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INCINERATION

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p. 290) la description d’un saisissant réalisme que lui a inspirée ce spectacle. Citons seulement ces lignes :

« Certainement, c’est la plus poignante impression

d’horreur que j’aie jamais éprouvée, telle que je ne tenterai même pas de vouloir la rendre. Au seul souvenir de ce corps se tordant, de ces bras battant l’air, demandant grâce, de ces doigts crispés et s’enroulant comme des copeaux, de ces jambes noires qui donnaient de grands coups de pied, ayant pris l’eu ainsi que des torches (un instant je crus l’entendre hurler), il me court des frissons, j’ai la sueur froide au fronl et rétrospectivement je compatis au supplice de ce mort inconnu dont j’ai entendu la chair crier et protester. »

Le 9 février 1890, des jeunes filles furent prises de crises de nerfs à l’incinération d’une de leurs maitresses ; et, dans une autre occasion, un homme fut frappé de folie furieuse(MgrCnoLLKT, /^ des Se. Eccl., 03, p. 370). « Lorsque j’entends une jeune femme manifester l’intention de se faire incinérer, écrit de son côté M. IlocHARD, je ne lui demande qu’une chose, c’est d’aller voir une crémation avant de prendre ses dispositions testamentaires. » (La Crémation, p. 936. Voir bibliogra|)liie.) A plus forte raison on pourrait donner ce conseil à un père, à un lils qui vont livrer au four la dépouille d’un être aimé. Les partisans de la crémation ont si bien compris l’horreur du spectacle, qu’ils reoomuiandent un « cérémonial spécial, complètement superflu pour l’inhumation » ; des gardes en tenue maintiendront dans la salle « le silence et l’ordre le plus [larfait » et « l’approche des appareils doit être absidument inlerilite ». Ilsullit en ell’et de laisser voir la réalité, pour que « des articles grotesques ( ?) sur les liorreurs de l’incinération «  paraissent ! < lendemain dans les journaux (cf. discours du secrétaire général à l’assemblée de la A’. J’. L. P. de Vlnc, dans Questions actuelles, 1. c., p. 290).

Ces considérations expliquent la répugnance générale que notre atavisme chrétien nous inspire pour ce mode funéraire. Les propagandistes de la crémation en conviennent ; ils ont à lutter contre l’opposition nonseulemcnt des prêtres, des mèdecinslégislcs, des gouvernants, mais aussi des populations (ibid., p. 289). Et, nous l’avons déjà dit, sur plus de’ ; 3.ooo incinérations pratiquéesen France, il n’y en a pas eu 3.500 elTectuées par la volonté des défunts et des parents ; les 90.000 autres ont été imposéi-s d’ollice.

Quoi qu’en disent les |)artisans de la crémation, écrivait justement M. Jules Hocuauh, elle répugne à nos mœurs… Lors » qu’après avoir eonleni|ilé leurs traits (de nos proche ! ^) dans la beauté sereine dont la mort les illumine pour quelipies instants, nous les avons pieusement déposés dans leurs bières et conduits au champ durejjos, nous savons qu’ils sont là, ([u’ils y resteront à tout jamais trancpiilles et que lentement à travers les années, ils y subiront leur dernière métamorphose, sans que rien vienne les troubler. Avec lacrémation, tout sefaiten une heure… Hier c’était une personnevivantcet on a la conscience qu’elle est encore intacte dans ce cercueil… On la voit disparaître dans la fournaise… et l’on vous rend un kilogramme d’os calcinés ! Voilà tout ce qui vous reste et l’illusion n’est plus |)ermise… Lorsque nous nous trouvons en face de ces tombes ipii recouvrent nos cliers morts, où leurs noms sont inscrits, c’est tout leur p.issé, c’est le souvenir du bonheur qu’ils nous ont donné qui nous revient en mémoire ; et nous nous faisons celle illusion qu’ils [jcuvent nous entendre encore… LacrénuUion supprime tout cela. L’urne funéraire inipliipie l’idée d’un anéantissenu^nt absolu. Je ne me figure pas un ])cre ou un époux en pleurs ou en prière devant un récipient dans lequel il a vu mettre quelques ilébrisd’os calcinés. Je me le

figure encore moins cherchant au milieu de la foule, dans l’enceinte encombrée d’un Columbarium, le numéro de la case qui renferme les restes de son enfant.

« (f.a Crémation, dans liaue des Deux Mondes, 

15 avril 1890, pp. gSS, 987.)

On aurait tort de passer légèrement sur ces considérations et de n’y voir qu’un sentimentalisme mystique. Les inclinations du cœur humain s’imposent au respect quand elles sont conformes à ce qu’il y a de plus certain et déplus élevé dans la raison et dans la foi. Les idées morales sont puissamment soutenues par les institutions où elles s’incarnent. L’Eglise, moins encore que l’EtatVa le droit d’oublier cette loi sociale. Non seulement elle a une mission toute moralisatrice ; mais de plus elle est fondée sur une doctrine. Le dogme, chez elle, est comme l’armature qui retient le reste. Or la manière la plus efKcæe d’inculquer les croyances dans l’esprit et le cœur des fidèles, c’est de les concréter etdeles rendre visibles et attirantes dans les mœurs et les usages. Et c’est là le vrai motif des adversaires du catholicisme dans leurs efforts contre l’inhumation.

Par suite de cette connexion entre nos rites et les idées morales, il est à prévoir que la crémation, si elle se généralisait, marquerait une dépression religieuse, émousserait le sens moral afiiné par de longs siècles de christianisme.

Le point de vue utilitaire et pratique primerait bientôt ce qu’on appellerait dédaigneusement les aperçus métaphysiques et mystiques. Ce ne sont pas des prêtres et des philosophes, ce sont des praticiens i|ui ont noté, à cet égard, des indices significatifs. Les Dfs Lacassagnk et DunuissoN font cette observation en relevant les deux faits suivants : M. Xavier Rudler, dans une lettre au docteur CafTe écrivait ceci : « Je n’ai rien trouvé de plus sinq)le que de placer les corps dans une cornue à gaz et de les distiller jusqu’à réduction en cendres, et j’ai ajouté que /< ^az provenant de cette distillation pouvait servir à l’éclairage, sauf à avoir des appareils à lavage très puissants… » Dans une courte brochure (B/ » /ohs nos morts.’), qui, bien qu’anonyme, n’est peut-être pas la moins liabilenicnt faite en faveur de la crémation, nous lisons la phrase suivante « Cette combustion dégagedesvai>eursqu’il s’agit de rendreaussi peunuisibles qviepossible, tn attendant qu’on les utilise, comme la science ne manquera sans doute pas de le faire un jour. » Un Anglais, Henry Tuomi’son, n’a pashésitéà établir cetteétrangesupputalion : « Vu le nondire des décès dans la ville de Londres, on pourrait y recueillir, à la fin de chaque année, au moyen di’S appareils crématoires, 200.000 livres d’ossements humains destinés à engraisser le sol. Ce serait une diminution considérable sur le capital exporté. » (Cf. Questions actuelles, t. LXXXII, p. 284.) Une célébrité académique, le professeur Molescuott, partisan de l’incinération, écrivait de son eôlé ces incroyables paroles : « Quel n’était pas le prix de cette poussière, que les anciens dé|)osaient dans les urnes cinéraires au fond des tondieaux… // suffirait d’échanger un lieu de sépulture contre un autre, après qu’il aurait servi un an, on aurait ainsi au bout de six ou dix ans un champ des plus fertiles… qui créerait des hommes eu même tenq)s qu’il augmenterait la quantité des céréales. » (Cf. Ilornstein, Les Sépultures, p. i/|8.) (^est avec raison que les docteurs l.acassagne et Dubuisson prévoient cjue l’on ci se précipitera dans l’industrie » et que » ce jour-là, le culte des morts aura vécu ».

Une communication faite récemment à la Société pour la propagation de l’incinération i)ar son secrétaire général, montre quc ces prévisions eoninu-nccnl déjà à se réaliser en partie. Dans son rapport annuel