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lui-même, sous un régime démocratique. En effet, la tyrannie exercée par le peuple lui-même, ou au nom du peuple, est beaucoup plus oppressive et redoutable que celle exercée par un prince, n (Eléments de Droit naturel, traduits par l’abbé Onclair ; Paris, 1890, p. ô40.)

La solution. — Cet aceord des théologiens est imposant et doit faire regarder la question de droit comme trancbée. Trois points peuvent la résumer.

1" Aucun droit politique ne prévaut jamais contre le salut public. Saliis populi suprema lex este :

3° S’il y a des cas où l’opportunité interdit au nom de la prudence et de la charité l’exercice d’un droit que par ailleurs concéderait la justice, il en est d’autres où elle en presse l’usage et en approuve les conséquences : c’est, à savoir, quand les biens suprêmes de la nation ne peuvent plus être sauves que par une intervention populaire. Car alors il n’est pas de calamités ni de tléaux dont la considération doive arrêter l’exercice du droit de défense : puisque, par hypothèse, les biens à sauvegarder l’emportent sur tous les maux à encourir ;

3* La guerre faite au pouvoir dans ces conditions est une guerre défensive, et autorise tout ce que permet entre parties belligérantes le droit de guerre défensive. Or, il est certaines attitudes qui, prises isolément, pourraient paraître otTensives, mais qui. replacées dans le cadre général des événements, empruntent des circonstances un caractère purement défensif. Ainsi une nation envahie ne cesse pas de se défendre parce que ses généraux prennent l’initiative d’une rencontre avec l’ennemi, ou même qu’au besoin ils le poursuivent jusque sur son propre territoire. Que si, pour l’injuste agresseiir, le résultat linit par être le même qu’eût pu être celui d’une invasion adverse, il ne doit s’en prendre qu’à lui-même, et non pas à ceux qui n’ont fait qu’user de leur droit pour repousser et briser l’offensive. Ainsi en ira-t il dans les conflits entre le pouvoir et les sujets. Telle résistance pourra, quant à ses effets, ne pas différer d’une rébellion, sans que les sujets soient des rebelles. Mais le vrai rebelle. le vrai « séditieux », c’est le tyran armé contre la cité, et renversé par le choc en retour d’une guerre qu’il a déchaînée.

La question de perfection. — La question de droit une fois résolue, reste la question de perfection, écartée jusqu’à présent pour ne pas embarrasser la marche d’une discussion déjà complexe. Elle se pose ainsi : ce que le droit naturel permet, la perfection chrétienne ne le déconseille-t-elle pas ? Pour des catholiques, la patience n’est-elle pas toujours préférable à la résistance ?

Avis des théologiens. — L’n éminent historien, eanoniste et théologien, va nous éclairer sur ce sujet. Dans son omTage sur l’Eglise catholique et l’Etat i chrétien, le cardinal Hbrgenrôther fait ainsi la dilTéreuce entre les cas où les intérêts personnels et temporels sont seuls en jeu, et ceux qui mettent en cause le bien de la société et de la religion :

« Mais, demandera-t-on, des sujets chrétiens ne

(Uvraient-ils pas mieux se laisser mettre à mort que (le faire résistance, même lorsqu’ils sont assez forts pour cela ? Cela apparaît comme une affaire de perfection chrétienne, mais non comme un devoir qui subsiste en toutes circonstances. Car le droit naturel autorise une légitime défense pour la sauvegarde de notre vie individuelle, et ne connaît pas de devoir inconditionné d’y renoncer. Que si l’on peut tout à la fois sauver la religion et sa propre vie, alors on a raison de faire tout son possible pour cela. L’exem ple des premiers chrétiens est ici sans valeur. Leur situation n’était pas la même que la nôtre, depuis que les pouvoirs publics sontdevenus sujets du christianisme. Ceux qui persécutent l’Eglise dans notre temps n’ont pas pour eux les excuses qu’on pouvait faire valoii’pour les autorités païennes. De plus, un soulèvement dans ces temps-là eùtété inutileet même nuisible au christianisme. Il y a deux manières de défendre la religion : 1° à la façon d’Eléazar (Il.Mac, VI, 18-31), par le martyre ; 2 » à la façon de Mathatbias (l Mac, 11, i sqq.), qui prit les armes et se souleva contre l’oppression païenne. Ce qui, sous l’Ancien Testament, fut permis de droit naturel aux Macchabées, doit être permis aussi, dans les mêmes circonstances, sous le Nouveau. » (Katholische A’irche und chrisllicher Stuat, a’édition, c. xiv, p. 405.)

Ces lignes du cardinal Hergenrôther ne font, semble-t-il, que résumer les pages où Bianchi (Traité de la puissance ecclésiastique, traduction française, t. I, pp. 50-55) développait la même thèse énoncée en ces termes énergiques : « Lorsque nous pouvons conserver notre religion et notre vie tout à la fois, quel doute peut-il y avoir, que nous ne soyons naturellement obligés de conserver l’une et l’autre ? » C’està-dire, ni apostasie, ni martyre, là où une victoire peut libérer nos consciences et celles de nos frères. Et Blanchi renvoyait au cardinal Beixarmix (De Romano Ponttfice, 1. V, c. vii, § Tertio ratio), qui, de fait, parle non pas de droit mais de devoir en matière de résistance.

Autorité de l’Ecriture. — Tous trois se réclament des Macchabées. Si l’on vent préciser ce qui est permis même à des saints, il ne sera donc pas inutile de rassembler les passages les plus saillants de ce livre que l’Evangile n’a pas abrogé, mais où il a été anticipé.

Depuis cent cinquante ans, les Juifs vivaient sous la domination des Séleucides, quand la tyrannie d’Antiochus Epiphane leur mit les armes à la main pour la défense de leur foi. Réfugiés au désert où ils se croient hors d’atteinte, Judas et les siens apprennent que mille de leurs compagnons, surpris pendant un sabbat, viennent de se laisser tuer héroïquement (t sans même lancer une pierre ». Sur quoi a ils se CI dirent les uns aux autres : Si nous nous laissons

tous tuer comme ont fait nos frères, et que nous K ne combattions pas contre les gentils pour nos

« vies et pour nos institutions, ils nous auront bienci

tôt exterminés de la terre. Ils prirent donc en ce a jour-là cette résolution : Qui que ce soit qui Wenne

« nous attaquer au jour de nos sabbats, combattons

1 contre lui. » Et Judas dit : — « Nous combattrons o pour notre vie et pour notre loi. » — n Et tous se

« dirent les uns aux autres : Relevons les ruines de

notre peuple et combattons pour notre peuple et » pour le sanctuaire. » —a Et ils poussèrent un grand o cri vers le ciel en disant : … Votre sanctuaire a

« été foulé aux pieds et profané, et vos prêtres sont

a dans le deuil et l’humiliation, n — « Et Judas leur

« dit : Ceignez-vous et soyez des braves, et tenez-vous

prêts pour demain matin à combattre contre a ces gentils assemblés pour nous perdre, nous et

« notre sanctuaire. Car mieux vaut poiu- nous

mourir, les armes à la main, que de voir les maux

« de notre peuple et la profanation de notre sanctuaire.

Quelle que soit la volonté du ciel, qu’elle

« s’accomplisse ! — Et on en vint aux mains… Et ce
« futence jour-là un grand jour desalut pour Israël. » 

Parité avec la résistance légale. — Il convient de remarquer, au surplus, que si les principes de longanimité évangélique étaient d’une application univer-