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IMMANENCE [METHODE D’)

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L’antinomie est nette.

Encore si cette offre du surnaturel, l’homme pouvait en paix de conscience faire comme s’il l’ignorait ; mais il n’en est rien : le bonheur que le surnaturel apporte, il prétend l’imposer : malheur à qui ne consent pas à plus de félicité ; même celle qu’il a lui sera ôtée ; le don gratuit est obligatoire.

Alors vrainient le scandale éclate. Car enfin, si l’on pouvait ne rien dire en face d’un message dont on n’aperçoit pas la raison d’étie et d’une générosité dont on n’apprécie pas la largesse, il en va autrement dès que le don refusé entraîne avec lui des représailles.

Il semble alors que l’homine puisse répondre, incrédule, au liienfaiteur dont on est censé lui transmettre les offres :

« Qu’est cela ? Je n’ai rien demandé, je n’ai besoin

de rien, la félicité à laquelle ma nature aspire, si étroite qu’elle soit, me suffit ; elle est coupée à ma taille ; je ne veux pas d’une béatitude plus grande et des chai’ges qu’elle implique… Mais quoi ! elle me serait imposée ?… Je serais condamné à accepter le bonheur offert, à en subir la joie, à l’aimer par contrainte et résignation 1… Arraché malgré moi à ma médiocrité dorée, je serais voué à la fortune, sous peine de pauvreté ! … Je ne comprends plus : la générosité change de nom dés qu’elle devient oppressive, le collier trop lourd s’appelle un carcan. En face d’une pareille prétention, ma conscience se révolte, et forte d’une idée de justice et de bonté où elle voit un absolu, elle refuse de prendre au sérieux cet amalgame incohérent de bienfait et de tyrannie, u

Qu’on ne parle donc plus d’apologétique : qu’on ne ressasse plus les ])reuves objectives de l’existence du surnaturel : celui-ci ne peut pas être, il n’est pas… Et quand même quelqu’un s’offrirait à fournir la preuve historique de son existence, l’esprit philosophique refuserait encore de parlementer ; il est superflu d’examiner si une chose est, quand il appert déjà qu’elle n’a point le droit d’être.

Ce qu’on vient d’exprimer sous une forme un peu vive et de dramatiser afin de faire mieux comprendre rintén’t poignant et toujours actuel d’un problème qu’il a fallu d’abord formuler en termes abstraits, ce n’est rien autre que le conflit, dans une conscience, du principe d’immanence et de la notion du surnaturel.

2) Des conditions d’ua accord et de l’apologétique capable de l’établir en fait. — Reconnaissons tout (le suite une chose : c’est que si le conflit existe, il est insoluble. Tel qu’il se présente en effet, comme une opiiosition entre deux systèmes d’idées, d’idées nettement circonscrites, pleineset dures, dont il s’agirait de faire se correspondre et s’épouser les contours, il n’y a pas moyen de concevoir comment on pourrait arriver à leur donner de l’élasticité, à leur arracher de la complaisance, sans en évider un jieu le contenu, sans en déformer la délinition. Et c’est ce qui est interdit. Il est, d’autre part, impossible, aux yeux du philoso])lie croyant qui se refuse à vivre en partie double, qu’entre le principe d’immanence, c’est-à-dire ce qui est pour lui la vérité selon la raison, et les données du surnaturel, q>ii sont la vérité selon la foi, se produise un conflit vraiment insoluble.

H faut donc que le conflit n’existe pas.

Cela nous amène à soupçonner que l’apparence

d’être, l’ombre de corps dont il se revêt, le pseudoconflit l’enqirunte à un effet de perspective, à une illusion d’optique intellectuelle qui défigure les données en en cachant une partie. Il y a des vérités incomplètes plus meurtrières que des erreurs.

De là, nécessité d’examiner critiquement si les rapports enlrelanature et le surnaturelont étécorrectemcnl décrits, si l’on n’a pas cédé, dans l’épure schématique qu’on en a tracée, à une tentation de clarté, à un besoin de géométrie, qui a porté à négliger tout ce qui n’apparlient ])as à l’ordre immobile des essences et qui pourtant contribue à intégrer les réalités historiques, — les seules qui fassent question.

On a considéré le surnaturel d’un point de vue notiounel : mais il se présente, en fait, nécessairement enveloppé dans une psychologie qui lui prête ses formes et qu’il remplit lui-même d’une matière nouvelle, en la moulant à son tour par le dedans. Etranger à la nature, il est impossible qu’il n’en trouble la quiétude unie, n’y creuse un centre d’ondulations dont le cercle aille s’élargissant, à perte de conscience. De ces eflets inévitables, de ces résultantes psychologiques, de ces échos naturels, il y a peut-être profit à tenir comjite.

Onaparlédela nature, mais de la nature abstraite, telle cpi’il n’en existe pas : il peut être bon de lui restituer tout ce que l’histoire contingente a mis en elle, et de l’envisager non seulement dans ce qui découle de son essence, mais dans ce qui la traverse en fait et la travaille ; non seulement dansce qui germe en elle comme enfanté par sa vertu et nourri par sa sève, mais dans tout ce ipii s’exprime en elle, par elle, quels qu’en soient d’ailleursl’origine et le principe.

Peut-être y a-t-il dans ces considérations approfondies et poussées de quoi réduire l’antinomie, sans rien renier de ce qui a été allirmé, de quoi corriger l’illusion, en inqiosant une autre figure aux données, non i)ar suppression, mais par complément, comme on fait un quadrilatère d’un triangle en construisant un autre triangle sur sa base.

De fait, s’il y avait, de ce [loinl de vue concret, un sens légitime où l’on put, sans froisser l’orthodoxie, parler d’un besoin du surnaturel, du coup :

i) Le conflit d’idées, l’antinomie doctrinale qui heurte entre elles deux notions, celle de l’immanence et celle du surnaturel, n’existerait pas. Le thévlogien pourrait accueillir la nation d’immanence.

2) Et il n’y aurait plus qu’à mettre en évidence l’existence de ce besoin pour que le philosophe put accueillir le surnaturel.

C’est-à-dire que l’apparente contradiction objective se montrerait ce qu’elleest : une difliculté subjective ; et qu’en même tem|)S, cette difliculté, déjà résolue en principe, se révélerait comme requérant, comme suscitant une apologétique jjréliminaire qui la résolve en fait.

Et cette apologétique du seuil’serait possible, et opportune et nécessaire.

De quoi s’agirait-il, en effet ? — De concilier des notions ? non ])as ; de |>rouver l’existence ou la crédibilité de la Hévclation ? ])as même ; mais d’obtenir audience auprès d’un esprit, de conquérir son attention aux ])ropositions qui lui sont faites, aux preuves ([ui lui sont présentées, de gagner qu’il parle 1. Cette expression, inconnue à nos sources, et que niuis prenons sur nous d’employer, ne doit ])as faire illusion. M. Bloiuk-1 a toujours lepoussé l’idée de deux a|nilogéliques distiiieles donl on usel-nit allernativenienl ou qu’on aurait à mettre bttut à bout. Il n’v a, pour lui, qu’une apologélitjue, rnpologétifjue intégrale. De cette apologétique, la inclonyniie que nous proposons désigne une étape, en tant que cette étape est franchie sous la pression de la « niclliode d’immanence ».