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INDULGENCES

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les coordonneront en un système ferme et solide. Mais ils ne changeront rien à la nature des indulgences : c’est tout à fait à tort que l’on a voulu faire Alexandre i>e Halès le créateur de leur notion actuelle (cf. Paulus, art. cit., p. ^Cg-^ ?’) 5° Les indulgences poir les morts.

a) Principe ajjinné dès te xiii" siècle. — Mais s’ils n’ont pas créé, les grands scolastiques ont réduit. La doctrine précisée par eux aura pour conséquence de faire étendre aux morts le bienfait des indulgences. Jusqu’au xiii’siècle, pas trace de cette extension.

L’usage toutefois est ancien et remonte aux premiers âges de l’Eglise de prier pour les fidèles défunts — voir art. PuuGAToinE —, et, comme le remarque Amort (Z)e or/^’( « e, pro^ji-essu, valore ac fructu indiilgentiunnii, t. 11, p. agi, cité par Paulus dans ^ei(5c/i ; -. /’. katli. Tlieol., XXIV (igoo), p. 36), s’il est vrai que leur appliquer des indulgences n’est qu’une manière plus solennelle de venir à leur secours, il n’y a pas eu dans l’Eglise d’innovation ou de changement à ce point de vue : seule a varié la forme des suffi-ages oll’erts pour eux. Rien de plus juste, et c’est par des considérations de cette nature que, dès la première moitié du xiii" siècle, on passe de la théorie générale des indulgences à celle de leur application aux morts.

Les prières et les satisfactions personnelles peuvent être appliquées aux défunts : pourquoi n’en serait- il jtas de même de celles qui constituent le trésor de l’Eglise ? L’attribution que le simple fidèle peut faire de ses biens propres, à plus forte raison le chef de l’Eglise peut-il la faire des biens dont il a la suprême administration. Ceux des fidèles qui sont morts en état de grâce conservent d’ailleurs avec le corps social des liens sullisants pour que dispensalion puisse leur être faite du patrimoine commun.

Ainsi raisonnera, à la lin du xv" siècle, un commissaire fameux d’indulgences, Perauui (cf. Paulus, Der Ablass fur die Verstorbenen aiii Ausgangc des Mitielalters. dans Zeitsclir. f. kath. Tlieol., XXIV (igoo), p. 25^, note i). Mais le principe même de son raisonnement se trouve déjà très nettement énoncé, quoique en d’autres termes, par Alexandre de Halès : comme les biens éternels, dit-il, peuvent dériver d’une triple source de mérites : le mérite personnel, le mérite du chef (du Christ), le mérite de l’unité ecclésiastique, de même la rémission de la peine peut avoir la même triple origine (Summa theol., p. IV, q. 23, m. i, a. i).

Or, laconclusion que le docteur franciscain tire de ces prémisses, tous les grands docteurs de son époque l’admettent également. Saint Bonavbnturk (/ « IV, dist. 20, p. 2, a. I, q. 5) et saint Thomas (lu IV, dist. lib, ij. 2, a. 3, sol. 2) enseignent comme lui la possibilité d’appliquer les indulgences aux morts. Leurs disciples ou leurs successeurs du xiv et du xv’siècles reproduisent et répandent la même doctrine, en sorte que l’on s’attendrait à la voir sanctionnée des lors par l’autorité compétente.

b) Acheminement lent et tardif à ta pratique. — D’autant plus que les fidèles sont portés à opérer d’eux-mêmes cette translation de leurs indulgences. Ce qu’un homme possède, disent-ils, il peut le distribuer. Si donc il a obtenu une indulgence, rien ne l’empêche d’en faire profiler ses amis vivants ou morts.

Alexandhbde Halès connaît déjà ce raisonnement (Sum. Theot., p. IV, q. 23, m. 3), dont il montre le faux supposé ; Albert lï Grand (in IV, dist. 20, a. 22), qualifie d’abus l’usage qui prétend s’en autoriser. Tous deux rappellent qu’il n’en est pas de l’indulgence comme des autres biens spirituels : elle est essentiellement d’ordre public et administratif ;

seule l’autorité qui la concède a qualité pour en régler l’usage.

Mais ce principe essentiel, beaucoup de quêteurs et de prédicateurs d’indulgences le méconnaissent eux-mêmes. A la diflérence des docteurs qui, eux, supposent l’intervention expresse de l’Eglise et ne parlent que dans l’hjpothcse d’une application formellement autorisée par elle, ils n’hésitent pas à proclamer qu’en se procurant l’indulgence de la croisade, par exemple, on peut arracher au purgatoire — si ce n’est même à l’enfer, car Albert le Grand en connaît qui vont jusque là ( ; " IV, dist. 20, a. 18) — deux, trois, dix âmes, si l’on veut. Aussi le concile de Vienne (1312) doit-il, comme celui de Latran in siècle plus tôt, réprimer ces exagérations et rappeler aux quêteurs et prédicateurs qu’ils n’ont aucune autorité pour accorder ou amplifier eux-mêmes les indulgences ; les trois canons publiés sur cette matière et insérés au livre V des Clémentines (t. V, tit. ix), donnent l’impression très vive d’un abus fort grave et trop généralement répandu.

Et c’est sans doute ce qui explique la persistance, en face de la doctrine établie par les grands théologiens du XIII- siècle, d’une opinion contraire : jusqu’au milieu du xv’siècle, elle tient en échec dans les écoles la thèse de l’application des indulgences aux défunts (voir Paulus, Der Ablass fiir die ]’erstorbt’nen imiVittelalter, dans Zeitsclir. f. kath, Tlieol., XXIV (1900), p. 12 sqq).

La vraie raison cependant de cette opposition est dans l’absence d’une intervention catégorique de l’autorité ecclésiastique. Qu’elle se produise, et l’on se trouvera d’accord : « Si le pape accordait de ces sortes d’indulgences, écrivait au milieu du xiii « siècle un commentateur de la Somme de saint Baymond de l’ennafort, ce n’est pas moi qui m’arrogerais de fixer les limites de sa puissance » (Si tamen Papa tatibus faciat indulgentiam, nolo ponere os in coetum de plenitudine notestatis ejus temere judicando. Cité par Paulus, ibid., p. 7, note 2, et cf. Bonaventure, in IV, dist. 20, p. 1 1, q. 5, à la fin). Et après lui, tous les partisans de l’opinion négative réservent de même le cas d’une initiative pontificale. Ainsi fait encore BiEL au milieu du xv’siècle : ses premiers ouvrages contestent la possibilité de l’indulgence pour les défunts, tandis que les derniers l’admettent (Paulus, ibid., p. 27). Dans l’intervalle, il a eu sans doute connaissance des bulles pontificales autorisant cette application, et dès lors tous ses doutes sont tombés.

c) Premières concessions. — C’est alors en effet, et alors seulement, semble-t-il, que les papes s’engagent dans la voie que la spéculation leur a ouverte toute large. Du moins parmi les innombrables bulles d’indulgences qui nous restent du xiii’, du xiv= et de la première moitié du xv° siècle, n’en signale-t-on aucune qui mentionne l’application à en faire aux morts. Les premières concessions connues en ce genre datent du pape Calixte III en 14Ô7, et la première dont nous ayons le texte est de Sixte IV en 1476 (Paulus, Die Abldsse fur die Verstorbenen am Ausgange des Mittelalters dans Zeitschr. f. kath. Theol., XXIV (1900), p. 249-260) : c’est celle-là même dont nous avons déjà dit (p. 723) que deux bulles successives en durent expliquer le sens et la portée.

Malgré sa nouveauté cependant, malgré l’étonnement et l’émotion qu’il provoque d’abord dans certains milieux — il ne paraît pas toutefois que l’erreur de Pierre Martinez DE Osma, condamnée parSixTE IV en l/17g : « Papa non potest indnlgere alicui vivo poenam pur^ « i(jrn’» (Denz.-Iîannv., 72(j |6151), ait visé les indulgences pour les morts : cf. la discussion engagée à ce sujet entre Paulus, dans le Knthotik de 1898 II, p. 92, 476-480 sqq.) et la Zeitschr. f. kath.