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FRANC-MACONNERIE

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duc d’Aiguillon, le docteur Guillotin ; noiuinons aussi le Chib Breton, — future Société des Amis de la Constitution et Club des Jacobins, — que les francsmaçons de la Constituante organisèrent sur le modèle du Grand-Orient, qui eut dans la France entière des filiales apparentées aux loges, et où se tinrent, en dehors des réunions publiques, des réunions secrètes entre seuls initiés. (Voir le Précis d’Histoire de la Franc-Maçonnerie duM/. Mm..M., Acacia de mai 1908, p. 336.)

Ajoutons que les idées subversives répandues en France l’étaient aussi dans le reste de l’Europe : en Allemagne, notamment, FaiiDiinic II, adepte enthousiaste de r « éclaircissement » (AufkUirung) ou Libre-Pensée philosophique, protégeait la Franc-.Vlaçonnerie ; Lessixg, le principal représentant de cet i< éclaircissement » dans la littérature allemande, appartenait aux loges, ainsi que Goetiib, Herdkh, AViEL.N’D, NicoLAi, etc.

Ces simples faits suffisent déjà à justifier le titre du dernier ouvrage de M. G. Bonn, « La Conspiration révolutionnaire de Il SO », et à expliquer l’étrange consensus, l’artificiel « truquage » que nous avons nous-mênie signalé dans Les doléances rét’olutionnaires des culiiers de 1189 (Tirage à part d’un article de la Bei’ue des Questions Historiques du 15 juillet 191 o). Et pourtant, il se trouve encore des historiens

— maçonniques ou non — pour nier la part prépondérante que prit la Franc-Maçonnerie dans l’explosion de 1789 ! Le M.". Hiram, par exemple, traite de « légende » la doctrine des écrivains qui soutiennent que la Fr.-. M.-. « a fait la Révolution », et rejette sur les… jésuites la responsabilité de la Terreur ! « Elle (la Fr.’. M.".) l’a simplement préparée (la Révolution), concède-t-il, et encore pas volontairement, sans prévoir le cours que suivraient les événements it. (Acacia, mai 1908, p. 335 et suiv.) M. V. Vogt traite de ridicule le « bilan maçonnique » pour 178g. et déclare sans ambages : « Ne nous laissons pas berner plus longtemps : la Franc-Maçonnerie, tant mondiale que française, n’a préparé aucune ruine, et de sa vie elle n’a précipité ni avancé aucune chute. » (La grande duperie du siècle, Paris, Bertout, igoij, p. XIV. Voir aussi A. d’AlmiSras, Les romans de l’Histoire, Cagliostro, Paris, 1904, p. 7^, 93 et sui’.) Il y a là une illusion, un malentendu, qui tiennent à deux causes principales : l’état du personnel des loges au xviii" siècle, et leur sommeil » à l’époque révolutionnaire.

Avant 1789, les états des loges ressemblent à des annuaires de la haute noblesse. Depuis 17^3, les Grands-Maîtres étaient des princes du sang. Le pieux Louis XVI et ses frères étaient eux-mêmes maçons protecteurs : « Versailles devint une vaste loge, écrit à ce sujet G. Bord : on coudoyail le maçon aussi bien dans l’Œil-de-Bœuf qu’à l’ollice et au corps de garde. Hauts dignitaires de l’armée et de la magistrature, maisons du roi et des princes, maison de la reine, gardes du corps, chambre du roi… tout ce monde… avait prêté serment à la fois entre les mains du vénérable de sa L.’. et à la personne du roi. » (/-a F.-. M.-. en France, I, p. xxiv.) Le clergé lui-même était gangrené : la loge des Neuf-Sœurs par exein[)le, présidée par La Lande (de l’Académie Royale des Sciences), avait pour surveillants (outre de Meslay, président de la Chambre des Comptes), l’abbé de Rouzeau, de la Société Royale de Biscaye ; pour orateur, l’abbé Remy, avocat au Parlement ; pour garde des sceaux, de Barrctt, directeur des études de l’Ecole Royale Militaire) ; pour archiviste, le clianolne Robin ; pour architecte, le marquis d’Ouarville) ; pour hospitalier, l’abbé Ilumbert ; pour aiiniùnier, l’abbé Matagrin ; pour inspecteur, l’abbé Genay, avocat au Parlement ;

pour député au Grand-Orient, le marquis de Lort ; parmi ses i(54 membres, on remarque vingt personnages titrés (comme les princes de Salm-Salni et de Rohan), et 1 1 abbés. (Voir L. Amiable, Une Loge Maçonnique d’avant IIH’.I.’)

La lettre qu’écrivait Marie-Antoinette à la princesse de Lamballe le 7 novembre 1781 indique l’état d’esprit des initiés et des profanes : « J’ai lu avec intérêt ce qui s’est fait dans les loges maçonniques que vous avez présidées au commencement de l’année et dont vous m’avez tant amusée ; je vois qu’on n’y fait pas que de jolies chansons, et qu’on y fait aussi du bien. » Candeur inouïe, confirmée par l’adresse qu’envoya le 31 mars 1782, à tous les ateliers de France, la loge La Candeur (présidée par le due de Chartres) : on y réclamait des souscriptions pour offrir au roi un vaisseau de 110, canons qui serait appelé Le Franc-Maçon : a Grâce au zèle de tous les frères pour la propagation de l’Ordre, — disait l’appel, — il y a peul-élre un million de maçons en France. « (Cité par Pkllisson, Les loges maçonniques de l’Angouinois, p. 5.)

Que conclure de cet engouement ? Mais exactement le contraire de ce qu’en a conclu M. d’Alniéras ! En faisant la conquête de l’aristocratie française, la Fr.-. M.", a détruit l’armature politique et sociale de l’ancien régime et privé la monarchie de ses appuis naturels : lorsque éclatera la Révolution, l’écroulement s’opérera de lui-même et les « illuminés » qui avaient eu la naïveté, la sottise de livrer leur âme aux doctrines de mort, monteront de leurs propres mains les bois de justice qui les tueront. Le machiavélisme infernal qui amena ainsi leur expiation n’empcche nullement d’aflirmer avec l’orateur du Couvent de 190J : « Des loges sortent et le mouvement formidable qui a fait la Révolution, et les bases d’une république égalitaire et fraternelle. » (Discours de clôture, reproduit dans La Franc-Maçonnerie démasquée, 25 mai 1910, p. 158.)

Les loges, par leurs doctrines égalitaires. librespenseuses — et finalement anarchiques, — avaient donc enfanté la Révolution ; et si la Révolution, par le jeu de ses propres lois, sacrifia ensuite ceux qui l’avaient préparée, il n’y a rien là que de très naturel. L’histoire de l’époqvie révolutionnaire est pleine du reste de ces surprises tragiques, et si l’on admettait l’innocence de ceux qui ont alors versé leur sang ou souffert la spoliation et l’exil, il faudrait admettre que le grand drame n’eut point d’acteurs, puisqu’ils furent à tour de r61e marqués pour la guillotine.

Il est vrai que les documents établissant la participation directe des loges à telle ou telle journée révolutionnaire sont fort rares. Mais, en admettant que cette rareténe provienne point d’habiles suppressions, ou du soin que mirent alors les maçons à ne laisser aucune trace écrite de leurs agissements (on a vu tout à l’heure ce ([uc dit le M.’. Hiram des séances secrètes du Club des Jacobins, séances dont il ne subsiste aucun acte), il n’y a pas lieu de s’étonner du

« sommeil » des loges : ce sommeil n’était qu’apparent, 

puisque les sociétés populaires, clubs, comités révolutionnaires, en occupaient le personnel et en faisaient vivre les doctrines ; il était nonmoinsindifférent, puisque le « grand œuvre » était accompli et que la France « régénérée » était comme un immonse M atelier ».

Nous trouvons exprimée la même pensée dans l’adresse que les francs-maçons de Draguignan envoyèrent à la Constituante en juillet 1790 : « Notre morale, — disaient-ils aux représentants du juniple,

— est conforme à votre législation et les règles de notre architecture à l’édifice constitutionnel que vous bâtissez. » Ils ajoutaient : « Dans notre vaste