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INQUISITION

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assistaient dans tout le cours de la procédure et donnaient leur avis sur la sentence à émettre. Une bulle d’iNNOCENT IV, du II juillet 126^, ordonnait au prieur des Dominicains de Paris, inquisiteur du Poitou et du Languedoc, de n’interroger les témoins qu’en présence de deux personnes « parce que, dit-il, pour une accusation si grave, il faut procéder avec les plus grandes précautions » ; et de ne prononcer une sentence de condamnation que sur l’avis conforme île l’évêque diocésain, ou, en son absence, de son vicaire, ut in tante animadversionis judicio, non postjjonenda punti/icnm auctoritas intercédai (de Labordf, Layettes du Trésor des Chartes, 111, p. 215-21C). Le nombre de ces assesseurs s’accrut dans de grandes proportions et comprit, à côté des Ordinaires, des religieux, des magistrats, des hommes de loi. Même avant la bulle de 126^, les inquisiteurs Bernard de Caux et Jean de Saint-Pierre jugeaient « après avoir pris l’avis de beaucoup de prud’hommes, de prélats, et de plusieurs discrets religieux », communicuto multorum prelatoruni et alioruin bonorum virorum consilio. Mgr Douais cite des jugements qui ont été ainsi rendus en présence de 25, 27, 82, ^5 et même 51 conseillers. Dans un procès de iSag, parmi ces 51 conseillers nous distinguons des représentants des évêques, des religieux, des docteurs et licenciés en droit civil, des jurisconsultes, le sénéchal, le juge mage, le juge ordinaire de la ville. « La tenue de cette sorte de conseil est assez digne d’attention. D’abord le serment est déféré à chacun des membres qui le composent ; ils s’inspireront de leur conscience et répondront d’après leurs propres lumières… communication leur est faite des charges qui pèsent sur le prévenu ou le coupable… les inquisiteurs font lire les aveux ou dépositions précédemment recueillis par les notaires… Puis, le conseil est appelé à délibérer sur chaque cas. Il répond au moins à deux questions : Y a-t-il faute et quelle faute ? Quelle sera la peine ? C’est à la majorité, ce semble, que la chose se décide. » (Mgr Douais, L’Inquisition, p. 252.)

Ces conseils plus ou moins nombreux selon les circonstances et les pays, mais toujours obligatoires, étaient un vrai jury, fonctionnant à peu près comme celui de nos jours et, comme lui, se prononçant sur la culpabilité et l’application de la peine. Or, — on ne l’a pas fait remarquer suflisamrænl et même certains historiens, ennemis de l’Inquisition, l’ont tu de parti pris, — sur ce point la procédure inquisitoriale était beaucoup plus libérale que celle de son temps ; elle a devancé les siècles et fait bénélicier ses justiciables d’une institution dontnous nous croyons redevables à la Révolution. Disons-le hautement : le jury a fonctionné sur notre sol français, comme d’ailleurs dans toute la chrétienté, cinq cents ans avant les réformes de 1789… et ce fut dans les tribunaux de l’Inquisition !

Le fonctionnement de ces conseils de jurés (consiliarii jurati) était pour les accusés d’hérésie une garantie de premier ordre. Quand, à la suite de Lea, on parle du pouvoir arbitraire des inquisiteurs, on oublie qu’ils étaient contrôlés par ces conseillers et ces assesseurs. Quand on se plaint du caractère secret de la procédure, on oublie que ces mêmes conseillers en suivaient les différentes phases. Quand on se lamente sur la situation des accusés qui ne pouvaient pas connaître les noms des témoins à charge, on oublie que tous les témoignages étaient entendus et discutés par ces conseillers, et qu’avant le prononcé de la sentence on leur faisait relire les procès-verbaux desdépositions. Ilscorrigeaient donc, dans une large mesure, les défauts, qui peuvent se remarquer dans la procédure inquisitoriale, ils ré- 1 duisaientaux plus minimes proportions l’arbitraire’des inquisiteurs, et offraient aux accusés des garanties que ne présentaient pas à leurs prévenus les juridictions civiles.

Ajoutons enfin que leur intervention devait s’exercer dans le sens de l’indulgence ; car c’est la tendance générale de tous les jurés. De plus, des influences de famille, des recommandations de toutes sortes ne manquaient pas de se produire auprès de ces prud’hommes, les amenant à tempérer la sentence que le zèle de l’orthodoxie et le respect superstitieux des textes juridiques auraient pu inspirer aux inquisiteurs. En tout cas, comme le voulait Innocent, le fonctionnement de ces conseils constituait une précaution dont l’importance était en rapport avec celle du procès : in tant gra’i crimine cum niulta oportet cauteta procedi.

Après cela, que devons-nous penser de ces historiens de l’Inquisition qui prétendent que, devant ce redoutable tribunal tout accusé était condamne d’avance ? < Pratiquement allirnie Lea, celui qui tombait entre les mains de l’Inquisition n’avait aucune chance de salut… La victime élait enveloppée dans un réseau d’où elle ne pouvait échapper et chaque effort qu’elle faisait ne servait qu’à l’y impli<]uer davantage. » (llist. de l’Inquisition, 1, p. 507508.) « Tous les moyens ordinaires de justification étaient à peu près interdits à l’accusé, dit de son côté M. Tano.v… Saint Pierre et saint Paul, s’ils avaient vécu de son temps et avaient été accusés d’hérésie, se seraient vus, atnrmait lîcrnard Délicieux, dans l’impossibilité de se défendre, et auraient été infailliblement condamnes. » (IJisloire des tribunaux de l’Inquisition en France, p. SgS-Syg.) Si, au lieu de nous en tenir à cette boutade lancée par Bernard Délicieux à ses juges, nous dépouillons les nombreuses sentences de l’Inquisition qui nous ont été conservées, nous emportons une tout autre impression. Il est faux de prétendre, comme le font MM. Lea et Tanon, que, devant les inquisiteurs, tout accusé était un condamné.

En effet, dans son Directnrinm (p. 47^, Eymeric prévoit le cas où le prévenu n’est convaincu par aucun moyen de droit, et où, après examen, on reconnaît n’avoir rien contre lui. « Il est renvoyé soit par l’inquisiteur, soit par l’évêque, qui peuvent agir séparément ; car on ne peut faire attendre l’innocent, qui bénéficie sans retard de la décision favorable de l’un ou de l’autre de ses deux juges. » (Douais, L’Inquisition, p. 197) Si l’accusé a contre lui l’opinion publique, sans que toutefois on puisse prouver que sa réputation d’hérétique est méritée, il n’a qu’à produire des témoins à décharge, des compurgalorcs, de sa condition et de sa résidence habituelle, qui, le connaissant de longue date, viendront jurer qu’il n’est pas hérétique. Si leur nombre correspond au minimum exigé, il est acquitté (Eymeric, Directoriuni, ibid.). Même s’il y a des charges contre l’accusé, il sullil qu’elles ne soient ni graves ni péremptoires, pour que l’inquisiteur se contente de son abjuration ; dans ce cas, le prévenu est soumis à des pénitences canoniques, mais non à des peines allliclives. Eymeric prévoit ainsi six cas sur treize où les accusés étaient ou bien relaxés simplement, ou bien soumis à des sanctions d’ordre purement spirituel.

Même dans les cas où les prévenus étaient reconnus coupables, par suite soit de leurs aveux, soit de l’enquête, il ne faut pas croire qu’on leur appliquàl toujours les peines les plus rigoureuses et que tout condamné fût livré au bras séculier. Mgr Douais a publié le registre du gretlier de l’infjuisilion de (’arcassonne de 12^9 à 1258 ; sur les 278 sentences qu’il nous donne, on ne relève que fort rarement la peine delà prison ; la condamnation qui revient le plus