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nécessaire à la rétribution, car celle-ci est réglée par l’acte personnel. Dieu aura si peu de chose à faire que les écoles philosophiques, la plupart du moins, s’en passeront. — Quant aux dieux et aux démons, ils sont impuissants à l’égard de ceux qui ne sont pas prédestinés, par leurs actes, au châtiment ou à la récompense : ce n’est pas Varuna qni frappe d’hydropisie les pécheurs. Le paganisme sauvage ou mythologique est donc ébranlé : les dieux et les démons sont tenus, comme les simples mortels. d’observer le pentalogue : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas commettre l’adultère. .. Mais, par un effet contraire, le dogme de la rétribution donne naissance à une forme nouvelle de paganisme : les dieux ne sont plus les « immortels » qu’adoraient les Indo-Européens et les Aryas ; ce sont des créatures comme les autres, promues à la divinité par leurs actes, et qui redescendront dans l’échelle des êtres lorsque leur réserve de bonnes œuvres seraépuisce par la jouissance. Inversement, les saints, les ascètes, les sacrificateurs peuvent « passer » dieux.

La croyance à la transmigration peut élre regardée, au point de vue logique, comme un corollaire du dogme de l’acte ; mais nous ne pensons pas qu’elle repose seulement sur des déductions logiques, car elle pénètre profondément la conscience ou la mentalité indienne. Quelques savants en ont cherché les origines dans des spéculations relatives aux morts. Toutefois le plus probable est que cette croj’ance, absolument étrangère au vieux védisme, est un produit de la terre indienne. Presque tous les sauvages croient aux réincarnations ; presque tous supposent que la conception est l’incarnation de quelque esprit humain ou animal : c’est là un des aspects de l’animisme. De ces spéculations sauvages, très répandues, et dont les Australiens n’ont su tirer que d’absurdes totémismes, la pensée brahmanique (ou aryenne) aurait fait sortir la grandiose et morale doctrine de la transmigration commandée par l’acte personnel, en les fécondant par le principe de la responsabilité, par le sentiment de l’unité du cosmos.

t). Le monisme du Vedànta, qui est la plus grande thèse philosophiipie de l’Inde et le fondement de presque toutes ses théologies, se présente souvent comme une vue rationaliste, au plus court : Je suis fera /im « H, l’être uniersclet inlini, car je suis el l’Etre est un, indivisilde, immuable : toutes les limites, toutes les contingences ne sont qu’illusion. — Mais, de quelques démonstrations philosophiques qu’on l’ait entouré, ce monisme semble avoir pour point de départ des données très rudimentaires : « Le principe de vie qui est dans l’homme, Viitman ou soi(ii self »), est le même que celui qui anime la nature. Ce principe, dans riionnr.e, est le souffle ; l’air, ou quelque chose de plus subtil que l’air, l’éther, est Vùtinuii dans la nature. Ou l>ien Viitnian est un être minuscule, un homunciihis, un purusha quàle) qui réside dans le cœur où on le sent battre et d’où il dirige les esprits animaux. Il s’y lient à l’aise, car il n’est pas plus grand que le pouce. Il peut se faire plus petit, car on le sent cheminer dans les artères, et on le voit distinctement dans la petite image, la pupille qui se réfléchit dans le centre de l’œil. Un purusha tout pareil apparaît dans l’orbe du soleil, qui est le cœur et l’œil du monde. C’est Vi’itmaii de la nature, ou plutôt c’est le même âtman qui se manifeste ainsi dans le cœur de l’homme et dans le soleil : une invisible ouverture au sommet ilu crâne lui ouvre un passage pour aller d’une demeure à l’autre. »

De ces notions, qui sont presque « animistes », les brahmanes sont arrivésà l’idée d’un (i<man « unique, simple, éternel, infini, incompréhensible ; prenant

toute forme et lui-même sans forme ; agent unique, cause de toute action, et lui-même immuable ; cause efficiente et matérielle du monde qui est son corps, qu’il tire de sa propre substance pour l’j' réabsorber, et cela par un acte de sa volonté… c’est de lui queprocèdent et en lui que rentrent toutes les existences finies, sans que la multiplicité de ces existences affecte son unité : de même l’océan et les vagues. Plus subtil que l’atome, plus grand que toute grandeur, il a cependant une demeure, la cavité du cieur de l’homme. C’est là qu’il réside en son intégrité et qu’il se repose, se réjouissant en lui-même et en ses œuvres. L’être absolu est directement et matériellement immanent. .. » (Barth, Religions nf Indin, p. 71 et suiv.) Il s’ensuit, — pour transcendant que l’Etre en soi puisse devenir parles elTorts de la dialectique, — que les méthodes d’extase, familières aux sorciers et aux

« fakirs », seront utiles au « grand œuvre '>, à l’union

de l’àme individuelle avec la grande àme. Par la fixité du regard, la réglementation du souffle, on peut « faire rentrer l’âme dans lecœur pour l’y mettre en contact avec l’Unité suprême ». Les abstinences, les macérations, la pénitence (tapas) dégagent aussi une vertu mystérieuse : beaucoup de thaumaturges vulgaires y ont recours pour commercer avec les esprits. Toutes leurs « recettes » seront de bonne prise pour les mystiques de l’Union (^vo^a). Mais le souci delà moralité (dogme de l’acte), le dogme de la transmigration, le sentiment de la sublimité de la grande àme et des tares qui font son accès difficile aux âmes individuelles, empêcheront cette mystique de tomber décidément dans l’absurde. Elle oriente vers un but sublime, et par desdiscipliues austères (élude du Veda, observation des lois morales, etc.), l’indiscrète curiosité du divin qui s’attachait exclusivement à des buts prosaïques et temporels (acquisition des pouvoirs surnaturels, etc.). Elle réserve le succès définitif du retour en lame éternelle, à ceux qui sont détachés des passions et préfèrent atix exercices d’hypnose la méditation transcendante de l’Etre, la distinction du momentané et de l’éternel, du douloureux (joies d’icibas ) et du vrai bonheur.

5. La spéculation brahmanique s’arrêta longuement et complaisamment au monisme (Vedànta), qui reste le credo de l’Inde scolastique ; mais la mythologie et la piété sont trop vivantes pour que le monisme ne soit pas entamé. examiner, dans l’ensemble, la théologie des grandes sectes, on voit qu’elle concilie les exigences du mysticisme, incapable de se contenter d’un démiurge ou d’un créateur, el les exigences de la dévotion, disons du cœur et de la raison, qui réclament un dieu qu’on puisse adorer, qui puisse rendre service : d’où une conception hybride, proprement incompréhensible à l’Occidental, mais qui répond aux tendances profondes et contradictoires de l’Hindou, à moins <iu’clle n’ait formé ces tendances : la conception qu’un indianiste (HonciNs) a heureusement nommée « panthéisme personnel »..Seul existe l’être sans limites et sans caractères ; mais ICrishaa, dieu très personnel, dieu à biographie, est l’hj’postase essentielle et intégrale de cet être dont nous sommes, aussi longtemps que nous ne rentrons pas en Krishna, des formes vaines, douloureuses et pécheresses.

I Ce panthéisme est un instrument bien imparfait de j moralité, et un lourd « handicap v de la raison indienne, car il lui interdit une fois pour tontes déposer raisonual)lemcnt quelque problème que ce soit. Il est donc, à plusieurs points de vue, inférieur à la théologie naturiste souvent, souvent aussi théiste et moiiolhcisante du vieux Veda. Cependant il u civilise u les cultes sauvages de l’Hindoustan, — c’est ainsi,