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IMMANENCE (DOCTRINE DE L’678

intimement la volonté humaine à Dieu et la transforment’.

Or ces différents éléments de la vérité catholique, que la doctrine de l’immanence semble, à première vue, ne point méconnaître, elle les déforme. Car, à moins d’être inconséquente avec elle-même, elle identiGe pratiquement la présence de Dieu dans l’homme et la perception <jue l’homme peut en avoir. Elle confond le sentiment de notre inadéquation à tout le réel, de l’insuflisance du créé, et de notre destination à un bien infini, avec la perception savoureuse de Dieu, fruit de la grâce et signe de la présence amicale du Créateur dans l’âme de ceux qu’il a faits ses lils d’adoption et qu’il appelle à une communication plus intime de sa vie.

Tout en s’éloignant donc du rationalisme, la doctrine de l’immanence ne se rapproche pas du catholicisme : mais elle incline la pensée vers les positions doctrinales des pseudo-mystiques (Encj’cl. Pascendi, Dbnz.-Banw, n. 2081). Cette déformation amène celle d’une autre vérité, car l’immanentisme exagère

a) La valeur relative de l’expérience, comme critère de la vérité religieuse.

Si l’on ne donne pas au mol expérience un sens trop étroit, ne recouvrant que des données émotionnelles, mais celui qui exprime le sentiment profond d’une conscience et d’une vie qui s’oriente sincèrement et effectivement vers Dieu, il est sûr que l’expérience vécue du Christianisme n’est pas sans valeur, comme critère de la vérité religieuse. La foi présente dans l’âme y devient un principe de lumièreet d’harmonie. De ce que nous sommes, jaillit la preuve de ce que nous pensons. Il y a là quelque chose comme le système vivant d’une conviction, que réalise la pratique et que recouvre la réflexion. Car s ces sortes d expériences de la vie spirituelle, surtout quand elles naissent de l’influence surnaturelle de la grâce, contribuent beaucoup à rendre véritablement intime, vivante et eflicæe, la conviction du fait de la révélation, ainsi que la foi elle-même b (Scheeeex, Dogmatique, I, p. /33 ; SuABEz, De Fide, Disput. iv, sect. 6, n. 4. De Gratia, 1. IX, c. vi, n. 8 ; De Lugo, De Fide, Diip. V, sect. i ; Jean de S. Thomas, Cursus Theologicus. in I » lias, Disp. xviii.sec^. i).

Mais les tenants de l’immanentisme, en réduisant toute la religion à un sentiment de piété, donnent à l’expérience la valeur normale, sufllsante en soi et même exclusive, de critère de la vérité religieuse. M. Sabatieb a donné de ces théories la formule dans son Esquisse d’une Philosophie de la Religion (p.S^ par exemple).

Or ces prétentions à exalter la valeur de l’eipé 1. La connaissance mystique est donc essentiellement une connaissance de foi, « dont les voiles ne se déchirent jamais en ce monde ». S. Jean de la Croix, Vit>e Flamme, Str. VI, v. 1, p. 629. Elle est extraordinaire dans son mode parce qu’elle suppose l’onction spéciale de l’Espril-Saint, et non pas dans son fonds. Nous tenons à renvoyer ici le lecteur aux articles remarquables qui ont paru en 19Il dans’.imi du Clergé, et qui viennent d’èlre réunis en volume sous ce titre : La Contemplation, ou Principes de Théologie mystique, par le R. P, E. Lambalie, Eudiste. Téqui (1912) ; y voir surtout l’exposé de la doctrine de S. Thomas, d© S. Jean de la CroLT et de Ste Thérèse, de S. François de Sales, p. 450. Consulter aussi deux excellents articles, qui peuvent servir à éclairer la question que nous ne pouvons que toucher ici : J. Maréchal, S. J.,.4 propos du sentiment de présence che : les profanes et che^ les mystiques (extrait de la Revue des Questions scientifiques (19Ô8-1909), Ccuteric. Louvain, 1 « 09), et de Grandmaisos, L’Elément mystique dans la Religion, dans Recherches de Science religieuse (n. 2, 1910, p. 197 sq.).

Tome II.

rience religieuse sont fausses, non seulement par les principes qu’elles supposent, mais encore par leur caractère exclusif. Comme l’expérience peut se trouver assez semblable dans les religions diverses, elle cesse d’être un principe sûr de discernement, ou incline fatalement les âmes vers Vtndi/férentisme doctrinal (Encycl. Pascendi, Dknz., n. 2082).

Ainsi la vérité se trouve être déformée, alors même qu’elle conserve parfois une expression traditionnelle. C’est ce que l’on vit en particulier pendant la crise moderniste : les idées dont le protestantisme libéral avait donné la formule la plus crue, réapparurent alors à l’état de tendances. Les seules qui nous intéressent ici sont celles qui se firent jour en apologétique ; et c’est entre elles et la pensée catholique qu’il nous reste à montrer une persistante opposition.

3. — Persistance de l’opposition entre la pensée catholique et les méthodes apologétiques qui ramènent indirectement à la doctrine de l’immanence. — Rejetant l’immanentisme en tant que système, puisque d’intention ils voulaient rester chrétiens et même catholiques, d’aucuns crurent pouvoir s’inspirer de lui dans les démarches de leur apologétique. Ils se désintéressèrent donc des arguments de l’histoire et accordèrent une importance majeure aux preuves subjectives, ce qui, nous l’avons vu, est dans la logique de la doctrine de l’immanence. Puis ils concentrèrent l’effort apologétique vers la démonstration d’une identité : celle de la religion chrétienne, voire du catholicisme, et des lois de la vie.

La vie pleinement épanouie serait la viechrétienne. Cet épanouissement toutefois s’entendit de diverses manières. Les uns l’expliquèrent au sens du panthéisme. Ils étaient logiques (Encycl. Pascendi, D., n. aio3). Les autres, atténuant davantage les principes de la doctrine, parlèrent seulement d’un épanouissement de la vie naturelle, qui par le dynamisme de ses exigences appellerait, non une religion quelconque, mais cette religion spécifique, qui est le catholicisme. Nouvelle erreur qui conduit au naturalisme (Encycl, Pascendi. D., n. 2103). En effet, la religion catholique, quoique adaptée admirablement aux besoins de l’àme humaine, ne recouvre cependant point par une sorte de coïncidence géométrique les dictées de la conscience et les leçons de l’expérience morale. Elle ne fait pas que confirmer la nature. Elle lui apporte des éléments nouveaux, des données hétérogènes, des dons imprévus et inespérés.

Prétendre donc qu’il suflira de juxtaposer à une analyse approfondie des nécessités delà vie sensible, intellectuelle, morale et sociale, l’exposé parallèle du dogme catholique, pour avoir une démonstration chrétienne, c’est tout ensemble vouloir trop et trop peu : trop, parce que le christianisme prétend, non seulement satisfaire les besoins naturelsde l’homme, mais en susciter et en contenter de nouveaux par un don gratuit ; trop peu, parce que, entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel, il y a une autre relation qu’un parallalélisme à définir, pour mener à bien l’entreprise apologétique (Blondel, Lettre… : Annales de Philosophie chrétienne, 18ç)t, p. 4~5).

Et remarquons qu’il est impossible d’atténuer l’opposition qui éclate ici entre ces tentatives et la pensée catholique. Car c’est une opposition de principe (Encycl. Pascendi, D.. n. 2103). Pourrait-il en être autrement ? Par les postulats qu’elle implique, cette méthode tend à séculariser la religion. Et on a eu raison de dire qu’n une telle méthode d’immanence, dès lors qu’elle érige en absolu ses propres conclusions et qu’elle décerne l’apothéose à son objet, ne saurait être, comme tout monisme, qu’un secret

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