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INQUISITION

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Ces sentiments sont souvent exprimés dans les manuels des inquisiteurs et nous i)ermettent d’apprécier la bonne foi, la conscience, la droiture et même la charité de plusieurs d’entre eux.

Bernard Gui a passé, dans son temps, pour un inquisiteur sévère, et cependant quel lieau portrait il trace de l’inquisiteur tel qu’il le comprend et tel évidemment qu’il s’ell’orça de le réaliser lui-même 1 a Il doit être, dit-il dans sa Practica, diligent et fervent dans son zèle pour la vérité religieuse, pour le salut des âmes et pour l’extirpation de l’hérésie. Parmi les dillicullés et les incidents contraires, il doit rester calme, ne jamais céder à la colère ni à l’indignation. Il doit être intrépide, braver le danger jusqu’à la mort, mais tout en ne reculant pas devant le péril, ne pointleprécipiter parune audace irrélléchic. il doit être insensible aux prières et aux avances de ceux qui essaient de le gagner ; cependant il ne doit pas endurcir son cœur au point de refuser des délais ou des adoucissements de peine suivant les circonstances et les lieux… Dans les questions douteuses, il doit être circonspect, ne pas donner facilement créance à ce qui paraît ])robable et souvent n’est pas vrai ; il ne doit pas non plus rejeter obstinément l’opinion contraire ; car ce qui paraît im[)robable linit souvent par être la vérité. Il doit écouter discuter et examiner avec tout son zèle, alin d’arriver patiemment à la lumière… (Jue l’amour de la vérité et la pitié, qui doivent toujours résider dans le cœur d’un juge, brillent dans ses regards, afin que ses décisions ne puissent jamais paraître dictées par la convoitise et la cruauté. » (URiiNAnD Gui, Practica, VI’partie, éd. Douais, pp. a3a-233 ; trad. VACANUAnn, op. cit., p. 156.)

Ces conseils sont ceux de la sagesse même et indiquent un sens délicat de la justice ; magistrats et historiens peuvent en tout temps les prendre pour règle de leurs jugements. Dans son Hirectvrium (111’partie, quest. I, De cunditione inqiiisitoris), Evmeiuc trace de l’iuquisiteur le même portrait que Bernard Gui. Les papes multiplièrent les précautions pour que cet idéal fût poursuivi le plus possible et ils entourèrent de garanties la nomination des inquisiteurs. Garanties d’âge : conlirmant des décisions déjà prises par ses prédécesseurs et en faisant une décrétale. Clément V, au concile de Vienne, décida que nul ne pourrait exercer les fonctions inquisiloriales avant làge de qviaranle ans (Cleiiientiii., V, iii, 2). Garanties d’intelligence et d’Iionorabilité : Alex.4^n-DUE IV (ia55), Uruain IV (1 26a), Clément IV (i 260), Ghégoikiî X (1273). Nicolas IV (1290) ont insisté sur les qualités d’esprit, la pureté des mœurs, l’honnêteté scrupuleuse que l’on devait exiger de ces juges redoutables (Pottuast, 16182, 16611, 18387, 18368, 19872, 19924, 20720, 2072/), 28297, 33298). Garanties de science : Evmbiiic déclare que la connaissance approfondie de la théologie et du droit canon était exigée des inquisiteurs (Eymkhic, III" part., quest. 1), et M. DE Cau/.ons, cependant fort sévère à leur endroit, reconnaît que « généralement ils furent de fait, sous ce rapport, des hommes remarquables » (Histoire de ilnquisilioii, II. p. 61). La manière dont ils cxeri.’aient leurs fondions était sans cesse contrôlée. Ils deuieuraient en e’.l’et sous l’autorité du pape et le Saint-Siège intervint paifois pour moilérer leur zèle et punir leur excès (Evmeric, IIP part., quest. 9). Inno< ; bnt IV, le 13 janvier 124C, et Alexandre IV, le 18 mai 1256, ordonnèrent aux provinciaux et aux généraux des Dominicains et des Mineurs de déposer les inquisiteurs de leurs ordres qui, par leur cruauté, soulèveraient l’opinion publique (Pottuast, 11993 ; DoAT, XXXI, 198). Au concile de Vienne, Clément V frappa d’une sentence d’excommunication, ne pou vant être levée qu’à l’article de la mort, sous réserve de la réparation du dommage, l’inquisiteur qui aurait profité de ses fonctions pour faire des gains illicites et extorquer aux accusés des sommes d’argent (ne, prétexta o/ficii iiiquisitioni.s, quihiisi’is modis illicitis ah aliquibiis pecuniam ettorqueant (Cleiitentin., V, III, 2). Dans ces cas, comme dans tous ceux de faute grave, les inquisiteurs étaient révo(iués soit par leurs supérieurs religieux, soit par les légats apostoliques, soit directement par le Saint-Siège (Douais, Documents, p. xxiv). Enlin, les évéques avaient le devoir de signaler au pape tous les abus qui se pouvaient commettre dans la procédure inquisitoriale et de dénoncer les coupables. La même obligation était imposée à tous ceux, notarii et officiales dicti ofjicii, nec non fratres et socii inqiiisitorum et eommissariorum ipsorum, qui, prêtant leur concours aux inquisiteurs, étaient à tout instant témoins de leurs actes (Clément., V, iii, 2). Après avoir signalé toutes ces prescriptions, M. db Cauzons conclut : « On peut croire qu’après les années de tâtonnement et d’expériences. .. il resta peu d’abus personnels dans l’Inquisition, devenue, au xiv* siècle, une des machines judiciaires les rnieur organisées qui fiis.’ient. >i Comme le plus souvent la Clémentine de 13Il ne fait que confirmer des décisions remontant à la première moitié du xiii* siècle, nous pouvons a]>pliquer à l’Inquisition du xiii’siècle l’appréciation qui est ainsi fornmlée sur celle du xiv’, et allirnier « lue si, dès le début, elle fut investie d’un pouvoir redoutable, elle fut aussi entourée des plus grandes garanties dans le choix de ses juges et du contrôle le plus minutieux dans son fonctionnement.

Les détracteurs systématiques de l’Iiiipiisition ont insisté sur l’extension presque indéfinie de l’.-iction inquisitoriale. Nul, disent-ils, n’était assuré d’échapper à ses poursuites : ses tribunaux et ses sentences étaient une menace perpétuelle pesant sur tout être humain. Certes, nous ne nions pas le caractère redoutable de l’Inquisition et l’étendue de sa juridiction, mais encore devons-nous nous garder soigneusement, sur cette question, de toute exagération.

Lorsque l’Inquisition fut organisée, dans la première moitié du xiii" siècle, elle eut pour mission de combattre les dilTérentes sectes qui provenaient du Manichéisme : elle étendit son action aux autres hérésies ([ui eurent, comme celle des Vaudois, des allinités avec elles ; enllii, elle frap]>a non seulement ceux qui prêchaient et pratiquaient ouvertement ces doctrines antichréliennes et antisociales, mais aussi ceux qui en favorisaient la diffusion, de quelque manière que ce fut.

Une première remarque s’impose, c’est que l’Inquisition, ne visant que les hérétiques, laissait hors de son action répressive les non-chrétiens qui, n’ayant jamais admis les dogmes du christianisme, ne pouvaient pas avoir professé à leur endroit des opinions contrairesà l’orthodoxie. Dès lors, lespaïens et les musulmans échappaient à sa juridiction ; el si, plus tard, en Espagne par exemple, elle prononça contre eux des sentences, ce fut par une contradiction avec ses |irincipes, que lui imposa la politique des princes, |)hitôt que le souci de l’orthodoxie.

Les Juifs <mt bénéficié d’une plus grande tolérance encore. M. Salomon Heinach l’a parfaitement démontré dans une conférence faite à la Société des Etudes juives, le 1" mars 1900 et publiée dans la ^^e^ue des Jùiides jnifcs de cette même année. Il cite avec raison le texte bien connu de saint Thomas d’Aquin :

« Les juifs observent leurs rites, sous lesquels la

vérité de la foi i|ue nous gardons éUiit autrefois préfigurée ; il en résulte cet avantage que nous avons le témoignage de nos ennemis, en faveur de notre foi.