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FOI, FIDEISME

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confiance en Dieu ou au divin, la foi sans dogme révélé.

En France, A. Sabatier ne voulut pas rejeter le dogme, mais il en changea la notion. Il ne sauraitplus être question de rLélalion objective, ni de vérités révélées à croire. Toute la religion est dans le sentiment religieux et la prière. Mais il est dans la tendance de notre psychologie que nous essayions de traduire en langage intellectuel nos émotions religieuses. Celte traduction ne saurait être que syml)oIique. Elle est un effort pour nous représenter la réalité ineffable et inaccessible à l’esprit, qui entre en commerce avec nous par le sentiment, ou plutôt vers laquelle nous tendons par la prière, qui jaillit du sentiment de notre dépendance à l’égard d’une réalité supérieure, que nous sentons bonne et paternelle, sans d’ailleurs savoir ce qu’elle est. Cet effort s’aide naturellement des connaissances du sujet qui veut penser sa foi, et il consiste principalement à mettre cette pensée de sa foi en rapport avec l’état actuel de la science. De là une évolution continuelle du dogme, pour le mettre en rapport avec l’évolution de la science. De vérité objective, il n’existe plus trace dans ce système ; tout est subjectif, tout est relatif à nous-mêmes dans notre connaissance du divin. Le symbole n’est pas le signe expressif d’une réalité supérieure que nous y saisirions par analogie : il n’est que l’expression de nous-mêmes, de nos émotions, d’une pensée qui est bien un acte du sujet pensant, mais qui directement ne nous apprend rien de la réalité pensée. La foi, même intellectualisée dans le dogme et exprimée dans les symboles (remarquez que l’on joue, consciemment ou non, sur le mot srinhole), cette foi reste purement subjective.

Telle est, autant que cela peut se résumer en quelques mots, I Esquisse d’une philosophie de la religion, 1897, qui a eu tant d’iniluence sur l’éclosion du modernisme en France, et sur ceux-là mêmes qui en ont comliattu quelques idées, en s’en assimilant la substance ; telle est cette Religion de t’espril, dont A. Sabatier devait achever la théorie dans le dernier de ses livres, igo^, en l’opposant aux Heligions d’autorité, qui décidément sont en opposition avec l’âme moderne, jalouse avant tout de son autonomie, de sa vie propre et de son libre développement.

Beaucoup moins libres d’allure, beaucoup moins dégagés des vieilles formules, et même, semble-t-il, des vieilles idées protestantes, sont les écrits divers où M. Eugène Ménégoz a élaboré, sans arriver à lui donner, comme a fait A. Sabatier pour ses propres idées, une cohésion systématique et l’aspect d’un tout harmonieux, sa grande idée du fidéisme ou symbololidéisme, de la foi indépendante des croyances déterminées, ou du moins de toute croyance déterminée qui soit nécessaire au salut. M. Ménégoz, en republiant, vingt et un ans après leur première apparition, ses Iié/ ! e.rions sur l Evangile du salut, écrivait, en 1900 : « Convaincu d’avoir saisi la véritable pensée du Christ, j’entrevoyais (en 187g) les conquêtes de cet enseignement pour le royaume de Dieu… Aujourd’hui, je suis persuadé plus que jamais que la doctrine centrale de cet écrit est aussi la doctrine centrale de l’Evangile de Xolre-Seigneur Jésus-Christ. » Le fidéisme, Paris, igoo. Préface, v. Poiu’lui, la foi est avant tout la conversion du cœur vers Jésus, et nul ne sera condamné pour n avoir pas cru à tel ou tel dogme, à telle ou telle vérité. Pour lui, l’histoire de saint Thomas refusant de croire à la résurrection jusqu’à ce qu’il ait vu le Ressuscité, est tm signe <iue Jésus n’en veut pas à ceux qui doutent, « aux esprits critiques qui ne se rendent qu’à l’évidence matérielle », pourvu que leur cœur ne soit pas éloigné de Dieu et que l’on ne refuse pas de croire j)arce qu’il

faudrait « renoncer au péché et se convertir à Christ ». Car Jésus apparaît à Thomas et ne le rejette pas. Pour eux aussi, « un jour viendra… où leur doute sera confondu et où ils verront le Ressuscité face à face ». I.e fidéisme, p. ^8-83. Il va jusqu’à réserver le mèuie sort à « l’original », qui ne croirait pas niême à l’existence de Jésus. Si RL Ménégoz ne voulait que maintenir qu’on n’est pas condamné pour xine incrédulité non volontaire, et que l’ignorance invincible nous excuse, aux yeux de Dieu, de n’avoir pas cru explicitement telle ou telle vérité, sa doctrine, sur ce point, ne dilférerait pas de la nôtre ; mais ce serait un plaidoyer pour la foi implicite, abhorrée des protestants. Il entend, sans doute, que croire à telle ou telle vérité particulière est chose bien indifférente, et qu’il n’y a pas à se mettre en peine pour si peu. Si c’est bien là sa pensée — et l’on ne s’explique pas autrement son insistance sur son idée comme sur une découverte personnelle — il ne fait que pousser un peu plus loin le système de Jurieu sur les vérités fondamentales et réaliser les prévisions de Bossuet sur le terme où devait aboutir le système, l’indifférence religieuse.

C’est là aussi que l’Encyclique Pascendi nous a montré l’aboutissement du modernisme. Ceux qui devaient en être les initiateurs et les chefs n’étaient pas d’abord anlidogmatiques. Voulant être catholiques, ils admettaient la foi et ils admettaient le dogme. Mais ils en pervertissaient la notion, en ramenant la foi à une impression subjective, qui, en soi, n’a rien d’une connaissance, et en faisant du dogme, non la formule intellectuelle d’une vérité révélée ])ar Dieu et perçue par la foi, mais le résultat d’un effort pour se représenter intellectuellement ce qui n’a pas été intellectuellement perçu et est intellectuellement inconnaissable pour nous. Le système se présente avec des variétés individuelles : autre dans le relativisme de M. LoisY, autre dans la théorie de la connaissance prophétique élaborée par Tybhell, autre dans l’idéalisme pragmalisle de M. Ed. Le Roy ; mais partout il donne du dogme une notion relativiste, agnosticiste, et subjectivisle. Même quand il fait de la foi une expérience religieuse, il n’en fait pas une connaissance, ou il n’en fait que la connaissance d’un phénomène de conscience, non l’assentiment intellectuel à une vérité révélée. A travers les variétés individuelles, dont elle n’avait pas à s’occuper. l’Encyclique a bien saisi ce fond substantiel de la doctrine moderniste sur la foi. C’est cet agnosticisme et ce subjectivismc religieux, c’est cette foi antidogmatique qu’elle a condamnée. Quelques remarques sufliront à montrer que la condamnation est méritée, et à montrer le bien-fondé de l’ancienne doctrine contre les objections nouvelles, tant celles des protestants libéraux que celles des modernistes.

B. Remarques et principes de solution. —

Il n’est pas facile de discuter directement soit avec les uns, soit avec les autres. Philosophiquement, ils sont tous teintés de kantisme, ils sont agnostiques et subjcctivistes. Nous n’avons qu’à les renvoyer aux artiiles déjà cités. Théologiquement, même liilliculté : ils rejettent (je ne parle pas ici des catholiques qui auraient donné quelque peu dans ces idées, mais qui se sont pleinement soumis à rEncycliqiu-)et l’autorité de l’Ecriture et celle de l’Eglise, soit en les niant directement, soit en en faussant la notion.

Nous les tenons d’ailleurs i)Our réfutés parla même. Car nous savons que leur doctrine ne représente ni la pensée de l’Eglise, ni la pensée de Jésus ; nous savons que leur philosophie ne tient pas, aux yeux de la raison. Et, comme nous avons nos raisons île croire eu Jésus et de croire en l’Eglise, comme nous