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INSTRUCTION DE LA JEUNESSE

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Gaule, la liberté de l’enseignement durera autant que l’Empire romain.

II. Les professeurs chrétiens â l’époque des persécutions. — Rien ne s’opposait à ce que les chrétiens donnassent cet enseignement. Sans doute, ri n’est pas probable que l’Etat ou les villes aient, avant le iv= siècle, choisi des prol’esseurs parmi les adorateurs du Christ ; cependant, le fait a pu se produire, et ce que nous savons maintenant de l’exlrcine liberté, de la prédominance même, dont le christianisme a joui, en dehors des moments de persécution déclarée, dans certaines réjfions de l’Asie Mineure (voir mes Dix leroris sur le iiiiirlyre, p. 28-33), nous rend possible de l’admettre. Mais la facilité d’ouvrir, sans avoir besoin d’en demander l’autorisation, des écoles privées, la complète liberté d’enseignement qui dispensait celles-ci de toute inspection officielle, permettaient certainement aux chrétiens de se faire instituteurs à tous les degrés. Et, de fait, on a le souvenir de quelques professeurs qui furent martyrs, mais aucun ne le fut pour avoir enseigné : ils périrent comme périssaient alors d’autres iidèles, pour avoir refusé de renier leur foi.

Le rhéteur Arnobe, qui lui-même est un converti, cite parmi les hommes marquants qui à la fin du m" siècle embrassèrent le christianisme « des orateurs de grand talent, des grammairiens, des rliéfeurs, des médecins, des maîtres de philosophie » {Adtersus génies, II, lv). Il n’est point probable que tous ces lettrés, en embrassant le christianisme, aient abandonné le professorat. L’iiistoire, d’ailleurs, nous a conservé le nom de professeurs chrétiens appartenant à l’époque des persécutions. On a trouvé dans une des catacombes de Home l’épitaplie d’un modeste magister priiniis (cimetière de Calliste. De Rossi, Homa sollerranea, t. II, tav. XLV-XLVI, n" 43). Cassien, martyr pendant la dernière persécution, était maître d’école à Imola (Prudence, Péri Stephanôn, ix). Ouioêne débuta par être grammairien, et gagna ainsi, pendant quelque temps, sa vie, celle de sa mère et de ses frères (EusÈBB, Hist. eccL, VI, xv). Flavien, martyrisé en Afrique au milieu du m » siècle, avait aussi été grammairien (Passio SS. Montani, Lucii, Flaviani, etc., 19, dans Rl’iNART, Acta mariyrum sincera, 1689,

! >. 2^0). A la lin du même siècle, le clirétien Anatole, 

futur évêque de Laodicée, était non seulement chef du Sénat d’Alexandrie, mais aussi avait été désigné par ses concitoj’ens pour professer la philosophie et commenter Aristote (Eisèbe, Hisi. eccl., VII, xxxii, 6, 7).

Peut-être quelques professeurs chrétiens dirigèrent-ils des écoles exclusivement composées d’enfants de leurs coreligionnaires. Nous n’en avons point cependant la preuve. Le contraire est certain pour plusieurs de ceux qui viennent d’être nommés. Cassien, l’instituteur d’Imola, n’avait probablement que des païens pour élèves, puisqu’il fut martyrisé par ceux-ci, qui lui gardaient rancune de sa sévérité. Les élèves de Flavien étaient, sans doute, aussi des paieiis, car, aussi dévoués à leur maître que ceux d’Imola seront hostiles au leur, ils s’elTorcent par tous les moyens, même parie mensonge, de l’arracher au supplice. L’école de philosophie dirigée par Anatole à Alexandrie est certainement ouverte à tous, puisque le professeur a été choisi par la ville.

Quelques-uns s’étonneront peut-être que des chrétiens, et parmi eux des hommes assez fervents pour affronter le martyre, aient consenti à donner à l’enfance et à la jeunesse ime éducation qui consistait presque tout entière dans l’explication des classiques pa’iens, et où les fables mythologiques, considérées comme l’une des principales sources de beautés

littéraires, jouaient un grand rôle. Le grammairien grec ne pouvait lire ou commenter Homère et Pindare, le grammairien latin Virgile et Horace, sans décrire à chaque instant les aventures des dieux et des déesses, auxquelles, à leur tour, les devoirs écrits des élèves devaient sans cesse faire allusion. Mais il semble que, devenues ainsi matière de littérature, les fables mythologiques perdaient leur sens religieux. D’objet de foi qu’elles avaient pu être autrefois, elles étaient passées à l’état de lieu commun, d allégories familières et de sujets de narration. Traitées de la sorte, elles n’offraient guère de danger pour les écoliers chrétiens. Ils sentaient vite la différence entre la manière dont à l’école on parlait de la mythologie et dont à l’église on parlait de la religion, et n’étaient point tentés de confondre l’une et l’autre. C’est pourquoi l’étude des classiques païens, nécessaire alors au perfectionnement de l’esprit et à l’étude du beau langage, ne fut point défendue. Inconséquent selon son habitude, Tbrtulliex déclare qu’un chrétien n’a pas le droit de professer, mais qu’un chrétien a le droit d’aller à l’école, parce que l’enseignement littéraire qui y est donné est indispensable à la conduite de la vie (De idolulatria, 10). Mais les chefs légitimes de l’Eglise se gardèrent toujours des exagérations et de l’illogisme de TertuUien : pas plus qu’ils n’interdirent aux chrétiens d’apprendre, ils ne leur défendirent d’enseigner On ne trouve nulle trace d’une telle défense, et les exemples cités plus haut montrent qu’elle ne fut jamais portée.

A part quelques intransigeants, les chrétiens des premiers siècles eurent toujours, en ces matières, l’esprit fort large, parce qu’il était réellement éclairé. Souvenons-nous des peintures ou des sculptures allégoriques qui se rencontrent dans les catacombes : l Amunr et Psvclié, Ulrsse et les Sirènes, les Saisons, les (lénies ailés, les Fleuies, le Ciel, /’Océan, personnifiés par des formes humaines. Souvenons-nous encore de la curieuse histoire des quatre sculpteurs chrétiens de la Pannonie, qui consentirent à fabriquer des Victoires et des Amours, en qui ils voyaient d’inoffensives allégories, ou encore le Soleil sur son char traîné par des coursiers, et souffrirent le martyre plutôt ([ue de sculpter un Esculape destiné à être adoré dans un tenqile. Cette largeur d’idées qu’ils portaient dans l’art, les chrétiens la gardaient dans les choses de la littérature et de l’enseignement.

III. L’enseignement après la paix de l’Eglise.

— Celui-ci ne gênait donc pas plus la conscience des maîtres qu’il ne mettait en jiéril la foi des élèves. L’influence de la famille venait d’ailleurs corriger aisément ce qu’aurait eu de dangereux l’atmosphère de l’école : n’oublions pas que l’internat n’existait pas chez les Romains. On voit, par le récit de l’éducation d’OniGÈNE, comment un père chrétien pouvait suppléer, par une précoce formation religieuse, aux lacunes de l’enseignement littéraire. Origène enfant suivit exactement « le cycle de cet enseignement « , mais chaque jour, « avant de donner son soin aux études païennes », Léonide (c’est le nom du père d’Origène) lui faisait étudier l’Ecriture sainte. Il l’obligeait à réciter de mémoire les passages de la Bible qu’il avait lus, ou au moins à lui en faire le résumé (Eusèbe, Hist. ecc/., VI, 11, 12). Ainsi préparc et comme prémuni, l’enfant pouvait ensuite écouter sans danger les passages d’Homère ou d’Hésiode que commentait devant lui le grammairien. Tous les pères de famille n’étaient sans doute pas capables de diriger l’éducation de leurs fils avec l’autorité du futur martyr Léonide, également instruit dans les lettres humaines et dans les lettres sacrées, et qui avait peut-être été grammairien lui-même ; mais on jieut