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FOI, FIDEISME

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sion à la vérité incréée, la participation à la connaissance que Dieu a de lui-même.

Toutes les objections soulevées par une ps^cliologie partielle et fra<jinentaire tombent devant l’explication intégrale de cet acte dans sa complexité d’acte humain et d’acte surnaturel, où l’iiomme tout entier intervient, comme l’homme tout entier y est intéressé ; et non seulement l’homme, mais Dieu, qui veut bien dire à l’homme le secret de sa vie intime, à laquelle il daigne admettre sa créature.

3. L’objet de la fol, la croyance au mystère, à l’incompréhensible. — Une des grosses ditlicultés de la foi tient à ce que l’on nous demande de croire au mystère, à des choses qui dépassent notre intelligence, disons plus, qui la déconcertent : un Dieu en trois personnes, un Dieu fait homme, la naissance virginale, l’Eucharistie, etc.

A cet égard, quelques explications sont nécessaires, pour préciser l’état même de la question et bien marquer le point de la difficulté.

Quand on compare les anciens apologistes avec les modernes, on est frappé d’une dilTérence notable entre leur point de vue, leurs procédés, et notre point de vue actuel, nos procédés à nous. Eux insistaient avant tout sur la nécessité de croire, sur la soumission préalable de l’esprit. Pour y incliner l’àme, ils montraient que partout il faut commencer par croire sans tant raisonner ; la science, l’intelligence des choses viendra ensuite ; mais il faut se faire disciple pour apprendre, et l’on ne sait que si l’on a d’abord appris. Ils étaient amenés par là même à promettre en conséquence la science des mystères qu’on aurait d’abord admis sans raisonner, la vraie gnose. Et en attendant cette philosophie clirétienne, ils ouvraient déjà, à ceux qu’ils voulaient réfuter ou convertir, des jours sur les convenances de nos mystères, leurs analogies avec les données de la philosophie antique, leurs harmonies avec la nature..Ainsi procèdent, pour ne nommer que ceux-là, Justi.v, Origènb, Augustin, chacun d’eux avec des différences considérables dans le détail, mais aussi avec une remarquable unité dans l’ensemble du mouvement. Saint Thom.vs lui-même ne fera pas autrement. La Somme contre les Gentils est avant tout une sorte d’harmonisation entre les vérités de la foi et les exigences de la raison, ou, quand il s’agit des mystères proprement dits, une réfutation des objections de la raison et un traité des harmonies ou des convenances. Non pas que saint Tliomas oublie nos raisons de croire, les titres de créance de notre religion : on se rappelle le brillant et vigoureux chapitre du Contra Gentes, I, 8, où il établit que nous ne croyons pas à la légère, comme s’il s’agissait de doctes fables. Non pas qu’il prétende démontrer la véritéde nos mystères : nuln’a mieux prouvé qu’ils sont inaccessibles. Et il faut dire la même chose — proportions gardées et la part faite, chez saint Justin notamment, à certaines confusions au moins apparentes entre les vérités naturelles et les vérités surnaturelles — des anciens apologistes. Ce qu’ils voient d’abord, c’est l’objet de la foi ; les motifs de crédibilité n’apparaissent qu’au second plan. C’est qu’ils rencontraient chez leurs adversaires, au moins chez les philosophes, ce double grief contre laprédication chrétienne : elle demande avant tout, sans examen du mystère en lui-même, la foi à ses doctrines ; ces doctrines, par ailleurs, déconcertent la raison humaine, et sont un scandale pour elle ou une folie : un Dieu fait homme, un Dieu crucifié ! C’est donc sur ce double point que devait porter d’abord l’effort de la défense. De nos jours, les apologistes insistent principalement sur les raisons

de croire ; l’objet à croire reste au second plan. Ce qu’ils veulent montrer avant tout, c’est qu’il est raisonnable de croire, et, s’il y a dans la foi une sorte d’abdication de la raison humaine devant la raison divine, que cette abdication, d’ailleurs plus apparente que réelle, est elle-même une démarche de la raison, ou du moins une démarche suivant la raison. Après cela, pensent-ils, peu importe, après tout, ce qu’on nous donne à croire ; si c’est Dieu qui parle, il n’y a pas à comprendre ni même à examiner.

Cette attitude s’explique sans peine, et se justifie d’elle-même. Il ne faut pas se figurer cependant que, même de nos jours, l’objet de foi importe peu et qu’il soit comme indifférent à l’apologétique. L’expérience montre que, maintenant encore, quand le doute cherche, pour ainsi dire, à s’insinuer dans l’àuie, c’est sur l’étrangeté de l’assertion de foi qu’il s’appuie d’abord : un Dieu petite hostie ! un Dieu enfant ! trois en un, et un en trois ! Par là, le doute s’insinue et s’étend vite à la réalité de l’affirmation divine : cela peut-il être vrai ? Dieu a-t-il pu dire cela ?

Il y a là une lumière pour l’apologétique qui veut être efficace et pratique. Elle doit montrer qu’il faut croire cela, paræ que Dieu l’a dit ; mais elle ne doit pas oublier aussi que, si la chose paraît incroyable, on n’examinera pas sans préjugé si Dieu l’a dite (On iieut voir une note sur ce point dans La foi el l’acte de foi, 2’partie, c, iv, p. 124-125). Mais ce n’est pas la question apologétique qui doit ici nous préoccuper ; c’est celle de la foi. Or, de nos jours encore, l’objet de notre foi, le mystère, est un des chefs d’argumentation du rationalisme contre la doctrine catholique de la foi. Si les mystères ne faisaient que dépasser notre raison, on nous dit que nous aurions cause gagnée ; mais ils la déconcertent : ils ont l’air de la contredire, on nous dit qu’ils la contredisent.

Ils ont l’air de la contredire, c’est vrai. Mais je dirais volontiers que cela doit être et que c’est tant mieux. Ne convient-il pas que les richesses du monde divin dépassent la mesure de nos conceptions terrestres et bornées ? Rien ne nous donne une plus grande idée de Dieu que de sentir qu’il est incompréhensible. En méiue temps, rien ne stimule tant notre faible raison que les apparentes antinomies d’une vérité avec l’autre. Ne sont-ce pas des dérogations apparentes aux lois générales, qui souvent mettent sur la voie d’une découverte nouvelle ?

On prétend qu’ils la contredisent. Mais on en est encore à le montrer. Tous les efforts en ce sens ont été vains, et il est aisé de voir qu’on n’attaque jamais notre dogme qu’en le déformant. C’est le cas, par exemple, pour la doctrine du péché originel. (Voir Xature et surnaturel, 4 édition, 191 1, p. 234 el suivantes. ) C’est le cas pour la Trinité, pour l’inerrance biblique, etc. M. Daulnv, dans son livre récent de L’Ignorance religieuse, Paris, 191 1, nous rappelle les méprises de Paul Janet dans son attaque contre nuire doctrine du péché originel (Voir chapitre 11, M. Paul Janet et le péclié originel ; ibid., c. iii, iv, v, VIII, nombreux cas analogues.)

Loin d’être une objection contre nos dogmes, la transcendance des objets de notre foi devient plutôt une présomption en faveur de la foi, quand on comprend que cette transcendaneen’est jamais en contradiction avec la raison, et qu’elle a, au contraire, d’admirables harmonies el convenances avec la nature et les vérités naturelles.

Il ne faut pas croire, en effet, que les vérités révélées soient sans influence sur la vie chrétienne. Les paroles de Jésus sont esprit et vie, en même temps que vérité ; la foi des plus humbles goûte ces profonds