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INQUISITION

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obtenaient des congés qu’ils allaient passer chez eux. A Carcassonne, le 13 septembre 1250, l’évéque donnait à une certaine AlazaïsSicrela permission exeiindi carcerem, iil/i erat immurata pro crimine lieretice prat’ilatis, et jus(]u’à la Toussaint, c’est-à-dire pendant sept semaines, d’aller où elle voudrait en toute liberté, qiiud possit esse extra carcerem uhiciimrjue ioluerit (Douais, Documents, II, p. 13a, n" 29). Une permission de même genre était donnée, pour cinq semaines, à un certain Guillaume Sabatier, de Capendu, à l’occasion de la Pentecôte, le 9 mai I251 (Ihid., p. 152, n" 6^) Raymond Volguier de Villar-en-Val, qui avait obtenu un congé expirant le 20 mai 1251, se le lit proroger jusqu au 2’j (Ihid., p. 153, n" 66). Pagane, veuve de Pons Arnaud de Preixan, fut ainsi mise en vacances du 15 juin au 15 août I251 (Ihid., 153, n° 67). Les congés de maladie étaient de droit : l’Inquisition mettait en liberté jirovisoire les détenus dont les soins étaient utiles à leurs parents ou à leurs enfants, et quelquefois cette atténuation de la peine pouvait aller jusqu’à une commutation en une I)eine |>lus bénigne ; c’est ce qu’avaient décidé, en I244> l’archevêque de Narbonne, les évêques de Carcassonne, d’Elue, de Maguelonne, de Lodève, d’Agde, de Ximes, d’Albi, de Béziers, et les abbés de Saint-Gilles, de Saint-Aphrodise de Béziers, de Saint-Benoit d’Agde : ^’i forte per incarcerandi ahsentiam evidens morlis periculiim immineret liheris lel purentilnis, ohi’iare curetis pericuto, provideri talihus fiicieiido, si potestis aliunde, aiit carceris penitentiaiu prudenler in aliam commiitetis ; opurtet enim in tali articulii rigorem mansuetudine miiigari (Doat, XXXI, 1 55-1 08). Même les inquisiteurs les plus sévères, tels que Bernard dbCaux, observèrent cette prescription. En 1240, Bernard condamna à la prison peri>étuelle un hérétique relaps, Bernard Sabatier, mais, dans la sentence même, il ajouta que le père du coupable étant un bon catholique vieux et malade, son fils pourrait rester auprès de lui, sa vie durant, pour le soigner (Vacanuaud, L’Inquisition, p. 234).

Lorsque les détenus étaient malades eux-mêmes, ils obtenaient la permission d’aller se faire soigner hors de la prison ou dans leurs familles. Le 16 avril 1250, Bernard Raymond, clerc de Conques, était autorisé à sortir de sa cellule de Carcassonne propler infirmilatem (l)iiciim., n" 14). Le 9 août suivant, même permission était donnée à Bernard Mourgues de Villarzel-en-Razès, à condition qu’il rentrerait huit jours après sa guérison (ll)id., n* 22) ; la même faveur aux mêmes conditions était faite, le l4 mai, à Armand Bruncl de CoulToulens, et le 15 août, à Arnaud Miraud de Cannes (Ihid., n" 24 et 25). Le 1 3 mars 1253, l’emmuré Bernard Borrel était mis en liberté provisoire propler iii/irmilatem, et ne devait rentrer en prison que quinze jours après sa guérison (Douais, np. cit.. ii, p. 200, n" 167). Le 17 août suivant. Raine, femme d’.dalbert de Coulfoulens, était autorisée à demeurer hors de prison quousqiie convaliterit de egritudine sua (llnd., n" 179). Même permission est donnée, !e 5 août 1253, à P. Bonnafou de Canecauile ; le }) août, à Guillelme GaCère de Villemoustaussou ; les septembre, à P.-G. deCaillavel de Montréal (Ihid., n" l’jS, 180, 181) ; le 15 novembre 1256, à Guillaume clerc de Labaslide-Erparbairenque ; le 9 septembre, à Bar. Guilabert (Documents, p. 238, n" 252 et 253). Le 18 novembre 1254, c’est une certaine Rixende, femme de Guillelm Hualgnier, qui obtient de sortir pour faire ses couches et de ne rentrer qu’un mois après qu’elles auront eu lieu{/hid., n" 21 1). La répétition de ces cas à « les intervalles fort courts et parfois le même jour prouve que nous sommes en présence, non d’exceptions, mais d’une coutume établie.

Souvent aussi, les inquisiteurs accordaient des

adoucissements et des commutations de peine. Dans sa Practica (pp. 36, 39, 49-50), Bernard Gui cite des cas où la prison était remplacée par une amende. Le 3 septembre 1252, P. Brice de Montréal obtenait de l’Inquisition de Carcassonne la commutation de sa captivité en un pèlerinage en Terre sainte (Documents, p. 193, n" iSa). Le 25 juin 1206, c’est le pèlerinage en Terre sainte qui est remplacé par une amende de 50 sous, parce que le condamné ne pouvait pas voyager propler senectutem (Ihid., p. 237, n° 250). Dans d’autres cas, le port de croix apparentes sur le vêtement était commué en un pèlerinage : c’est la grâce que lit l’Inquisition de Carcassonne, le 5 octobre 1261, à un grand nombre d’habitants de Preixan, de CoulToulens, de Cavanac, de Cornèze, de Leuc et de Villefloure (Ihid., p. 169, n* 81). Malgré sa haine anticléricale, Lea reconnaît que « ce pouvoir d’atténuer les sentences était fréquemment exercé » et il en cite, à son tour, un certain nombre de cas. « En 1328, par une seule sentence, 23 prisonniers de Carcassonne furent relâchés, leur pénitence étant commuée en port de croix, pèlerinages et autres travaux. En 1829, une autre sentence de commutation, rendue à Carcassonne, remit en liberté dix pénitents, parmi lesquels la baronne de Montréal. « (Histoire de l’Inquisition, I, p. 558.) Après avoir cité d’autres cas empruntés aux sentences de Bernard Gui, Lea fait remarquer que « cette indulgence n’était pas particulière à l’Inquisition de Toulouse ». Nous en avons trouvé de nombreuses traces dans les registres de l’Inquisition de Carcassonne et il est fort à présumer, ces tribunaux n’ayant pas un régime particulier, « |u’il en était de même devant toutes les cours inquisitoriales.

Malgré la bulle d’Innocent IV, qui avait réservé au Saint-Siège la remise complète de la peine, on vit des inquisiteurs faire entièrement grâce à des condamnés. Bernard Gui, dans sa Practica, donne même la formule usitée en pareil cas, bien iju’il recommande de ne s’en servir que rareiucnt(P ; « t/(cn, p.5C). Lui-même réintégra au moins une fois un condanmé dans le droit de remplir une charge publique. Une fois aussi, il rendit au lilsd’un condamné, qui avait pleinement satisfait, la faculté d’occui)er le consulat ou de remplir une autre fonction publique (Douais, L’Inquisition, p. 227).

Ces atténuations et ces commutations de peines n’étaient pas des actes isolés de prélats ou d’inquisiteurs particulièrement indulgents ; car elles furent souvent dues à des juges sévères tels que Bernard de Caux et Bernard Gui, dont le zèle contre l’hérésie demeura longtemps légendaire. Elles étaient plutôt la conséquence de l’idée que se faisait l’Inquisition de l’objet qu’elle devait poursuivre en réprimant l’hérésie.

Les criminalistes modernes insistent sur celle pensée généreuse, que par les sanctions sociales on doit viser avant tout l’amendement du condamné et ils. font passer au second plan l’idée surannée du châtiment expiatoire. Savent-ils qu’avant Beccaria et lesphilosophes du xviii" siècle, au.xquels on attribue généralement le mérite de cette conception, l’Inquisition du Moyen Age a pensé de incme ? « Elle ne punissait pas pour punir, dit Mgr Douais. Elle se préoccupait de corriger, d’amender, de convertir le coupable que tout d’abord elle voyait loin du devoir. Elle avait l’ambition de le ramener à la foi… Qu’il reconnût son erreur, qu’il y rcnonvàt, qu’il reprit lidèlement le symbole de son baptême, c’est tout ce qu’on voulait… la pénalité devait aider ce retour… Moins rigoureuse que la justice séculière, la justice d’Eglise a toujours cherché le bien moral de celui qui comparaissait à sa barre ou qui subissait sa juridir-