Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/47

Cette page n’a pas encore été corrigée

81

FOI, FIDEISME

82

le danger qu’il y a de confondre les domaines de la scienre et de la théologie, de la raison et de la foi ; mais on peut distinguer les domaines sans nier qu’ils aient entre eux aucun contact, rien de commun. Les objections ne font que mieux voir combien est juste et lumineuse la doctrine de l’Eglise, (elle que nous la donne le Concile du Vatican, sur le caractère rationnel de notre foi et sur les rapports entre la foi et la raison.

En discutant la seconde thèse de Sully Prudliorame, nous verrons d’autant mieux combien sont fermes les positions catholiques et coniliien peu précises les idées (]u’on leur oppose, a L’abbé Guthlin, dit le critique, nie le conflit entre la foi et la raison et n’admet pas que Pascal l’ait reconnu. Les mystères, selon lui et selon les autres théologiens, ne sont pas contraires à la raison humaine ; ils sont seulement au-dessus d’elle. » Page 333. Pascal pensait de même : n La foi dit bien ce que les sens ne disent pas, mais non pas le contraire de ce qu’ils voient. Elle est au-dessus, et non pas contre. » « Devant les mystères, continue le critique, interprétant M. Guthlin, elle (/(/ raison) est tenue de s’humilier, non de se suicider. Sans doute… arrive un moment ovi elle se désiste ; mais résilier sa fonction, c’est pour elle encore l’exercer, car c’est elle-même qui signe son abdication. En un mot, c’est par raison que la raison cède le pas à la foi. » On ne saurait mieux dire. Nous pouvons souscrire de même à ce qui suit, bien qu’on put désirer une distinction plus nette et plus ferme entre l’ordre de crédibilité et l’ordre de foi : it La raison seule, à notre avis, confère aux notions un caractère scientifique ; la foi adhère sans le comprendre, au contenu du dogme, à la condition que la raison, incapable d’en apercevoir immédiatement la vérité, en garantisse au moins la véracité. Or les théologiens admettent que, en effet, la critique rationnelle des assises historiques du christianisme leur fournit cette garantie. » C’est, en effet, notre prétention. Sans ramener toute la question à une question de critique biblique, nous faisons fond sir l’autorité historique des Livres saints. « C’est, suivant Sully Prudhomme, la pierre d’achoppement » de notre apologétique. Il croit que

« les savants, surtout les Allemands, au milieu du

siècle dernier, ont ébranlé la base historique des Livres saints ». Nous savons et nous protivons qu’il n’en est rien. Visiblement, c’est là un pays inconnu pour noire auteur.

Mais il part de là pour élever la foi sur les ruines de la science. « C’est précisément de tels assauts qui font le mérite de la foi, qui l’érigent en vertti théologale. II faut aimer Dieu pour croire quand même ; l’acte de foi est un acte de fidélité. » Page 233. Il croit, sans doute, faire honneur à la foi. Mais le catholique ne l’entend pas ainsi. Il y a du mérite à tenir contre de tels assauts ; mais où serait-il, si notre foi, au lieu d’être l’adhésion raisonnable à la vérité, n’était que l’entêtement dans l’erreur ? Nous pouvons admettre, en un sens vrai, et sans oublier la foi informe, qu’il faut « aimer Dieu pour croire quand même », mais à la condition que la foi soit par ailleurs une vertu théologale, qui croit ce que Dieu dit et parce qu’il le dit. non une illusion du cœur et un rêve de l’imagination. La fidélité de la foi est la fidélité à la vérité divinement manifestée et divinement garantie au regard même de notre raison.

Sully Prudhomme conclut « que la foi a pour objet, outre le dogme même, le fondement historique du dogme ; non pas uniquement les mj’stères. mais, avant tout, les récits qui les proposent à la créance ; en termes théologiques, les préamhules mêmes de la foi et les motifs mêmes de crédibilité ». Il ajoute que

« Pascal, du moins, l’entendait ainsi, bien que ces

préambules et ces motifs relevassent de la critique purement rationnelle ». Page 33^. Nous n’avons pas à défen<lre ici la doctrine de Pascal, mais celle de l’Eglise. Comme cependant Sully Prudhomme confond, ici encore, des choses fort distinctes, et que la doctrine, soit de l’Eglise, soit de théologiens autorisés, est intéressée en la question, il faut préciser et distinguer. Bien entendu, l’Eglise n’admet pas que les préambules delà foi soient eux-mêmes objets de foi, en ce sens, du moins, qui est celui du critique, que la raison ni la science ne suffisent à les garantir, et que la voie, même là, est nécessairement la voie de la foi, non celle de la science, comme il le soutenait tout à l’heure contre Mgr Guthlin. Il n’est pas vrai, non plus, que Pascal l’entendait ainsi, puisque, de l’aveu de Sully Prudliomme, ils relèvent selon lui, de la critiqiie purement rationnelle. Pascal reconnaît, il est vrai, « que l’esprit humain déchu ne les perçoit pas sans aiuun nuage ». Il admet que le opéclié originel empêche l’esprit humain de rien tirer au clair en matière religieuse, sans le secours de la grâce ». Mais autre chose est que la grâce aide nos faibles esprits à voir dans leur vrai jour des motifs valables en eux-mêmes, autre chose qu’elle supplée à l’insuffisance de CCS motifs. « Si ces motifs, dit le critique, n’étaient en rien douteux, ce serait résister au bon sens que de ne pas croire aux témoignages des Livres saints reconnus comme authentiques et divins, en im mot à la révélation ; croire ne serait donc pas une vertu. » Même là où le doute n’est pas fondé en raison pour qui sait voir, il peut exister en fait pour qui ne sait pas voir. Il y a des obscurités, il y a des difiicultés ; et il faut un effort de bonne volonté, de docilité, de courage pour chercher quand même, pour se faire guider dans la recherche, pour se mettre au point de vue d’où tout s’ordonne et s’éclaire ; il y faut pratiquement la grâce, « pour résoudre les contradictions apparentes » etc. « Ce serait résister au bon sens que de ne pas croire aux témoignages des Livres saints reconnus authentiques et divins ». Soit. Mais cette reconnaissance même de leur authenticité et de leur divinité ne va pas toute seule. La foi, nous l’avons déjà dit, est tine vertu, non pas parce qu’elle va au delà du raisonnable, non pas parce qu’elle se jette à l’aveugle en risquant tout, en risquant même d’être déçue et de ne trouver que le vide ; mais elle exige des actes de vertu pour chercher quand même, pour se rendre sans condition à la vérité et se laisser faire par elle ; elle est elle-même une vertu parce qu’elle est l’adhésion libre et pleine de notre intelligence à la vérité divine et au Dicvi de toute vérité, la pleine soumission de l’esprit et de la volonté créés à la vérité incréée qui s’impose à nous. « On ne croit pas sans raison, dit fort bien Sully-Prudhomme, mais cela même qu’on croit échappe aux prises de la raison. » Page 334. C’est une des condilions qui font le mérite de la foi, puisque, suivant le mot de saint Grégoire, la foi n’a plus de mérite, si la raison humaine lui donne de tout saisir : Nec fides hahet meritiim ciii humana ratio præhet experimeiitiim. Il ajoute : « Si d’ailleurs, il y avait de si évidentes raisons de croire qu’il n’y eût plus la moindre place au doute, la foi perdrait son caractère religieux, elle serait comparable à la confiance accordée par le savant aux assertions d’un voyageur probe et sûr, confiance qui est la foi laïque et n’a rien de commun avec la vertu. » Le critique oublie toujours la distinction essentielle entre la foi et la crédibilité. Même avec l’évidence de crédibilité, la foi reste une vertu théologale, et son acte est essentiellement un acte religieux, par le fait qu’il est l’adhésion à la vérité révélée sur la parole et l’autorité de Dieu. Cependant tout n’est pas faux dans celle assertion, qui