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INQUISITION

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et que l’objet de notre croyance nous est, pour ainsi dire, représente en image. » Pour cette raison, conclut saint Tliomas, le judaïsme « mérite tolérance ». C’est une même pensée qu’exprime Eymbric dans son nirectorium : « Uitiis Judeorum ab Ecclesia toterantur quia in illis Inihemiis testimonium fidei cliristianilatis. o Des lors, dit M. Salomon Reinacli, a il ne jtouvait être question de contraindre les Juifs à se convertir, ni de baptiser de force leurs enfants, encore moins de les exterminer ».

Il est cependant deux cas, où l’Inquisition a eu à s’occuper du judaïsme. En lîSg, Ghkgoirh IX lui ordonna de saisir partout les exemplaires du Talmud et de les brûler. « Tandis qu’on brûlait les chrétiens hérétiques, on se mit à brûler avec non moins de zèle les livres juifs. En la^S, il y eut deux exécutions de ce genre à Paris, l’une portant sur quatorze charretées de manuscrits, l’autre sur six… Eu 1267, Clkmbnt IV prescrit à l’archevêque de Tarragone de se faire livrer tous les Talmuds… En iSig, à Toulouse, Bernard Gui en réunit deux charretées, les fait traîner à travers les rues de la ville et brûler solennellement. Le même inquisiteur somma leschrétiens, sous peine d’excommunication, de livrer les livres hébraïques qu’ils détenaient. » (S. Reinacu, ibidem.) Ainsi, au témoignage de M. Reinach, ce sont les livres et non les fidèles du judaïsme, qui ont eu à subir les rigueurs de l’Inquisition. Cet acharnement contre le Talmud s’explique d’ailleurs par les excitations qu’il renferme contre les chrétiens et les actes malhonnêtes et immoraux qu’il permet et recommande même à leur détriment. C’est la raison que donnait Grégoire IX dans la bulle par laquelle il condamnait le Talmud et le livrait à l’Inquisition. S’appuyant sur des citations de ce livre, que le rabbin Isidore Loeb reconnaît authentiques, traduites d’une manière a exacte, précise, très scientilique « , et saisissant fort bien « le sens des passages », le pape signalait à l’indignation des chrétiens des enseignements talmudiques que toutes les lois, même nos lois II laïques » punissent. En voici quelques exemples : u Un serment ou un vœu peuvent être annulés par la permission de trois personnes ou d’un seul docteur… Un serment ou un vœu faits dans l’année sont nuls si, au commencement de l’année, on a pris la précaution de dire : Je veux que tous les serments et vœux que je ferai dans l’année soient nuls et non avenus… On peut et on doit tuer le meilleur des goyim (non-Juifs). Un gor (non-Juif) qui se repose le samedi mérite la mort. Un goy qui s’occupe de l’étude de la loi mérite la mort. L’argent des goyim est dévolu aux Juifs, donc il est permis de les voler ou de les tromper… Il est défendu de rendre à un goy un objet qu’il a perdu. » (Isidore Loeb, /.a controi’erse sur le Talmud sous sailli Louis, p. 8.) Pour défendre le Talmud, qu’il déclare « un des monuments les plus curieux de la pensée humaine » et « un livre profondément religieux », M. le rabbin Loeb nous allirme que ces passages vraiment immoraux contre les goyim ne visaient que les païens du temps d’Adrien ; mais le fait qu’au xiu" siècle le Talmud était enseigné dans toutes les écoles juives, que ses exemplaires étaient répandus tellement à profusion dans le monde juif que l’Inquisition ne put les épuiser, nous prouve que ses prescriptions et ses conseils étaient observés aussi au xiii" siècle et que le pape, les princes chrétiens et les fidèles avaient bien raison de faire réprimer ces excitations au vol, au pillage et à la haine des chrétiens. On trouvera même qu’en se contentant de punir le livre, l’Inquisition se montra bien douce ; de nos jours, ceux qui excitent au pillage répondent personnellement devant les tribunaux de leurs odieuses doctrines.

Il est un second cas où l’Inquisition eut à s’occuper des Juifs. Elle voulut préserver de leur lente infiltration la pureté du christianisme et, pour cela, elle poursuivit les faux convertis qui n’adoptaient la forme extérieure du christianisme que pour mieux dissimuler leur origine et leur ijualilé. En un temps où l’ordre social était établi sur la distinction des races et des religions, et où juifs et chrétiens avaient leur statut particulier et leurs privilèges propres, on comprend que l’Inquisition, agissant dans l’intérêt de la société autant que dans celui de l’Eglise, ait poursuivi les Juifs hypocritement convertis au christianisme, tandis qu’elle respectait, d’une part, les Juifs qui restaient fidèles à leur religion et, d’autre part, ceux qui, sans arrière-pensée, recevaient le baptême.

« L’Eglise, dit fort bien M. Reinach, ne défendait pas

aux Juifs d’être juifs ; mais elle interdisait aux chrétiens de judaïser et aux Juifs de les pousser dans cette voie. » (Ihid.) Ce fut l’Inquisition d’Espagne qui, au XV’et au xvi* siècle, organisa les persécutions antisémites ; mais ce fut pour des raisons politiques, sous la pression des souverains, plutôt que pour des raisons religieuses et sous l’impulsion du catholicisme ; de sorte que les Juifs, dit M. Reinach, « eurent d’autant plus à souffrir de l’Inquisition qu’elle s’écarta davantage de son objet propre et du rôle que lui avait tracé l’Eglise ». En un mot, l’Inquisition religieuse du Moyen Age a respecté les Juifs quand eux-mêmes respectaient les chrétiens ; l’Inquisition politique de la Renaissance les a poursuivis et durement condamnés.

Limitant leur action répressive à l’hérésie, les inquisiteurs ne punissaient pas tous les hérétiques. ce Le rejet des définitions ecclésiastiques, s’il reste interne strictement, ne relère, en cas de culpabilité, que de la justice divine ; car les actes purement internes échappent forcément à toute coercition humaine. Aussi très sagement, l’adage scolastique disait : Ecclesia de inlernis non judicat. Restée interne, l’hérésie n’aurait pas ému la société ecclésiastique du Moyen Age. La cause de son émotion d’abord, ensuite des mesures de répression qu’elle crut devoir prendre, fut la manifestation de l’hérésie interne par des discussions ou des controverses publiques, surtout par des groupements de sectaires annonçant ouvertement leur intention de transformer la société, d’abolir ou du moins de réformer l’Eglise de fond en comble. » (De Cauzons, Histoire de l’Inquisition en France, II, p. 134.)

On ne saurait mieux définir la position de l’Inquisition en face de l’hérésie ; elle respecta les opinions individuelles, personnelles ; elle ne les punit que lorsque, passant de la spéculation à l’action, elles menacèrent l’ordre social et religieux ; elle ne poursuivit que les hérétiques mani/esles.

S’il en est ainsi, pourquoi l’Eglise a-t-elle ordonné la recherche, Vinquisitio d’hérétiques manifestes ? S’ils étaient manifestes, était-il besoin de les rechercher, et si on les a recherchés, souvent au prix de mille dilUcultés, n’est-ce pas la preuve qu’ils n’étaient pas manifestes, et que par conséquent les affirmations que nous venonsd’énoncer vont à rencontre des faits ?

L’objection vaudrait s’il y avait eu une distinction bien tranchée entre les hérétiques manifestes et les autres. Mais, à dater du jour où l’Inquisition fonctionna régulièrement, il se forma une troisième catégorie d’hérétiques, bientôt la plus nombreuse. Elle comprenait ceux qui faisaient acte d’hérétiques, mais en cachette. Ils se livraient à leur propagande antichrétienne et antisociale, ils recrulaient des adhérents, préparaient des complots contre l’orthodoxie, mais dans le mystère des bois et de la nuit, dans le