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INQUISITION

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mis fin aux longues luttes du Saint-Siège et de Frédéric Barherousse, le pape Lucius III réunit à Vérone, en 1 18^, une nombreuse assemblée, comprenant, avec lui l’empereur, des patriarches, des arclievêques et un grand nombre de princes venus de toutes les régions de l’Kmpire. Avec leur concours et surtout avec celui de l’empereur FnÉDi’ : nic, « Fiiderici, illiis-Iris lidiiianoruin imperatoris, semper Augusti, piæsenlia puriler et vigore stiffulit », le pape Lucius 111 promulgua une constitution « contre les Cathares, les Putarins, ceux qui s’appelaient faussement les Humiliés et les Pauvres de Lyon, les l’iissu^ini, les Josei/hiiii, es.lriialdislæ ». Elle était beaucou|i plus précise « [ue toutes celles qu’avaient juscpi’alors éditées les papes et les conciles, et elle demeura longtemps en vigueur ; car Grégoirk IX la lit plus tard insérer dans ses Dccrétales.Elle excommuniait, avec les hérétiques, ceux qui les protégeaient, avaient reçu d’eux le Consolameiitum, se disaient Croyants ou Parfaits. Ceux d’entre eux qui seraient clercs, seraient dégradés, dépouillés de leurs charges et de leurs bénélices, et livrés à la puissance civile pour être punis par elle. Les laïques seraient livrés de la même manière et pour le même objet au bras séculier, surtout s’ils étaient relaps. Tout archevêque et évèipie devrait inspecter soigneusement, en personne ou par son archidiacre ou des personnes de eonliance, une ou deux fois l’an, les paroisses suspectes, et se faire désigner sous serment par les habitants les hérélifiues déclarés ou cachés. Ceux-ci devraient se purger par serment du soupçon et se montrer désormais bons catholiques. S’ils refusaient de prêter le serment ou retombaient ultérieurement dans l’erreur, l’évêque les punirait. Les comtes, barons, recteurs, consuls des villes et autres lieux devraient prêter serment d’aider l’Eglise dans cette œuvre de répression, sous peine de perdre leurs charges, d’être excommuniés et de voir l’interdit lancé sur leurs terres. Les villes qui résisteraient sur ces points aux ordres des évêques, seraient mises au ban de toutes les autres ; aucune ne pourrait commercer avec elles. Quiconque recevrait chez lui des hérétiques, serait déclaré infâme à jamais, incapable de plaider, de témoigner et d’exercer une fonction publique. Enlin, les archevêques et évêques devaient avoir toute juridiction en matière d’hérésie et être considérés comme délégués apostoliques par ceux qui, jouissant du privilège de l’exemption, étaient placés sous la juridiction immédiate du Saint-Siège.

Lea rcniarque avec raison que « cet édit était le plus sévère qui eût encore été fulminé contre l’hérésie >> (op. cil., I, p. 131). En effet, on ne se contentait pas de frapper les hérétiques qui étaient surpris et ceux qui leur assuraient la liberté ; o « Ifs reclierrliail. Bien plus, cette recherche était organisée et conliée au zèle des évêques, qui en étaient responsables. Tout liércliipic ainsi découvert devait abjurer, sous peine d’un ohàliment que l’autorité civile devait infliger. L’obstination dans l’hérésie, la complicité avec l’hérésie n’étaient plus seulement des fautes de conscience, tombant uniquement sous des sanctions spirituelles ; elles devenaient des crimes réprimés par des pénalités temporelles graduées.

A vrai dire, c’est l’Inquisition qui est établie par I elle constitution de 1184, non pas encore l’inquisition ponlilicale qu’exerceront, au nom du Saint-Siège, des inquisiteurs appartenant le plus souvent à des ordres religieux, mais l’inquisition épiscopale dont devra s’acquitter l’évêque dans chaque diocèse, en vertu de ses attributions ordinaires de défenseur et (le gardien de la foi.

Cette date de 1 184 marque donc une étape importante dans l’histoire de la répression de l’hérésie ; et

Tome II.

en jetant un coup d’oeil d’ensemble sur les mesures qui l’ont préparée, au cours du xii* siècle, nous pouvons allirmer :

1* Que, répugnant d’abord aux peines temporelles et s’en tenant aux spirituelles, l’Eglise n’a soumis qu’à la lin du xii’siècle l’hérésie à des châtiments matériels ;

2* Qu’elle a été amenée à cette recrudescence de sévérité par la pression qu’ont exercée sur elle non seulement des rois pieux et soumis à sa direction, tels que Louis VII, maisencore des princes en révolte fréquente contre elle, tels que Henri II roi d’Angleterre et l’emijcreur Frédéric Harberousse ;

3° Et que, dès lors, rin([uisition a été presque universellement pratiquée par l’autorité civile avant d’être établie dans le monde chrétien par une décision ecclésiastique.

Doctrine des hérétiques. — Comment se fait-il que le pouvoir civil ail montré pour la répression de l’hérésie, au xii’siècle, un zèle qui dépassait et excitait sans cesse celui de l’Eglise’.' Il ne sullit pas pour l’expliquer d’alléguer le faiiatisuie ; car comment admettre que les rois, même quand ils étaient en rupture déclarée avec le Saint-Siège, ou blasphémaient le dogme chrétien, comme le fera plus tard Frédéric II, aient été plus fanatiques que les gens d’Eglise ? f^omment surtout admettre qu’avant l’an mil, dans’Aes siècles de haut moyen âge qui n’ont pas connu lies bîichers, les princes aient été universellement tolérants et soient devenus aussi universellement intolérants, après l’an mil ? Le fanatisme peut avoir inspiré tel prince, telle exécution ; mais il ne saurait ex])liquer la création, à la lin du xii’siècle, d’une institution chargée de réprimer méthodiquement, et dans tout le monde chrétien, l’hérésie.

On pourrait alléguer aussi, qu’en ordonnant des supplices contre les hérétiques, les princes donnaient satisfaction à la haine dont l’opinion publique poursuivait les sectes hétérodoxes. Il est certain en effet que, sauf dans les pays où les Cathares étaient toutpuissants, comme en Languedoc et dans certaines villes d’Italie, le peuple réclamait partout leur extermination. Investi danssa ville du i)OUVoir temporel, l’abbé de Vézelay eut à juger, des hérétiques, en 1 167 ; embarrassé sur le traitement qu’il devait leur infliger, il eut l’idée de consulter la foule : « Brùlezles I » lui répondit-elle ; et ainsi fut fait (Lea, 0/). c17., i, p. 350). Des scènes du même genre se passèrent en beaucoup d’endroits. C’est qu’en efîet les bruits les plus étranges circulaient dans le ])euple sur les hérétiques. On racontait d’eux, comme on l’avait fait des premiers chrétiens, que dans leurs réunions secrètes ils se livraient aux débauches les plus honteuses, pratiquant non seulement l’union libre et la communauté des femmes, mais encore la jn-omiscuité des sexes avec les vices de Sodonie et de Goniorrhe. On disait encore que, lorsque des enfants naissaient de leurs unions honteuses, ils les mettaient à mort, réduisaient leurs corps en cendres avec lesquelles ils faisaient un pain dont ils se servaient pour parodier les rites augustes de la communion. On leur attribuait aussi des actes de sorcellerie et de magie.

Il est possible que certains de ces faits immoraux se soient produits ; mais l’imagination jjopulaire, excitée par le caractère mystérieux et secret des réunions hérétiques, les a probablement amplifiés ou même inventés. Quoi qu’il en soit, il ne semble pas que des faits de ce genre auraient sufli pour animer la plupart des princes et des gouvernements contre l’hérésie comme contre un danger public et universel. C’est plutôt dans la doctrine des hérétiques, et

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