lils, de sujet, de vassal.

Cet ensemble moral n’est pas sans grandeur. Mais si l’on regarde de près, les vilain s côtés paraissent vite. Les préceptes bouddhiques sur la chasteté, la profession d’impassibilité dans certaines rencontres, etc., n’empêchent qu’on ait pu écrire : « Dans l’idéal du bushi, on trouve de tout, sauf cela (la chasteté), on y trouve même exactement le contraire. » (Bhinklev. .l, t.’i’j.ovencoTe, Correspondant, 1891. Levéntable Japon. Les mœurs du par^ et le catholicisme.) Les panégyrislesdu bouddhisme lui savent gré d’avoir fait l’éducation littéraire et artistique du Japon. Soit, mais il n’a pas su lui apprendre à penser ; et, faute de pensée, tout ce qu’a produit le Japon ne dépasse guère le joli et le piquant. L’art y est superliciel. L’idéal de vie paraît généreux ; mais en réalité, tantôt il n’atteint pas la limite qu’enseigne la raison, tantôt il la dépasse. Un grand mépris de la vie, mais si grand qu’il semble contre nature, et aboutit à un vrai gaspillage d’héroïsme. Une possession de soi parfaite, mais avec un fond irréductible de dissimulation. Beaucou[> de douceur et de pitié pour les bêtes, mais beaucoup moins pour les hommes : on achète les petits oiseaux pour leur rendre la liberté, et, pendant des siècles, le sang coule à Ilots dans les guerres féodales égoïstes, et dans les persécutions religieuses. Renoncement au monde (l’nvi’o), mais beaucoup moins pour la poursuite d’un idéal élevé que par pessimisme, haine de l’action, et goût des loisirs enchantés, Enlin, en dépit des préceptes moraux, mais en conséquence de la doctrine sur les vies successives, afTaiblissement du sens de la responsabilité, de la conscience personnelle et de la liberté vraie La théorie panthéisliique « de la cause et de l’effet » (in^iia), qui établit un lien nécessaire entre tout ce qui est de l’homme et le bouddha

primordial, essence universelle des choses, a donné au Japonais ce fatalisme foncierqu’on découvre, sans creuser beaucouj), sous son imperturbable calme et sou héroïsme stoïiiue.

VllI. Du XIII’^ siècle au XIX. — Le grand essor du bouddhisme japonais, commencé au ix" siècle, eut sou apogée au xiii", après l’établissement du shogunat. Les shoguns, laissant le shintoïsme olllciel du niik ado, lirenl du bouddhisme la vraie religion d’Etat. Les bonzes en abusèrent. Durant l’anarchie féodale qui s’étend jusqu’à la Un du xvi" siècle, on ne vit que moines guerriers et batailleurs ; bonzerie contre bonzcrie, ou bonzerie contre château. Cette situation ne fut pas sans favoriser les premières conquêtes du catholicisme, inaugurées en 1548 par saint François Xavier. Les choses en vinrent au point que Nobunaga, maître du Japon central, résolut d’exterminer bonzes et bouddhisme, et ne recula pas devant de vastes massacres Les shoguns ses successeurs, Hideyoshi, leyazu, etc., jugèrent plus habile de s’attacher les bonzes par des faveurs, tout en les teniint de trèscourt.Les prêtres bouddhiques en proUtèrent pour pousser à fond leur guerre contre l’Evangile.

En une quarantaine d’années, les missionnaires jésuites portugais avaient conquis sur l’inlidélité un demi-million de Japonais, Mais l’apostolat catholique fut compromis par l’ambition politique des Espagnols. Les bonzes en proUtèrent pour prendre leur revanche, et, cachant sous les apparences d’une défense nationale ce qui était surtout une persécution religieuse, ils déclarèrent au christianisme une guerre à mort. Un siècle après le passage de Xavier, de l’église japonaise il ne restait que des ruines. Mais ce triomphe devait coûter cher aux bonzes. Les chrétiens réduits à rien, ils virent se lever de nouveaux ennemis.

Ce fut d’abord, au xvii" siècle, le rationalisme chinois de la vieille école Tchou-hi (xii" siècle), matérialiste et athée. Puis il se trouva des archéologues (Maboutchi, Motoori, Norinaga, Hirala, etc.) pour ressusciter le shinto. Ce mouvement ne répondait à aucun besoin religieux, et pendant longtemps resta circonscrit dans un petit cercle d’intellectuels. Mais avec le temps, il se trouva préparer les voies à la grande révolution impérialiste et patriotique de 1868.

IX. Situation actuelle. — Le mikado, fils des dieux, reprenant après mille ans sa puissance conlisquée par les bouddhistes, ne pouvait qu’exalter le shinto. Il se souvint, commeau sortir d’un long sommeil, que la religion de Shaka et A’.iniida était chinoise ; dix siècles n’avaient pas établi de prescription. Le bouddhisme fut « désétabli », obligé de rendre au shintoïsme les temples qu’il avait usurpés et encombrés de ses idoles, et même pendant quelque temps, presque persécuté. Aujourd’hui des meilleurs jours sont venus : la liberté de conscience a été proclamée en 188g. Le gouvernement utilise le bouddhisme à l’étranger, surtout en Chine, comme instrument d’expansion. Mais, à l’intérieur, il a perdu toute situation ollicielle et toute influence sur l’esprit. L’athéisme légal des écoles et des administrations continue à saper son iniluence populaire. Il ne compte plus pour les gens instruits, ((ui souvent affectent de l’ignorer. La place laissée libre est occupée de plus en plus par l’agnosticisme radical et toutes les théories rationalistes importées d’Europe oui d’Américpie.

Dans le peuple, les superstitions sont vivaces. On croit toujours aux possessions par le renard ou le chat (MiTh’ouo, Taies ofold Japan). Les bonzes continuent à faire un grand commerce de charme-^,