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INERRANCE BIBLIQUE

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choses de la nature ; même les partisans de l’opinion la plus avancée font ici des réserves, et volontiers ils se rangent à la l’orniule du P. Cohnkly, « muta-Jis mutandis ». //(. ; /. et cril. Inliud. gen. in U. T. liOros sacras, 1885 ; i, p. 584. Seulement, ils font <d)server qu’il y a dans la Bible nombre de faits d’ordre profane dont la certitude n’est ni nécessaire, ni directement utile à son but religieux. Dans ces conditions, pourquoi n’aurait-il pas sufB aux historiens sacrés de les rapporter comme on faisait autour d’eux ? Ils pouvaient bien s’en tenir au témoignage des documents qui étaient à leur disposition. Au reste, avaient-ils le moyen d’en agir autrement, à une époque où la critique historique était encore à naître ? Or, des sources non critiquées ne donnent que les apparences des faits, d’après l’adage funles surit apparentiæ fiictoriim. Comme pour les phénomènes naturels, il peut arriver que les apparences soient conformes à la réalité des clioses, mais il peut se faire aussi qu’elles ne le soient pas ou ne le soient qu’iuiparfaitement. Bien plus, il est des événements, par exemple ceux de l’histoire primitive, pour lesquels le témoignage écliappe depuis longtemps au contrôle de la critique ; l’historien doit se contenter ici de la forme concrète que le fait a prise dans la mémoire des hommes ; c’est là, a-t-on dit élégamment, son (( état civil ».

Ces considérations peuvent bien amener à se demander si l’historien sacré a invariablement pris une même attitude vis-à-vis de tout le contenu de son récit, sans distinction ultérieure : s’ila usé de citation implicite, s’il n’a pas rapporté une tradition populaire, plutôt qu’une histoire proprement dite ; mais elles ne sauraient supprimer les différences qu’il y a, dans la Bible, entre l’histoire et les choses de la nature. On peut ramener ces différences à trois principales.

« ) Les notions d’Iiistoire naturelle ne se présentent

pas dans le texte inspiré à l’état de choses afllrniées pour l’intérêt qu’elles ont en elles-mêmes, comme si de leur vérité objective dépendait l’enseignement du texte sacré ; tandis que les faits historiques doivent être, généralement parlant, considérés comme objet direct d’assertion ; en les rapportant, les historiens inspirés ont bien l’intention de les attester, bien qu’ils le fassent en vue du but religieux qu’ils se proposent., 5) La raison de cette première différence, c’est que la réalité intime des phénouièues de la nature n’a rien à voir avec l’économie de notre salut, tandis que l’histoire sainte n’est pas autre chose que la suite des interventions divines pour la rédemption du monde, y) Ni l’Ecriture, ni l’Eglise n’ont jamais proposé à notre foi un seul des phénomènes de la nature, alors que les Evangiles et les Symboles sont remplis de faits historiques qui s’imposent à la foi du chrétien. S. Tho.mas, De veritale, q. xiv, a. 8, ad i, a raison de distinguer l aspect religieux par lequel un fait devient objet de foi de l’aspect par lequel il reste du domaine de l’histoire, par exemple l’article du Symbole passas sub Pontio J’ilato : mais il ne faut pas perdre de vue que ces deux aspects sont inséparables, la réalité historique étant le support nécessaire de sa valeur dogmatique. Si l’on met en doute le fait de la passion de Jésus, le dogme lui-même de la rédemption du monde par la mort du Fils de Dieu sur la croix s’en trouve essentiellement altéré. On dira sans doute que le rapport entre le fait et la vérité d’ordre religieux qui s’y trouve appuyée n’est pas toujours aussi étroit ; et que, de ce point de vue, il y a une grande différence entre la mort d’Antiochus et celle de Jésus, entre le changement du pain dans le corps du Christ et le changement de la femme de Lolh en une statue

de sel. C’est incontestable, mais il n’en reste pas moins vrai que tout ce qui se trouve consigné dans la Bible a quehjue rapport avec son enseignement religieux. C’est précisément parce que ce rapport n’est pas invariablement le même que l’on distingue dans le contenu des Ecritures un objet principal et un objet secondaire. La distinction des retelata per se et des revelata per accidens (en entendant ici la révélation au sens large du mot) est classique ; elle remonte à S. Thomas. Seulement, cette distinction n’est recevable que sous le bénéfice d’une double réserve. i°) La substance de l’histoire sainte et nombre de faits particuliers, comme les mystères de la vie de N. S., appartiennent à l’objet princijjal ; dans ce cas, faits historiques et vérités dogmatiques ne font réellement qu’une seule et même chose. 2") L’objet secondaire lui-même n’est pas resté en dehors de l’influence inspiratrice et, par conséquent, de l’inerrance qui s’ensuit nécessairement. La certitude du récit biblique ne se mesure pas seulement à l’autorité du témoignage historique, elle dépend encore de son caractère dogmatique. Il appartient à l’Eglise, maitresse de la vérité révélée, de dire avec autorité dans quelle mesure l’histoire se trouve être liée avec le dogme. En dehors de tout secours du magistère ecclésiastique, peut-on analyser exactement le récit que fait la Genèse de la chute originelle ?

/’) I.e sentiment de S. Jérôme. — Pour justifier Jérémie, xxviii, lo, d’avoir donné au pseudo-prophète Hananias le nom de prophète tout court, S. Jérôme fait une observation d’une portée plus générale.

« Quasi non mulla in Scripturis sanctis dicantur

juxta opinionem illiiis temporis quo gesla referuntur et non juxta qund rei veritas conlinehat. » P. L., XXIV, 855. Pareillement, à propos de la tristesse manifestée par Hérode, DIattli., xiv, 8, lors de la décapitation de Jean-Baptiste, — tristesse que S. Jérôme croit avoir été feinte, — le saint Docteur ajoute :

« Consuetudinis Scripturarum est, ut opinionem multoriim

sic narre ! historiens quomodo eo tempore ab omnibus credebatur. u P. L., XXVI, 98. Enfin, pour rendre compte de l’appellation courante qui faisait de S. Joseph le père de Jésus ii, il écrit dans le même sens : « Excepto Joseph et Elisabetlt et ipsa Maria, paucisque acfmodum, si quos ab his audisse possumus aestimare, omnes Jesum fîlium aeslimabant Joseph ; in tantum ut etiam Eyangelistæ opinionem vulgi exprimcntes, quæ tera historiæ lex est, patrem eum dixerint Sah’atoris. >. C. Helvid., i, 4 ; P. L., XXIII, 187, cf. Iliid., looi. On peut accorder, si l’on y tient, que S. Jérôme a excédé, ou qu’il a usé de concession oratoire, — ce qui est tout à fait dans sa manière ; — maisil ne paraît pas possible decontesterque le principe formulé par lui dans les textes cités, surtout dans le dernier, n’ait une portée plus générale que les applications particulières qu’il en a faites. Et c’est bien de la sorte que le P. Cobnbly l’a entendu, quand il s’en réclame pour préciser le degré d’exactitude historique, qu’il convient de reconnaître aux deux documents qui ouvrent le second livre des Macchabées. Introd., spec. in libros. V. T., 1887, I, I, p. /169 ; il fait même dans l’Introduction générale, I, p. 603-006, une théorie à ce sujet. « Maxirai moment ! est hæc S. Doctoris observatio, qua nos monet, ne Scripturarum verba secundum hodiernum scienliarum statum premamus, sed ex sacrorum scriptorum mente et intentione explicemus. Quoi difficultates nunquam essent proposilae, si omnes interprètes semper S. Hieronyrai monitum præ œulis habuissent ! » (p. 604).

A l’autorité de S. Jérôme, l’auteur eût pu ajouter celle de S. Bèdb, P. /,., XCII, gSS, 974, 1022 et de S. Thomas, II » II", q. 174, a. 5, ad 4, qui accorde