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INTELLECTUALISME

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dit saint Paul, par l’ouïe, appuyée de raisons valables, la question demeure encore, de la manière de se l’approprier. La raison y suffira-t-elle, ou y faiidra-t-il absolument la bonne volonté ? La nature y suftira-t-elle, ou la grâce y sera-t-elle nécessaire ?

Tous sont d’accord pour confesser qu’on ne peut connaître la vérité de la Révélation surnaturelle de lu manière qu’il faut puur parvenir au salut [II" concile d’Orange, canons 5, 6, n. Concile de Trente, canon 3 de Jiistificatione. Drnzingbr, op. cit., n. 178-180 (148-150) et 813 (695)] sans une grâce surnaturelle de Dieu et sans un bon mouvement de la volonté libre. Penser autrement serait attribuer la foi salutaire aux forces de la nature, et tomber par conséquent dans l’hérésie pélagienne. Tous sont d’accord également aujourd’hui pour réprouver l’erreur de Georges Hermès, erreur moins radicale et cependant condamnée. Hermès ne disait pas qu’un assentiment naturel ])ùt être un acle salutaire ; il le niait même expressément, et c’était là le sens de la dislinclion qu’il établissait entre foi de connaissance et foi du cœur. Mais cette foi du cœur n’était qu’un abandon, une résignation de soi-même à Dieu : la foi, en tant que connaissance, était naturelle, et la foi sans la charité, la « foi morte », n’était pas une grâce. C’est ce que l’Egliseacondamné (Denz.B., Enchiridion, n. 1619 (148-) et 1814 (1661).— Acta Concilu Vaticani, notes 14 et 17 au schéma des théologiens, col. bi-) et Safj du tome VII de la Collectio tacensis). II doit donc être constant entre catholiques que la bonne volonté collabore à la foi surnaturelle, même en tant qu’elle est une connaissance. C’en est assez pour exclure la prétendue

« autosuflisance » du concept, et donc pour

écarter les plus graves reproches d’intellectualisme outré qu’on ait faits à la théorie catholique de la foi.

C. Dogmes réfélés. — Si l’on a reproché à la doctrine catholique un intellectualisme outré dans la manièi’e de concevoir les motifs de crédibilité, l’attaque a été bien plus chaude encore quand il s’est agi du contenu de la vérité à croire. On a nié avec hauteur que des concepts, exprimables en mots et communicables, pussent être légitimes véhicules delà vérité divine et salutaire. Celte question a été traitée à l’article Dogme ; nous nous bornerons ici à une observation, qui porte directement sur le caractère conceptuel des dogmes que l’Eglise propose à notre foi.

Les Modernistes demandaieat sur un ton de raillerie si les vérités que nous prétendons « dites par Dieu B avaient été recueillies de sa propre bouche, un joui’qu’il causait avec les hommes, à l’aide d’une voixsensible et de paroles articxilées. Selon la doc tri ne catholique il faut répondre affirmativement. Quoi qu’il eu soit, en effet, des voies possibles que la divine sagesse n’a pas choisies, en fait, la conversalion du Dieu incarné avec les hommes est le principe de toute la doctrine du salut. C’est la doctrine de tout le Nouveau Testament. « Nul n’a jamais vu Dieu, dit saint Jean ; mais le Fils unique [la vraie leçon paraît être : le Dieu Fils unique] qui est dans le sein du Père, nous l’a manifesté. » (lean, i, cf. vi, 46.) < Qui connaît la pensée de Dieu ? dit saint Paul. Aous, nous avons la pensée du Christ. » (l Cor., 11, 16.) Et l’Epître aux Hébreux : Il Souventes fois et en façons diverses Dieu, par les prophètes, a parlé aux anciens, mais en ces derniers jours II nous a parlé en son Fils. » (Hebr., i, i.) Et on lit déjà dans les synoptiques : (c Nul ne connaît le Père sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler. » (.Mat., xi, 27, cf. Luc, x, a2.) Toute l’économie de la Révélation consiste donc

en ce que l’homme a entendu Celui qui voyait. L’homme qui est à l’origine de notre foi n’était pas croyant, mais voyant, et sans aucun voile, comme vrai Fils de Dieu. (Cf. S. Thomas, Contra Gentiles, III, XL, 3 : « sive ipsc homo proponens fidem immédiate videatveritateni, sicut Christo credimus 0.)

La vraie Incarnation du Verbe, et comme on dit maintenant, la divinité métaphysique » de Jésus est donc essentielle àla notion delarévélalion catholique, et celui qui les nierait aurait à professer et à défendre une foi différente de la nôtre. — La consolidation et la consécration pac le Christ de l’ordre conceptuel, si l’on peut s’exprimerde la sorte, rentre dans le plan jilus général de la répai-alion en Lui de noire monde terrestre et de tout ce qui s’y rattache, qu’il a comme marqué de son sceau : omnia in Ipso constant, dit saint Paul (Col., i, 17). De là, le principe sacramenlaire de notre religion, c’est-à-dire l’emploi de la nature corporelle elle-même pour la collation de la grâce. De là, le principe ecclésiastique, c’est-à-dire le salut mis à la portée des hommes par l’intermédiaire d’hommes enseignant, gou^ernant, dispensant les choses saintes. De là encore le principe dogmatique : c’est à-dire nos pauvres formes de pensée, inlimes et animales’, élevées à la dignité d’exprimer avec pleine certitude les ^ érités mystérieuses, qui concernent l’intime même de Dieu.

Plus précisément, et pour l’objet qui nous occupe : si, suivant ce qu’imagine Tyrrell, c’était une expérience confuse de la Divinité, — si c’était même une illumination mystique ou une vision intellectuelle, semblable à celles dont nous ont parlé les saints, — ((ui était à l’origine de la révélation, alors on pourrait Wien soupçonner d’inexactilude l’explication conceptuelle qui en serait donnée ensuite, car les hommes les plus spirituels peuvent mélanger aux traits de la lumière céleste qvielque chose de leurs humaines pensées 2. Ce serait beaucoup alors, si les

« prophètes » pouvaient exclure à coup svir les interprétations

fausses de leurs révélations, après qu’ils auraient entendu ces paroles secrètes, que l’homme ne saurait répéter » (II Cor., xii, 4). La révélation intérieure serait de Dieu ; mais son expression extérieure et sa communication aux hommes seraient d’un homme faillible en soi. Que si des mots divinement consacrés étaient communiqués, ou bien l’on n’aurait guère qu’à révérer des syllabes mortes, ce ([ui convient plutôt à des serviteurs qu’à des aiuis, ou bien leur interprétation soulèverait la même dillicullé. De là, sans doute, le petit nombre des dogmes dans le VieuxTestamenl, et la moindre communicabilité des révélations faites aux Patriarches et aux Prophètes (voyez Nkwma.n, Essai sur te Développement, éd. Longmans, ]>. 847). Mais pour la vérité chrétienne, il en est bien autrement : elle n’a point son principe dans une expérience plus ou moins confuse, mais dans la vision même dont le Fils voit son Père, dont Dieu voit Dieu ; et l’homme qui la communique aux hommes, c’est le même Dieu, fait chair. Donc, aussi bien la science du maître que la « particularisation qu’il fait de sa science à l’usage de ses disciples » (pour employer une expression de saint Thomas 3), aussi bien l’une que l’autre, dis-je,

1. « La rntiuii.ilîté, dit saint Thomas (c’est-5-dire l’attribut sitécififiU6 des esprits qui connaissent par concepts et par discours) est une quahté du genre unimal.)> liationaU est di/fcrenila anijnaht (ï Sent., d. Tk, q. 1, a. 1 ad 4).

2. Cf. saint Ignace de Lotola, Exercices spirituels. Règles pour un plus grand discernement des esprits, règle 8.

3. Saint Thomas, De Veritale, q. 9, a.">, et « ouvent ailleurs.