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INDE (RELIGIONS DE L’)

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de raisonnements plus ou moins subtils et alaniliiqués, où la raison trouve foit peu son compte, (]uand le bon sens n’y est |)as eruellemenl outiayé. De l’aveu de tous, c’est le point faible du Bouddhisme, qui ne vaut guère que pai- sa morale. C’est donc celle-ci que nous étudierons surtout, sinon même exclusivement. On a déjà u. dans la biographie du Bouddha, les l)arties essentielles de son enseignement. Il me sutlira d’ajouter à ce que j’ai dit de courtes explications.

Le Bouddha s’appliquait à démontrer à ses disciples que rien de ce qui tombe sous les sens n’est le moi, parce que celui-ci est permanent et que les sensations, ou plutôt leur objet, leur substratum, ce qu’en langage bouddhique on appelle corporéité, ne l’est pas. Cette spéculation est vieille comme les rpanishada, comme le Védisme, par conséquent. L’Atraan seul existe, tout le reste n’est qu’un ensemble de phénomènes auxquels ne répond aucune réalité.

La question qui prime toutes les autres, dans la philosophie bouddhii]ue, est celle de la douleur. Or la douleur a pour origine la soif de l’existence. Eteignons cette soif, et du même coup nous supprimons la douleur : plus de cause, plus d’effet. Le désir est la clef de cette doidoureuse énigme de l’existence. Les philosophes bouddhiques, qui toujours raffinèrent à l’excès et se grisaient de leurs propres formules, avaient imaginé ce processus : « De l’ignorance proviennent les formations, des formations la connaissance, de la connaissance nom et corps, des nom et corps les six domaines [c’est-à-dire les sens et leurs objets ; le sixième sens, c’est le Manas, l’organe interne], des six domaines le contact [entre les sens et leurs objets], du contact provient la sensation, de la sensation le désir, du désir l’attachement, de l’attachement l’existence, de l’existence la naissance (distincte de l’existence), de la naissance proviennent vieillesse et mort, soulTrance et plainte, douleur, chagrin et désespoir. » Telle est l’origine de la douleur. Si nous voulons supprimer celle-ci, supprimons sa cause première, l’ignorance que nous remplacerons par la science. Nous reprendrons alors, mais dans un tout autre sens, le précédent processus, puisqu’il s’agira, non plus d’apports, mais de suppressions, l’une amenant l’autre.

Je lais une foule de raisonnements, ou plutôt de paralogismes, quand il ne s’agit pas de tautologies, pour arriver sans autre transition au cœur du problème.

Ce (]ui met en branle, ce qui fait tourner la roue du Samsara et produit cette série de renaissances ou de douleurs, c’est le Karman ou l’œuvre. Déjà le Brahmanisme l’avait proclamé : l’œuvre fait à chacun sa destinée. La fameuse loi de causalité, la ^ oilà. Eu ceci, comme en bien d’autres points, le Bouddhisme n’a pas le mérite de l’invention. Nous lisons dans le Dhainmapada cette maxime : « Ni dans le royaume de l’air, ni au sein de l’océan, ni dans le creux des rochers, nulle part tu ne trouveras d’asile contre le fruit de les mauvaises actions. » Or, ce langage fut toujours celui du Brahmanisme.

Il y a cinq régions où l’àme peut éraigrer au sortir du corps, suivant son Karman : ce sont les cincj mondes des dieux, des hommes, des fantômes, des animaux et des enfers.

Par une fiction qui ne manque pas de grandeur, l’eschatologie bouddhique transporte le méchant, à sa mort, aux pieds de Yama, le Pluton et tout à la fois le Minos de l’Inde. Assis sur son tribunal, le dieu lui demande, d’une voix terrible, s’il n’a pas rencontré, durantsa vie, lesmessagers duCiel. — Quels messagers ? interroge en tremblant le misérable.’Varna répond : « L’enfance, la vieillesse, la maladie, la

répression des crimes ])ar la justice humaine, la mort enfin. » Et le redoutable juge, après lui avoir reproché d’avoir été sourd aux avertissements de ces cinq messagers célestes, prononce cette sentence : -i Ces forfaits, ce n’est pas ton père, ni la mère, ton frère ou ta sœur, c’est toi et toi seul qui les a commis ; seul donc tu en mangeras le fruit. » Cela dit, Yama livre le condamné aux exécuteurs de ses ordres, ([ui lui font expier ses forfaits par d’horribles tourments, après quoi il est rejeté dans ce monde où il recommence une nouvelle vie, au branle de la roue du Samsara.

Non plus que le Brahmanisme, le Bouddhisme ne connut l’éternité des peines.

La théorie brahmanique du Karman, le Bouddhisme n’a fait que la développer, tout en subissant ce que M. SÉNART appelle justement « la tyrannie des cadres et des mots » (Mélanges Harlez, 294 et seq.). Après avoir parlé de sa scolastique « incertaine et fluide », le même savant dit du Bouddhisme : « C’est dans ses tendances morales qu’est le secret d’un triomphe que l’originalité métaphysique ne lui eût pas assuré. » Elle le lui eût d’autant moins assuré que cette métaphysique est précisément moins originale au fond, sinon dans la forme. Voici, du reste, le résumé de cette métaphysique.

L’âme et le corps sont, pour le Bouddhisme, un double courant de phénomènes, de sensations, de transformations qui se succèdent sans fin et constituent un perpétuel devenir. Suivant cette doctrine, il y a des sensations avec objet mais sans sujet, des visions de choses et des choses vues ; seul le voyant n’existe pas. Ainsi, point d’âme substantielle ayant une essence propre : c’est tin mot qui exprime une collectivité, comme le mot char, c’est l’exemple classique, par rapport aux diverses parties d’un véhicule. Le Brahmanisme défendait fine l’on dit : « C’est moi, c’est à moi. » Pour le Bouddhisme, plus de moi, plus de toi, l’identité du sujet n’existe pas. Que devient avec cela la responsabilité des actes, et par suite la morale ? Le Bouddha pensait échapper à la diûiculté par une subtilité. D’après lui, malgpé la belle fiction de tout à l’heure, il ne fallait pas dire : « Un tel a fait telle chose et il en éprouve les suites », pas plus que le contraire ; la vérité est entre ces deux assertions De la sorte, il n’était pas prouvé que le coupable jugé et condamné par Yama subit les conséquences de ses crimes ; le contraire n’était jias démontré davantage.

Ainsi, c’est sur un non-sens qu’est basée la morale regardée généralementcommc la pluspure après celle de l’Evangile. Pour peindre ce que l’être a de fuyant, les Bouddhistes le comparent au llcuve t coule sans cesse : il porte toujours le même nom et pourtant ce n’est jamais la même eau qui passe. Ou encore à la llanime d’une lampe qui n’est jamais la même, bien que paraissant toujours la même, la fiamnie qui brillait durant la première veille de la nuit n’étant pas celle qui brille dans la seconde. C’est, comme on l’a remarqué, le tt^tk j-.ti d’HKRACLiTK (Oldenberg, op. cil., 2.5^ cl seq.), pour qui rien n’est, tout devient, tout meurt, tout s’écoule, tout devient tout, tout est tout, en n’étant rien, de sorte que chaque être contient en soi sa propre négation, en tant qu’il est et à la fois qu’il n’est pas irlenliquc à lui-même.

Tout se transforme le long du chemin qui conduit au y’ir’àna. M.iis qu’est-ce que le Nirvana ? Le Bouddha refusa toujours de se prononcer à ce sujet. Lorsqu’on l’interrogeait pour savoir ce qu’il en était, il secontentait de répondre : « Ne dites pas : le moi existe, ni le moi n’existe pas. » Si>fn"CB Hardy et Eugène Brn-NocF, qui avaient si sérieusement étudié les textes bouddhiques, croyaient qu’il s’agissait bien du néant absolue ! Bartuixémy Saint-Hilaibe, après avoir cité