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IMMANENCE (METHODE D’)

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renvoyer ; et cela même n’aurait pas suffi : car le sens d’une page ou d’une phrase est souvent livré par un contexte qui embrasse toute lu littérature d’un sujet. (Voir, à la fin de l’article, la bibliographie.)

Ce que l’on s’est proposé dans les pages qu’on vu lire, c’est de faire parler les idées elles-mêmes, rea ipsissimas, sans y mêler de l’hisloireou de la controverse, sans retarder là marche de l’exposé par les tâtonnements d’une exégèse textuelle ; — c’est de dégager, d’une façon nette, ce qui doit être considéré comme la substance d’une pensée très complexe qu’il faut renoncera saisir entière dans un court résumé ; — c’est de dessiner le tclième de la Méthode d’immanence, avec la sobriété d’une épure, en sorte ([u’il soit facile de la bien comprendre, ce qui doit permettre de lu bien juger.

Dans ce but, on a pris sur soi de ne point côtoyer les textes quand une route plus au large a paru didactiquement meilleure, d’innover des expressions quand elles ont semblé significatives, bref, de courir tous les risques d’une complète liberté avec la lettre quand on y a trouvé plus d aisance à divulguer l’esprit.

I. — Théorie de la Méthode

i) Le conflit entre le principe d’immanence et la notion du surnaturel. — Il y a un principe auquel la pensée moderne s’attache « avec une susoei )tibilité jalouse », non qu’elle croie l’avoir découvert comme une vérité neuve, mais parce qu’elle se flatte, à tort ou à raison, de l’avoir mieux que jamais mis en lumière après en avoir saisi toute la portée.

Il peut se formuler ainsi : « Ce qui ne correspond pas à un appel, à un besoin, — ce qui n’a pas dans l’homnie son point d’attache intérieur, sa préOguration ou sa pierre d’attente, ce qui est purement et simplement du dehors, cela ne peut ni pénétrer sa vie ni informer sa pensée, c’est radicalement inefficace en même temps qu’inassimilable. »

Tel quel, le principe d’immanence n’est rien autre, nous dit-on, qu’une paraphrase de l’affirmation que saint Thomas énonçait déjà sans restriction : o yHiil polesl ordinari in aliquem finem nisi præexistat in ipso quædam proportio ad finem « (De Veritate, q. 14. a. a), rien ne peut être ordonné à une fin sans que préexiste en lui une certaine proportion à cette Un ; ou, comme M. Blondel traduit, en interprétant :

« Rien ne peut entrer en l’homme qui ne corresponde, 

en quelque façon, à un besoin d’expansion. »

Selon sa double portée, ce principe signifie :

1° Qu’une solution n’a d’intérêt et même n’a de sens que pour qui admet le problème, pour qui le comprend, en éprouve déjà l’inquiétude. L’esprit est un récipient, où cela seul pénètre à quoi l’esprit lui-même s’ouvre ; dès qu’il se juge plein, son vide est irrémédiable.

2" Qu’il ne suffit pas d’approcher d’une âme un bonheur quelconque, même et surtout s’il est parfait, pour que l’àmey soit à niveau, à même d"y goûter et d’en jouir ; qu’il faut encore la hausser intérieurement, et l’adapter par le dedans, sous peine de voir les félicités, objectivement les plus grandes, faire non plus d’impression sur elle qu’un mets succulent sur un malade ou qu’une symphonie sur un sourd.

Tel se présente à nous, sous son double aspect, le principe d’immanence, si, renonçant à l’envisager dans toute son étendue’, nous ne retenons de lui que

1. Si l’on voulait poursuivre ces indications, dans une voie qui déborde un peu le dessein précis de cet article et va plus loin que la difficulté qu’on vise, il faudrait ajouter, en se référant ù la double portée, intellectuelle et morale, du principe d’immanence :

al Même reçu dans une ime de désir, le signe, par où l’idée s’exprime et la solution se propose, ne serajamais K : ompris par qui n’a pas en soi, dans son expérience, de

cela seul qui doit tout à l’heure soulever tm problème et inspirer une solution.

S’il en a été proposé d’autres formules ou d’autres explications, nous pouvons les ignorer, elles ne relèvent pas de cette étude ; et si elles constituent la base d’une apologétique, ce n’est pas de celle que nous entreprenons d’exposer.

Mettons maintenant le principe d’immanence en rapport avec la notion du surnaturel.

Le surnaturel est, par définition, ce « qui demeure toujours au delà de la capacité, des mérites, des exigences de notre nature et même de toute nature concevable ».

Ontologiquement, il consiste dans la participation à la vie divine par la vision béatifique, et dans tout ce qui prépare, commence, accompagne, achève ou suit cette participation à titre liypolhétiquement nécessaire ou doublement gratuit.

De cette vocation à une vie supérieure, la Révélation nous apporte la bonne nouvelle ; elle nous livre le secret de notre destinée. Or ce secret, la nature ne pouvait le trouver d’elle-même… Elle ne pouvait même pas le chercher d’une manière précise : livrée à elle seule, la raison humaine pouvait bien en effet se mettre en quête de sa destinée, mais comme d’une destinée naturelle ; et la trouver énigmatique, mais sans soupçonner cette énigme d’être nécessairement indéchiffrable ; et se juger elle-même impuissante, mais sans pouvoir rien accuser d’autre que l’imperfection actuelle de ses moyens ou les défaillances de sa recherche.

Bien plus, inapte par elle seule à imaginer que la découverte de sa propre destinée passe invinciblement ses forces, la raison, une fois instruite par la foi, doit encore reconnaître que cette destinée elle-même excède par son contenu tout ce que la nature pouvait désirer : le bonheur dont la révélation nous met entre les mains l’instrument et comme les arrhes est trop large pour tenir dans la capacité de la nature ; il ne s’ajuste pas à ses aspirations, il les déborde ; il ne les prolonge pas, en les achevant, il est d’un autre ordre et au-dessus.

Telles sont les données inviolables de l’orthodoxie.

Or, du coup, une opposition se dessine : d’une part en effet, le principe d’immanence défend de comprendre que rien pénètre dans l’esprit et s’y assimile, à quoi l’esprit, d’une manière ou d’une autre, ne s’attend pas : et le surnaturel est ce à quoi la nature, prise comme telle, ne peut s’attendre. D’autre part encore, il dénonce comme inintelligible une félicité qui serait béatifiante sans quel’àme en ait postulé la joie : et la vision intuitive est ce qui ne peut être postulé par l’àme.

quoi l’interpréter. Si nous n’éprouvions pas de tentations, si nous ne portions en nous, quelque purs que nous soyons, le principe de tous les vices, nous pourrions bien apprendre la terminologie du péché et raisonner algébriquement sur le mal : ce psittacisme ne nous vaudrait pas une idée de plus. C’est avec ce que nous trouvons en nous que nous remplissons les mots tournis par les autres.

b) Même imposée par Dieu, une loi n’a de prise sur la conscience que par I intermédiaire d’un élément intérieur à la conscience même. Il faut, pour pouvoir nous obUger non point seulement en droit mais en fait, que Dieu ait mis en nous quelque chose par quoi il nous tienne : un vouloir incoercible qui s’identifie à notre nature même, et qui nous force à dire, le jour où l’âme se connaîtra telle qu elle est et telle que, nécessairement, elle se veut : frgo erravl^ ce que je ne voulais pas, je 1 ai voulu, et je n’ai point voulu ce que je voulais. Parler d’une obligation tout extérieure, c’est énoncer une chose inintelligible.