Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/45

Cette page n’a pas encore été corrigée

77

FOI, FIDÉISME

78

lions de Pascal. Savail-il que Paul Janet, bien qu’incroyant lui aussi, l’avait réfuté d’avance dans un article de la Revue des Deii.r Miindes^ 1890, t. 11, p. /tog-4>o, et plus cxplicilenient encore dans un article de la lievue pliilusoplii/jue, 18yo, t. I, p. 1-2"), intitulé : Des rapports de ta pliiUisopliie et de la tliéo1(1 !  ; ie, où il montre que « des mystères ne sont pas des non -sens absolus : ce ne sont pas même des propositions absolument contradictoires ; ce sont des propositions ayant un sens, lequel présente une apparence de contradiction ». Où réside, reprend Janet, « le mystère (dans la Trinité) ? Il est dans le dojrmede l’unité de substance coïncidant avec la pluralitédes personnes. Il semble qu’unité de substance etunité de personne soientet ne puissent être qu’une seule et même chose. Cependant c’est là une cioclrine si peu contraire à la raison, qu’on peut même se demandersi elle est supérieure à la raison… En tout cas, ce qu on ne peut contester, c’est que la doctrine trinitaire olTre un sens, et même un sens clair à l’esprit. » Je ne me porte pas jjarant du « sens clair » ciiie Janet voyait à la fornmle du dogme trinitaire ; mais il est sur qu’on n’y voit pas de contradiction. — « Nous comprenons l’idée, dit plus loin Janet : c’est le lien des idées qui nous écUappe. »

Il reste que Sully Prudliomme s’est donné beaucou |i de peine pour rien. Il eut été plus simple en vérité de répéter, après tant d’autres, ou que nous admettons trois dieux, ou que nous avons tort de disliuffuer entre nature et personne. Telle quelle, l’objection prouve une fois de plus que, pour trouver rien qui vaille contre nos dogmes, il faut les défigurer.

L’elTort du critique contre nos autres dogmes n’est pas plus heureux. Un enfant qui sait son catéchisme et i|ui comprendrait le langage de l’attaquant, verrait sans peine que le coup ne porte pas, ni contre la création, ni contre le péché originel, ni contre l’Incarnation, ni contre la Uédeniption, ni contre les sacrements. On s’étonne qu’un homme qui a rélléclii et qui devrait, puisqu’il a été élevé chrétiennement, être instruit de notre religion, se laisse prendre ainsi aux toiles qu’il a tissées lui-même.

Xos dogmes dépassent la raison, mais ils ne la contredisent pas ; ils nous sont inexplicables, au sens de Sully Prudhomme ; ils sont incompréhensibles, au sens de Pascal, mais non à celui de son critique. Il n’est pas plus vrai qu’il n’est vraisemblable que Pascal i( attache sa foi à une simple suite de sons », ni que la formule de nos mystères soit contradictoire et ne nous « donne rien à expliquer ». Sur quoi travaillaient donc Origène et Augustin, saint Anselme et saint Thomas ? Ce n’est pas pour des mots vides que mouraient les martyrs ; ce n’est pas de mots vides que se nourrit notre foi.

C’est peut-être le lieu de relever un mol du philosophe critique, qui lui aussi peut soulever une diffîcullé. On a raconté que, dans les angoisses du doute et dans les souffrances du corps, il disait un jour à ses visiteurs, en leur montrant d’un côté la Somme de saint Thomas et de l’autre VEyuni ; ile : « Comment se fait-il que ceci, rpii est si compliqué, soit sorti de cela qui est si simple ? » On pourrait nier que la Somme soit relativement si compliquée, et VE^’angile , si simple. Mais on conqirend ce que voulait dire le Ipoète philosophe, et quelle impression traduisaient Ises paroles. Pour avoir réponse à sa question, il eût jdû connaître à fond et les sources mêmes de la révéllation et le travail de la pensée chrétienne sur la Idonnée divine. Ces questions ne se résolvent pas au j)ied levé, sans préparation et sans études spéciales. N’est-ce pas, en grande partie, pour avoir voulu résoudre par lui-même, sans guide, sans moyens suffi sants, des questions difficiles et compliquées, pour avoir voulu trancher en maître sans avoir été disciple, que Sully Prudhomme est resté en route ? Lui qui a tant étudié les méthodes et les conditions de la science, que n’a-t-il appliqué, dans le domaine religieux, les principes élémentaires du travail scientifique ? La science est chose sociale. Il faut apprendre pour savoir. Et pour apprendre, il faut s’adresser à ceux qui savent, se mettre à leur école, se laisser guider. C’est en se soumettant d’abord qu’on acquiert le droite une légitime indépendance. Combien de cas send)lables on pourrait citer, et souvent sans les mêmes circonstances atténuantes : « Quoiqu’on n’ait pas l’air de s’en douter, dit finement M. Daiilny, les hommes les plus compétents en théologie, ce sont encore… les théologiens. » L’Ignorance religieuse, page 26.

2. Les raisons de croire. — Comme pour le sens de nos mystères, Sully Prudhomme va nous fournir les objections contre la doctrine catholique des rapports entre la raison et la foi, entre croire et savoir. Dans son livre, il y a un chapitre entier, le iv" de la (luatrième partie, page’in-^-’à'id, sur « la relation de la foi cl de la science n. Sommaire du chapitre, page il-]. Sa doctrine tient en deux thèses. La première I)int paraître, au premier abord, inoffensive, et on la trouve parfois, presque dans les mêmes termes, chez des écrivains catholiques : n Le domaine de la théologie, en tant qu’il est métaphysique, demeure entièrement séparé du domaine de la science. » Sommaire du chapitre, page 827. La seconde précise la première en un sens qui la rend inadmissible au croyant, et la complète de façon à faire derensembleranlithèse de la doctrine catholique sur nos raisons de croire et la foi raisonnable : « Le fondement historique du dogme relève de la foi, au même titre que le dogme même. » Ibid. SullyPrudhomme aconscience de cette opposition, et c’est des paroles de Mgr Gutiilin, où est exposé (en termes qui d’ailleurs laissent à désirer ) le caractère rationnel de la foi chrétienne, qu’il prend occasion de spécifier cequi, selon lui, « distingue des doctrines scientifiques les articles de foi ». Page 828. « Il existe à cet égard, reprend-il, un malentendu qu’il importe au plus haut point de signaler et d’éclaircir ; car c’estsnr ce malentendu que repose la prétention croissante <raccorder la raison et la foi. » Il s’ellorce donc « de mettre au point la question », et pour cela il définit « avec toute la précision Il dont il est capable ce qu’il entend par la science, « d’accord avec les savants, et ce que, d’après ses [)ropres paroles, un théologien autorisé… entend par la foi ». Malgré les elforts méritoires du philosophe, la question n’est pas mise au point ni posée » avec toute la précision » que nous voudrions. C’est surtout aux fondements rationnels de la foi, aux motifs de créance, qne s’en prend Sully Prudhomme. II refuse d’accorder que nos raisons de croire soient

« du ressort de la science ». Voici comment il s’en

explique : « La science ne dénie nullement à la théologie le droit d’user de sa méthode et de ses conquêtes (la méthode et les conquêtes de la science). Elle lui prête volontiers ses procédés de connaissance et ses notions acquises. Par exemple, elle ne voit pas, a priori, d’obstacle à ce que les Livres Saints puissent être reconnus authentiques, c’est-à-dire composés par les hommes à qui on les attribue. » Page 331. On eut pu dire, plus simplement, qu’un théologien peut être, tout aussi bien qu’un autre, quand il s’agit de faits, un homme de bonne méthode, de saine critique. « Mais si, après examen, dans ces livres il se rencontre des assertions contraires aux vérités d’ordre scientifique, ce n’est évidemment plus au nom de la science que ces asser-