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INSURRECTION

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Les sujets n’ont à opposera la violence des princes que des remontrances respectueuses, sans niuti.nerie et sans murmure, et des prières pour leur conversion.

« Les remontrances pleines d’aipreur et de murmure

sont un commencement de sédition, qui ne doit pas être souffert…

a Quand je dis que ces remontrances doivent être respectueuses, j’entends qu’elles le soient elTectivemenl, et non seulement en apparence…

Voilà une doctrine vraiment sainte, vraiment digne de Jésus-Christ et de ses disciples. » (Politique tirée de l’Ecriture sainte, l, art. 3, prop. 6.)

C’est à coup sûr celle qui eut le plus de crédit en France depuis Louis XIV. Napoléon la préférait sans doute aussi. Dans un cours de philosophie publié par l’autorité du cardinal Fesch en 1810, avec cette note signilicative en tête du troisième volume : a Celte édition est la seule enseignée dans les principaux diocèses de France ». on lit ce qui suit : « Le prince fût-il un tyran cruel, fût-il l’ennemi le plus acharné de la vraie religion, on n’a pas le droit de qviitter son parti… Léser en paroles ou en œuvres la très auguste personne du souverain, serait une espèce de sacrilège. » (/iistituiiontim philosophicaruni Cursus nofus, t. 111, p. 196.)

Au XIX’siècle, le maitre qui exerça l’influence la plus considérable sur l’enseignement d un grand nombre de nos séminaires, le sulpicien Cahrièrk, dans son classique traité De Justitia et Jure, à deux reprises, qualifie de « plus sage » cette opinion qui est « surtout, dit-il, celle des modernes, rendus plus prudents par l’abus de la doctrine contraire ». (J5e Justitia et Jure, Paris, iSSg, t. II, pp. 408 et 386.)

Solution affirmative. — Xi l’abus ne condamne l’usage, ni l’autorité de Bossuet ne doit faire oublier

« elle de l’Ecole.

Qu’on écoute donc dans saint Thomas la voix du passé, à laquelle feront écho les théologiens les plus modernes, aussi bien que ceux de la Renaissance et du Moyen âge.

Saint Thomas livre sa pensée dernière en deux endroits de la Somme théologique, dont l’un reviendra plus tard, et dont le premier est celui-ci :

« Le gouvernement tyrannique n’est pas juste, 

n’étant pas ordonné au bien public, mais au bien particulier du gouvernant, comme le montre Aris ; tote, au livre III de la Politique, chapitre v. et au 1 livre VIII de’Kthique, chapitre x. Et aussi le ren-I versement de ce régime n’a pas le caractère d’une I sédition, hors le cas où le renversement se ferait avec tant de désordre qu’il entraînerait pour le pays plus de dommages que la tyrannie même. Mais c’est bien plutùt le tyran qui est léditieux, en entretenant discordes et séditions dans le peuple qui lui est soumis, alîn de pouvoir plus sûrement le dominer. » (11^ II", q. ^2, art. a, ad 3.)

On a observé justement que « saint Thomas nere innaissait point au peuple le droit d’être juge en sa propre cause, mais seulement le droit de légitime défense, ce qui est bien différent ». (Peltier, La doctrine de l’Encyclique du 3 décembre ISGi, conforme à l’enseignement catholique. Avec l’approbation de S. Em. Mgr le cardinal Gousset, archevêque de Reims, p. 1^3, n » 4.)

Le chanoine Peltier, auteur de cette remarque, s’était déjà, pour son propre compte, exprimé en ces termes :

« Il faut… invoquer uniquement le principe de la

loi naturelle qui i)ermet aux sociétés comme aux individus de se défendre contre une injuste agression, si l’on veut trouver le remède à opposer à la

….

tyrannie. » (Note G, au tome l, p. 7-22, de la traduction française du Traité de la puissance ecclésiastique de Blanchi.)

C’est de défense aussi que parle’Mgr Kbnrick, coadjuteur puis évêque de Philadelphie, mort archevêque de Baltimore, dans son ouvrage Theologia Moralis (volumen I, tract, iv, cap. 3, Philadelphie, 184 1, p. 269). Commentant la première Epitre de saint Pierre, chapitre 11, verset 13, et’Epitre aux llomains, chapitre xiii, versets i, a et 5, il écrit :

n Ce passage interdit la rébellion, qui se commet toutes les fois que des particuliers, isolés ou en petit nombre, résistent à l’autorité légitime. Que si une multitude de citoyens résiste à un abus énorme et manifeste du pouvoir, on ne peut pas dire qu’ils résistent à l’autorité, car Dieu ne donne pas le droit de tyranniser. « C’est qu’en effet, dit Gravina, il n’est

« jamais permis aux gouvernants, par le renverseci

ment des lois, de détruire ce qui est la raison d’être

« et la lin de leur pouvoir. Est, par le fait même, 

a déchu de toute prérogative, quiconque abuse du Il pouvoir contre la chose publique, dont le salut et l’honneur fondent la souveraineté et la majesté a des princes. Car l’exhércdation est le châtiment du u fils qui outrage son père. » Par ailleurs, les soulèvements populaires, même provoqués parla domination la plus onéreuse, ne se produisent presque jamais sans péché, parce que, la plupart du temps, ils entraînent des ruines et des désastres. »

Après r.méricain Kenrick, c’est le rénovateur de la théologie morale en Allemagne, Lehmkuhl, qui parle ainsi :

« Autre chose est la rébellion, autre chose la résistance

aux lois injustes et à leur exécution. Que si on vous fait une violence évidemment injuste, ce n’est plus à l’autorité, c’est à l’injuste violence que vous résistez.

« Maintenant, quand et dans quelle mesure il sera

permis de repousser par la force une violence évidemment injuste, exercée au nom et avec l’appareil de la puissance publique, cela dépendra du succès qu’on peut en espérer, et des maux peut-être plus grands que la résistance pourra attirer sur le pays. » {Theologia moralis.")’édition, 181)3, t. I, n" 797.)

NoLDiN (De Præceptis, igo5, n° 30^) parmi les Autrichiens, et, parmi les Français, Blxot (Compendium Theologiæ moralis. igo5, t. I, n" 380) s’expriment dans des termes à peu près identiques.

Le théologien Belge Gémcot invoque l’autorité de saint Thomas :

« Autre chose est la rébellion, autre chose la

résistance aux lois injustes et à leur exécution. Car quand une violence évidemment injuste est exercée par ceux qui détiennent la puissance légitime, le cas est « semblable à celui d’une violence exercée par a des brigands… » Et ainsi, de même qu’il est permis de résister aux brigands, de même il est permis en pareil cas de résister aux mauvais princes, si ce n’est peut-être qu’il y ait à éviter le scandale, ou à craindre quelque grave perturbation. » (Saint Thomas, XI"" II’ « , q. 69, art. 4-) « Souvent cette résistance active sera illicite, c’est à savoir si la violence devait avoir le dessus, de manière qu’il n’y eût pas d’effet bon à espérer, mais bien déplus grands maux à attendre. » {Theologiæ moralis Instituticnes, 3’édition, 1900, t. I, n. 359.)

Le théologien suisse Cathrbin est plus explicite encore :

« A un tyran qui injustement cherche à causer aux

citoyens des maux très graves, il est permis de résister activement dans l’acte même de l’agression.

« Kemarque. — Il s’agit de résistance active par la

force ou à main armée.

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