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INSTRUCTION DE LA JEUNESSE

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Ifinenl s.i Iriple mission sociale, iiilellpctuelle et religieuse, il faut de toute nécessite que la proportion de ses étudiants par rapport à la totalité des classes dirigeantes soit assez considérable. Or, le nombre a toujours manqué aux universités catholi ques françaises ; même aux meilleures époques, — cl il y en a eu de très mauvaises, — c’est à peine si on a dépassé’joo à Paris, 650 à Lille, 600 à Lj’on, 260 à Angers, 150 à Toulouse. (Aujourd’hui ^iS à Paris, près de 700 à Lille, 315 à Lyon, 282 à Angers, 67 à Toulouse. Bien entendu, je ne parle que des étudiants inscrits, non des auditeurs libres.) Même en admettant que ces deux mille et quelques étudiants constituent une élite, c’est insiiflisant pour une nation de 38 millions d’habitants, surtout si l’on songe qu’à Paris seulement les facultés de l’Etat comptent près de 19.000 étudiants.

Pourquoi cette presque décourageante abstention d’une si grande partie de la jeunesse catholique ? Tous les recteurs, cl principalement Mgr d’Hulst à Paris, Mgr Baunard à Lille, Mgr DadoUe à Lyon, Mgr Pasquier à Angers, se le sont maintes fois demandé avec une douloureuse angoisse, dans ces discours de rentrée oii ils ont su placer de si courageux et de si véridiques examens de conscience.

D’abord, c’est évident, par suite de la guerre incessante qui nous a été faite. Les débuts de nos universités ont coïncidé avec l’arrivée au pouvoir de ceux qui n’avaient pas voulu les voir s’établir. Ils en ont entravé la marche de toutes manières. La liberté ne nous avait été que très parcimonieusement accordée, sous toutes sortes de conditions et de réserves, qui déjà forçaient nos établissements à se calquer, ou à peu près, sur ceux de l’Etat, ne leur laissant ni l’indépendance des programmes dont la préparation conduit aux grades, ni le droit de conférer ceux-ci. Non seulement la loi de mars 1880, qui supprimait les jurys mixtes et nous enlevait officiellement le nom d’université, restreignait encore ce minimum de liberté ; mais chaque remaniement des programmes, et l’on sait s’ils ont été fréquents, servait de prétexte à resserrer notre champ d’action. Tout procédé semblait bon pour attirer les jeunes gens vers les cours de l’Etat, en les détournant des nôtres. Sans doute, nous n’avions pas à nous plaindre dans les examens, d’un défaut d’impartialité de la part des juges — nous leur devons ce témoignage — mais trop souvent, le fait de nous avoir appartenu devenait par la suite une cause de défaveur, chose grave dans un pays qui a la passion des fonctions publiques. L’usage d’une liberté légale était considéré et châtié à la manière d’une usurpation. D’où les craintes de beaucoup de parenls qui ne se rendaient pas assez compte que le seul titre de catholique avéré est de nos jours aussi dangereux, aussi fertile en conséquences fâcheuses, que celui d’ancien élève d’une faculté libre.

Osons le dire très haut, les catholiques français n’ont pas suffisamment compris leur devoir en cette matière si grave ; ils ont manqué de courage et d’esprit de foi. Comme aux catholiques des Etats-Unis, des préoccupations intéressées leur ont voilé le danger très réel que courait la foi de leurs enfants. Ils ont craint d’être des isolés, des parias, et plus ils redoutaient de l’être, plus ils exposaient à ce triste sort ceux qui se montraient plus vaillants et plus logiques dans leurs croyances, alors que, s’ils l’eussent voulu, ils eussent été le nombre, aussi bien qu’ils l’étaient dans l’enseignement secondaire. « Et dire que dans ces milliers de jeunes gens qui suivent les cours de l’Etat, disait, il y a quelques années, le Saint-Père, il y a tant de catholiqties et de ûls de catholiques ! C’est une aberration ! » Les ecclésiasti ques eux-mêmes ont trop souvent cherché des avantages immédiats et de plus grandes facilités de succès. Combien d’entre eux ont i)articipé à cette étrange disposition de l’esprit français, qui attribue a priori la supériorité à tout ce que fait l’Etat ! Ouelle admiration souvent naïve pour les plus ordinaires des maîtres de l’Université et quelle déUance préconçue à l’égard des professeurs de nos instituts I L’esprit de corps nous a fait défaut. Au sein même des universités catholiques, quoiqu’il y ait eu généralement bonne entente, la fusion n’a pas été assez complète entre les laïcs et les ecclésiastiques, ce qui eiit préparé, comme en Belgique ou en Allemagne, leur action conimunedans l’avenir. Les associations d’étudiants et d’anciens étudiants ont été lentes à se former, pas assez compactes, pas assez actives. Sauf dans la région du Xord, nos anciens ont vécu disséminés, faisant le bien, sans doute, mais isolément, manquant de cet esprit d’initiative et d’organisation qui a poussé les Louvanistes à fonder ces sociétés dont nous avons ci-dessus montré la force et l’utilité. Enfin, nos divisions politiques ont exercé là comme partout leur action dissolvante, en raison des défiances qu’elles ont entretenues parmi nos étudiants d’abord, et aussi parmi nos protecteurs naturels.

Telles sont, exposées avec une entière sincérité, sans illusion sur la mauvaise volonté de nos adversaires et sans faiblesse pour nos amis, les causes qui ont paralysé le développement de nos universités catholiques et em[)êché qu’elles n’obtinssent dans notre pays toute l’influence sociale qui leur semblait réservée.

) Caractère des universités catholiques françaises. — Est-ce à dire cependant qu’elles ne font pas bonne figure, non seulement parmi les universités catholiques, mais parmi les grandes corporations enseignantes du monde, qu’elles ne rendent pas d’importants services et qu’elles ne justifient pas largement les sacrifices qu’elles coûtent ? Loin de moi cette pensée qui serait très contraire à la vérité. Après trente-huit ans d’existence, chacune de nos cinq universités françaises a pris sa physionomie propre et peut se présenter la tête haute : Paris, avec ses soixante-dix professeurs, et ses nombreux conférenciers, ses facultés de théologie, de droit, de lettres, de sciences, ses cours publies si nombreux et si variés, ses cours de jeunes filles, son Ecole supérieure, récemment créée, des sciences économiques et commerciales, sa participation active et constante à la vie intellectuelle de la grande cité, les relations que le passé de l’Ecole ecclésiastique des Carmes et beaucoup d’autres circonstances l’ont amenée à entretenir avec les établissements de l’Etat, le prestige qu’elle doit à des hommes tels que Mgr d’Hulst, l’abbé de Broglie, Claudio Jannet, de Lamarzelle, Mgr Duchesne, AL Georges Lemoine, M. de Lapparenl, M. Branly, qui y ont enseigné simultanément. — Lille, plus homogène, plus complète, plus fermée aussi, qui se compare elle-même, par la bouche de Mgr Baunard, à « un camp retranché » ; Lille qui s’est si bien adaptée au milieu du Nord, qui, dès 1885, a su joindre aux cinq facultés traditionnelles qu’elle possédait déjà, une Ecole des hautes-études industrielles, dont on a pu dire qu’elle est la vraie école normale des patrons chrétiens ; et plus récemment une Ecole d’électricité ; Lille, avec sa faculté de médecine, qui se recrute dans la France entière, ses hôpitaux, ses cliniques, ses dispensaires, ssl Maternité el son Ecole de sa^es-femmes, a.yecce corps professoral qui compte plus de cent maîtres, dont quelques-uns ont acquis par leurs travaux une réputation universelle, avec ces Conférences de sciences sociales et politiques.