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INCINÉRATION

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les autres qu’il faut subordonner à ceux-ci. » (Robinet, 1. c, 1). 77<j.)

Le meilleur juge en la matière est encore l’intéressé. Or, i)Our citer un des exemples Us plus caractéristiques, on sait à quel point la population d’une de CCS cités-reines, la population parisienne, aime ses cimetières. Il fut question en 1867 de les éloigner ; ce projet seul inspira ces belles paroles à Jules Simon : « Nous avons à Paris, dans cette ville qu’on accuse parfois d’être sceptique, deux jours, le jour de la Toussaint et le jour des Morts, qui voient le peuple de Paris, lidcle à des habitudes qui l’honorent, se porter en foule dans les cimetières. On n’estime ])as à moins de 800.000 le nombre de ces pieux pèlerinages. Croyez-vous que, par l’établissement d’un cimetière unique et éloigné, vous ne diminuerez pas ce nombre ?… Vous aurez amoindri le sentiment le idiis pieux qui existe dans les âmes. Voilà ce qui m’inquiète, et j’ai besoin d’être rassuré ; j’ai besoin qu’on me dise qu’il n’y aura pas d’amoindrissement dans la morale. « (Très Inen.’très liien !) (Officiel, séa.nce du Sénat du 27 janvier 1867.)

C) L’incinération, dit-on encore, préviendrait les risques elTrayants des enterrements prématurés. Cette objection soulève une question préalable de droit nalurel : « Est-il permis, sans se rendre coupable d’homicide intentionnel, et, parfois, d’homicide effectif, de brûler une personne apparemment morte, ifans le but de la tuer, si elle était encore vivante ? » Nous ne trancherons pas ici cette question délicate. Mais de deux choses l’une : ou l’on jugel’acte permis, et alors n’y a-t-il pas desmoyens moins rebutants que l’incinération (ponctions, injections) d’assurer le décès ? Ou bien l’on juge l’acte défendu, et alors on ne peut l’accomplir même dansune intention d’humanité ; la lin ne justitie pas le moyen.

En réalité il faut se rappeler que la prévoyance liumaine a ses limites. Il y a des dangers qu elle est incaiiable de prévenir entièrement. Tout ce qu’on est en droit d’exiger d’elle, c’est qu’elle assure le bien dans la grande, la très grande généralité des cas, et, (piant aux risques exceptionnels, qu’elle les atténue dans la mesure que permettent les forces physiques et les convenances morales. Là s’arrête sa puissance.

Tout ce qu’on peut conclure des dangers des inhumations hâtives, c’est qu’il appartient au législateur d’assujettir les obsèques à de sages formalités, et à l’administration de veiller à l’exécution des rcglemenls. Les gouvernants doivent aussi populariser la connaissance des procédés de constatation qui diminuent les chances d’erreur, encourager les inventions et aider leur réalisation. Munich, on le sait, et d’autres villes d’Allemagne, possèdent un obitoire oii les cadavres demeurent quelque temps en observation. L’on a préconisé aussi les appareils Karnice dont l’emploi dans les plus humbles villages coûterait beaucoup moins que l’établissement des fours crématoires (GBXiEssK-FEnnEREs, La mort apparente et la mort réelle, Paris, Beauchesne, igo6, pp. 363 et sqq.). Nous n’avons pas à nous prononcer sur la valeur de ces procédés. On peut du moins espérer que les recherches, orientées et activées dans cette direction, aboutiraient à des résultats pratiques, qui concilieraient les garanties assurées aux vivants avec le respect dû aux morts.

Du reste, si dans le four crématoire on n’a [>as à craindre d’être enterré vivant, on court le risque d’être brûlé vif, ce qui est cent fois pis : « S’il arrivait d’aventure, dit M. Rochard (I. c, p. gSG). qu’on portât au four à crémation un malheureux en état de léthargie, on ne peut pas songer sans frémir à l’horribh’torture qui l’y attendrait. « Quel réveil dans une vision infernale I « Cela ne durerait quc

quelques secondes, je le sais, mais quel épouvantable supplice, à côté de l’asphyxie lente et à peine sentie dans laquelle doit s’éteindre celui <jui revient à la vie dans la nuit du tombeau. »

Tout pesé, convenances morales et considérations d’ordre pratique, il n’existe donc aucune raison vraiment convaincante en faveur de l’incinération. Pour corroborer cette preuve négative, on pourrait ajouter que ce procédé a contre lui, même sur le terrain utilitaire où ses partisans aiment à se placer, des inconvénients positifs.

A) Au point de vue juridique, l’intérêt de l’instruction criminelledoit faire repousser la crémation, au moins dans l’état actuel des choses. C’est la conclusion de M. DK Ryckeri- ; , juge au tribunal de 1" instance de Bruxelles, à l’occasion d’une consultation de la Société de médecine légale de Belgique. Ce magistrat constate, avec Laccassagne, Albert Bournet et de Tarde, que le progrès des sciences chimiques, en permettant de constater dans l’organisme les moindres traces de substances toxiques, a eu pour résultat de diminuer d’une façon considérable l’empoisonnement, surtout parmi les classes instruites ; la crémation, si elle se généralisait, ramènerait la fréquence de ces pratiques criminelles, en leur assurant dans beaucoup de cas l’imiuinitc ; le feu détruit tous les poisons organiques et la plupart des poisons minéraux le plus souvent employés ; les constatations médicales faites au moment du décès ne donnent pas de garanties sullisanles, par suite de l’inattention, des erreurs, parfois de la complicité du médecin vérilicateur, étant donné surtout que les soupçons et indices de crime ne prennent souvent corps que quelque temps aprèsles obsèques ; l’incinération rendrait impossibles ces constatations rétrospectives qu’a si souvent permises avec succès l’exhumation. Et M. de Ryckere apporte des faits à l’appui (La crémation au point de vue criminel, dans lievue de droit pénal et de criminologie, juillet 1910, pp. ogg-C 12). Il cite aussi deux témoignages, celui de M. Gustave Le Poittevin", directeur du Journal des Parquets et pendant de longues années juge d’instruction au tribunal de la Seine : « Je crains qu’en France, dit ce praticien des enquêtes criminelles, l’on n’ait pas sullisamment réfléchi aux inconvénients de l’incinération, quand il y a possibilité de crime. J’ai vu de nombreux exemples d’individus dont la mort m’avait paru naturelle ou purement accidentelle, et qui, cependant, auraient été victimes de crimes et pour lesquels une exhumation avait été indispensable. .. » ; et celui de M. Balthazard, professeur agrégé à la Faculté de médecine et médecin légiste à Paris : « En réalité, ces mesures sont illusoires : on ne découvre pas un empoisonnement par le simple examen d’un cadavre ni même par l’autopsie, mais seulement par l’analyse toxicologiciue, qui demande plus d’un mois. Or les soupçons en matière d’empoisonnement, ne prennent habituellement corps fine cinq ou six jours après le décès, c’est-à-dire à un moment où la crémation serait accomplie. D’où impossibilité de prouver le crime, ou, ce qui serait encore plus grave, de détruire des accusations injustiliées, portées contre un individu. »

Un autre praticien des expertises judiciaires, le D’BnouARDEL, écrivait de son côté : « Les intérêts de la justice et ceux, tout aussi graves, des personnes injustement inculpées d’avoir commis une intoxication, seraient sérieusement compromis par l’adoption de la crémation, surtout en temps d’épidémie cholérique.’{.4nnales d’hygii’ne publique, l883, II, p. 326.) Et cf. M. RocUARD dans lievue des Deux .tfondes (1. c, pp. g30, 9^1). Même conclusion de

M.M. B.VUDE, BoCSSINGAfLT, B0UCI1ARD, A.T cl TrOOST,

Tome II.