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IMMUNITÉS ECCLÉSIASTIQUES

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usent à peine aux besoins les plus impérieux du culte. La seconde c’est que l’évéque ne peut, sans se rendre coupable aux yeux de l’Eglise, surcharger son diocèse d’un nombre excessif de prêtres, et que, déplus, il doit pourvoir à la subsistance des membres de son clergé, ce qui en limite forcément le nombre.

Mais, dira-t-on, n’est-il pas à craindre qu’à la veille d’une guerre un grand nombre de jeunes gens ne se réfugient dans les séminaires ? Non ; parce que nul n’est reçu dans un grand séminaire, s’il n’a fait ses études classiques ; parce que les supérieurs ecclésiastiques veillent, en pareille circonstance, avec plus de sévérité à ne recevoir que ceux dont la vocation à l’étal ecclésiastique semble à peu prés certaine ; parce que, enlin, l’Eglise ne se refuse pas à ce que des mesures soient prises pour obvier à ce danger, car il est beaucoup plus à craindre pourelle que pour l’Etat, à cause des ministres sans vocation qu’elle serait exposée à recevoir dans son sein.

2" La plus considérable des immunités cléricales, après celle dont nous venons déparier, est l’exemption de la juridiction séculière. Quelques explications préalables sont nécessaires pour bien faire saisir la question. L’Eglise, nous le savons, forme une société religieuse indépendante, et qui se suffit à elle-même ; d’autre part, les membres qui la composent sont des hommes, sujets, par conséquent, à l’erreur et à la passion ; il lui faut donc des tribunaux et une force coactive pour maintenir la paix entre ses membres et procurer l’observation de ses lois. La compétence de ces tribunaux a naturellement la même étendue que l’autorité doctrinale, législative et administrative de l’Eglise ; car la raison veut que la société, dont une loi est émanée, ait le pouvoir d’en juger les transgressions. De plus, comme les clercs sont spécialement sous le pouvoir et en la possession de l’Eglise, il leur est accordé, par respect pour leur caractère sacré et dans l’intérêt de la liberté ecclésiastique, de n’être jamais jugés que par les tribunaux ecclésiastiques, quelle que soit la nature de la cause, et de n’être jamais violentés que par une force publique agissant au nom de l’Eglise. Ce privilège constitue ce qu’on appelle l’immunité de la juridiction séculière ; est-il conciliable avec les législations civiles modernes ? L’existence des tribunaux ecclésiastiques elle-même n’est-elle pas en contradiction avec les constitutions actuelles ? Quelles concessions peut-on attendre de l’Eglise en cette matière ? Donnons une courte réponse à ces différentes questions.

En ce qui regarde l’existence même des tribunaux ecclésiastiques, elleest la conséquence logique et nécessaire de l’autorité législative et de l’indépendance de l’Eglise. En effet, si l’Eglise peut porter des lois, il faut des tribunaux pour prononcer sur les dilTérends que soulève nécessairement leur application. Si, par exemple, un desépouxnie la validité du mariage, si la possession d’un canonicat est contestée, si le sens ouïe caractère des vœux d’un religieux est douteux, il faut un jugement pourterminer la cause. Ce jugement ne peut être porté par les tribunaux civils, qui ne possèdent aucune autorité dans les causes religieuses et n’agissent pas au nom <lu pouvoir ecclésiastique, unique origine de la loi violée ; il est donc nécessaire que l’Eglise possède ses tribunaux particuliers et indépendants.

Mais il ne suffit pas de juger, il faut encore faire exécuter la sentence, et, comme tous les chrétiens ne sont pas des saints, l’emploi de la force devient parfois nécessaire. L’Egliseadonc le droitde faire usage de la force ; tous les théologiens l’enseignent, et le Souverain Pontife l’a publiquement déclaré par la condamnation portée contre la proposition 21J du

Syllabus (cf. Ghoupin, Valeur des décisions du Saint-Siège : Syllabus, … prop.24 ; Nouvelle Bévue théologique, p. 209 sqq., avril 1908, et p. jl sqq., févr. 1910). Mais comment accorder l’exercice de ce droit avec les constitutions des Etats modernes, qui confient exclusivement aux gouvernements l’emploi de la force publique ? L’Eglise aurait-elle aujourd’hui comme en d’autres temps ses soldats et ses prisons ?Mais la loi civile s’y oppose, puisqu’elle n’admet l’existence d’aucune force militaire autre que celle de l’Etat. Demandera-t-elle aux gouvernements de faire exécuter les arrêts des tribunaux ecclésiastiques ? Mais les gouvernements ne reconnaissent pas ces triliunaux et, de plus, sont liés par le principe de la liberté de conscience. Il est donc impossible à l’Eglise de faire aujourd’hui usage de son droit ; elle peut juger, mais ses décisions ne valent que pour les catholiques de bonne volonté. Elle se résigne à cette nécessité, sans trop de regrets, parce que, dans le temps présent, vu les dispositions du plus grand nombre, l’emploi de la force par l’autorité ecclésiastique serait, à peu près partout, matériellement et moralement impossible : moralement parce que les rigueurs exercées au nom de la religion éloigneraient lésâmes, loin de les ramener, et matériellement parce que les populations ne les supporteraient pas.

Pourtant l’Eglise désire exercer son droit de coaction en certains cas, lorsqu’un membre du clergé fait résistance à ses lois.

Dans le concordat conclu, en 1855, entre le Saint-Siège et l’Autriche, il était stipulé, par l’article 16, que le gouvernement prêterait main-forte à l’Eglise pour l’exécution des sentences éjjiscopales portées contre les clercs coupables et récalcitrants. Cet article a soulevé des réclamations ; on l’a attaqué au nom de la liberté de conscience et au nom de la dignité de l’Etat ; il ne blessait ni l’une ni l’aulrc.

De quel droit, en effet, le clerc rebelle pourrai L-il se plaindre des rigueurs exercées à son égard ? En entrant dans l’Eglise, il a promis d’en observer les lois et s’est d’avance soumis aux châtiments portés contre les Iransgresseurs. Si donc il viole quelque loi, et s’il encourt quelque punition, il est juste qu’il subisse son châtiment ; lorsqu’il résiste, il faut évidemment que l’Eglise le contraigne et que force demeure à la loi. Il ne peut s’en prendre qu’à sa propre obstination des moyens violents dont on use alors envers lui. Il en est de ce clerc comme du soldat qui, en entrantdans l’armée, se soumet aux prescriptions du code militaire, et s’engage à en supporter les inconvénients, demême qu’il en recueilleles avantages. Il faut remarquer cependant qu’entre le prêtre et le soldat, il y a cette grande différence que l’un est entré librement et volontairement dans le ministère sacré, tandis que le plus souvent l’autre ne s’est rendu souslesdrapeaux que forcé par la loi. Nul ne prétend que le soldat soit blessé dans ses droits d’individu par l’emploi de la coaction matérielle, lorsqu’il transgresseles règlements militaires ; pourquoi refuse-t-on à l’autorité ecclésiasti<iue envers le prêtre les droits que l’on reconnaît à l’Etat envers le soldat ?

L’Etat, dit-on, se déshonoreralten prêtant ses soldatsà l’Eglise. Nous ne voyons pas en quoi la dignité de l’Etat peut être rabaissée par le concours qu’il prêterait à l’Eglise. Un prince s’est-il jamais déshonoré en portant secours à son voisin, trop faible pour défendre lui-même ses droits ? Qu’on ne vienne pas dire qu’un tel gouvernement se ferait le serviteur de l’intolérance cléricale. Est-ce donc de l’intolérance que de contraindre quelqu’un ; ’i remplir les engagements qu’il a j)ris, en parfaite connaissance de cause et dans la plénitude de sa liberté ?

Les clercs peuvent mériter châtiment pour avoir