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JANSÉNISME

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en complétant son précurseur, la seconde partie du Baïanisiue. Ces détails montrent comment le P. du Chesnea pu, sans peine, établir une exacte concordance entre la doctrine de VAugustinus et le système de Baïus, pris dans son ensemble. La conclusion est que Jansénius a suivi, de son devancier, plan et erreurs, comme la glose suit le texte. Primitivement d’ailleurs, il avait eu le dessein d’intituler son livre Apologie de Baïus (’Histoire du Baïanisme, liv. IV, § Lxxviii-Lxxxi et xix). Le P. Rapin donne une analyse détaillée de VAugusiinus, dans son Histoire du Jansénisme (Vivre X, p. 479-^84).

Le fond du livre est la doctrine de la délectation relativement victorieuse, c’est-à-dire de la délectation qui se trouve actuellement supérieure en degré à celle qui lui est opposée. Depuis la chute d’Adam, la délectation est l’unique ressort qui remue le cœur de l’iiomme, inévitable quand elle vient et invincible quand elle est venue. Si cette délectation est céleste, elle porte à la vertu ; si elle est terrestre, elle détermine au vice, et la volonté se trouve nécessairement entraînée par celle des deux qui est actuellement la plus forte. L’homme fait donc invinciblement, quoique volontairement, le bien ou le mal, selon qu’il est dominé par la grâce ou la cupidilé. Sa volonté est nécessairement soumise à la délectation actuellement prépondérante. De là sortent les autres parties de l’ouvrage, comme autant de suites ou de corollaires, formant dans leur ensemble le système que nous avons brièvement résumé au début de cet article.

.insi en découlent les cinq fameuses propositions qui sont la quintessence ou, comme Bossubt l’a écrit dans sa lettre au maréchal de Bellefonds (vers 30 sept. 1667. Edit. Lâchât, t. XXVI, p. 209), l’âme du livre. Pour achever de faire connaître VAugustinus, rien de mieux que de les citer :

I. Quelques commandements de Dieu sont impossibles à des justes qui désirent et qui tâchent de les garder, selon les forces qu’ils ont alors ; et ils n’ont point de grâce par laquelle ils leur soient rendus possibles.

IL Dans l’état de nature corrompue, on ne résiste jamais à la grâce intérieure.

III. Pour mériter et démériter, dans l’état de nature corrompue, on n’a pas besoin d’une liberté exemple de la nécessité d’agir ; mais il suffit d’avoir une liberté exempte de contrainte.

IV. Les serai-pélagiens admettaient la nécessité d’une grâce intérieure et prévenante pour chaque action en particulier, même pour le commencement de la foi ; et ils étaient hérétiques en ce qu’ils prétendaient que cette grâce était de telle nature que la volonté de l’homme avait le pouvoir d’y résister, ou d’y obéir.

V. C’est une erreur des semi-pélagiens de dire que Jésus-Christ soit mort, ou qu’il ait répandu son sang pour tous les hommes sans exception.

Liées comme elles sont à la théorie fondamentale de la délectation relativement victorieuse, il n’est pas malaisé de montrer que ces cinq propositions sont bien de Jansénius. Elles se lisent d’ailleurs dans VAugustinus, toutes les cinq, sinon mot à mot ou quasi mot à mot, comme la i" (t. III, I. 11, c. 13), au moins dans des termes équivalents, comme les quatre dernières (la 2’. t. III, 1. 11, c. 24 ; la.3’, t. III, 1. VI, c. 38 ; la 4*, t. I, I. viii, c. 6 ; la 5’, t. III, I. iii, c. ai). C’est seulement aux approches de la condamnation que les Jansénistes ont commencé d’émettre des doutes à cet égard (Mavnabd, f.es Provinciales et leur réfutation, t. II, p. 280 et suiv. — De Mas, Histoire des cinq pm/iosilions, Edit de 1702, t. I, liv. i, p. 65 et suiv. ; t. III, i" Eclaircissement, p. i).

Postérieurement, l’on a eu l’idée de distinguer entre le Jansénisme grotesque, celui qui a été condamné dans les cinq propositions, et la doctrine de Port-Royal, adoucie encore dans les Réflexions momies de QuBsxEL. C’est un subterfuge ou un leurre. D.ms le fond, il n’y a eu qu’un seul Jansénisme, nettement démasqué dans les cinq propositions, ou dissimulé habilement par le parti sous des expressions équivoques, mais demeuré toujours le même, le Jansénisme de VAugustinus. C’a été aussi celui d’Arnauld et de Port-Royal, et Quesnel l’a revêtu des dehors de la piété dans ses Uéflexions morales. Si on veut l’étudier à fond, on peut consulter V Histoire du Jansénisme du P. Rapin (liv. X), et surtout l’excellent ouvrage du P. Dbchami’s : De hæresi janseniana. Ce que nous avons dit montre assez comment la théologie jansénienne renverse complètement, avec l’espérance chrétienne, toute morale raisonnable, toute liberté dans l’homme, toute justice en Dieu (Pluqcet et Claris, Dictionnaire des hérésies, art. Jansénisme. — Maynari>, Les Provinciales et leur réfutation^ t. I, p. 14-21 ; t. II, p. 287-292).

III. — La deuxième période : le Jansénisme depuis les cinq Propositions jusqu’à la Paix de Clément IX (1649-1668).

A. La qiestion nn droit (i" juil. iG41j-31 mai iG53).

— Au début de cette période, les esprits sont tout entiers à la question de droit, qui consiste à établir que les cinq ])ropositions sont vraies ou qu’elles sont fausses.

Nicolas Cornet, syndic et docteur de Sorbonne, dénonce à la Faculté sept propositions théologiques dont les cinq premières renferment ce qu’il y a, dans VAugustinus, de plus contraire à la foi ("juillet 1649). O"* décide de les examiner, et des commissaires en préparent la censure. Mais, une intervention du Parlement ayant suscité des difficultés, une autre voie est prise : la cause est déférée à Rome par une lettre approuvée et signée de quatrevingt-cinq évêques, auxquelstrois autres sejoignent dans la suite. L’évêque de Vabres (Isaac Habert) l’avait composée (1650). De leur cùté, ceux de Port-Rojal font présenter au Pape une supplique en sens opposé (10 juillet iG51), mais, parmi les évêques de France, onze prélats seulement l’ont souscrite. Innocent X avait déjà formé une congrégation (12 avril)G51) ; après un sérieux examen, il donne la bulle Cum occasione, par laquelle il censure et qualilie chacune des cinq propositions (31 mai 1653). Il la fait afficher le 9 juin.

D’après leur conduite et leur ?* écrits, il paraît bien que, jusqu’au moment où l’affaire fut portée devant le Saint-Siège, les Jansénistes, tout en répétant que les propositions étaient équivoques et forgées à plaisir, s’accordaient avec leurs adversaires sur le sens propre de ces propositions (le dogme de la grâce nécessitante), lequel, selon eux, était celui de Jansénius. Ce sens, affirmaient-ils aussi, exprimait la doctrine de saint Augustin, qu’ils ne distinguaient jamais de celle de Jansénius ou de la leur. C’est alors du droitqu is disputaient. Plus tard, au cours du procès, quand ils pressentirent la condamnation, leurattitude changea : les meneurs et leurs députés à Rome cherchèrent, par des expédients, à éterniser les débats : ils réclamaient des disputes, comme au temps des controverses de auxiliis, dont ces discussions, disaient-ils, étaient une suite naturelle ou une reprise. Dans chacune des propositions incriminées, ils découvraient des sens multiples, dont l’un, le sens i)ropre et légitime, celui qu’ils entendaient, contenait leur