Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/29

Cette page n’a pas encore été corrigée

FOI, FIDEISMK

46

On sait qui- ni l’Ecriture ni les institutions humaines ne donnèrent aux prolestants l’unité de foi. C’était l’anarcliie doctrinale et les divisions sans lin. Le ministre Juuiuu eut l’idée ingénieuse, dans son Syslèmi’de l’/'-glise (168O), de distinguer entre articles londamentaux. ijue tous devaient croire, s’ils voulaient appartenir à l’Eglise, et les articles non (ondanientaux sur lesquels l’accord n’était pas nécessaire, qu’on pouvait par (’onséquent rejeter sans cesser d’appartenir au Christ et à la véritable Eglise du Christ. Il ne faut pas confondre cette distinction avec une distinction analogue chez les catholiques, entre articles que tous doivent croire et professer explicitement, et articles qu’il sulht de croire implicitement, dans la foi de l’Eglise, ou dans une autre vérité plus générale.

Jurieu trouva en face de lui Bossuet, qui le mit au déli d’obtenir qu’on s’entendît à lixcr les articles fondamentaux, et montra que le système menait incvilablenient à l’indifférence en matière de dogme, autant vaut dire à la foi sans dogme. Les prévisions de Bossuet ne se sont que trop réalisées. Et si l’on peut juger de l’arbre à ses fruits, il faut croire que la thèse du Jurieu devait être bien mauvaise — à supposer toutefois que l’indifférence dogmatique actuelle soit la conséquence du système.

Ce qui la rend intenable, c’estque, quand Dieu parle, on doit à tout ce qu’il dit la même soumission. Mais la question, dira-t-on, n’est pas précisément si l’on laissera ou si l’on prendra telle vérité que l’on sait dite par Dieu. On dispute précisément si Dieu a dit telle chose ou ne l’a pas dite. Ici intervient . la question de l’unité sociale, et aussi celle de la règle de foi. Qui aura autorité pour décider si tel article doit être tenu pour fondamental ou non ? Et puis peut-on supposer Dieu faisant une révélation cL indilférent à ce que son Eglise en tienne ou n’en tienne pas tel ou tel point ?

Queltjues protestants, Guizot, par exemple, ont essayé de faire de cette variété de croyances une des parures de l’Epouse. Nul, je pense, ne prendra la réponse au sérieux.

L’Eglise catholique a seule une règle de foi toujoursapplieable ; seule elle a su maintenir l’unité de foi totale dans la vie et le mouvement de la pensée, dans l’inlinie variété des opinions ou systèmes qui respectent cette unité.

l). La raison et ta foi. — Il n’est pas rare que les anciens protestants reprochent aux catholiques d’avoir, comme nous dirions aujourd’hui, rationalisé la foi, d’en avoir fait une philosophie. Au fond de ce reproche, il y a deux choses. Tout d’abord, une attaque contre la Scolastique, qui povir eux est la grande ennemie Nous n’avons pas à relever l’attaque sur ce point. On peut reconnaître des torts et des torts graves, à la Scolastique telle qu’elle était aux temps de Luther et de Calvin, à la Scolastique nominaliste. Mais c’est à la prétention de raisonner la foi, de la défendre par la raison, de rejeter comme contraire à la foi ce qui serait contraire à la raison ; c’est à l’usage de la raison en matière de foi que les protestants en voulaient. Et c’était naturel. Beaucoup de leurs ojiinions étaient intenables aux yeux de la raison ; et quand les catholiques leur montraient par h’raisonnement qu’ils faisaient Dieu injuste, auteur du péché, eriu’l, etc., ils se rebiffaient contre cette raison qui les mettait dans leur tort. Ajoutons que c’était dans la logi<iue de leur système. Si l’iiomme était si foncièrement corrompu, quel cas pouvait-on faire de sa raison et de la naturelle rectitude de son jugement ? Ce n’est pas à dire que l’on ne raisonnât pas dans le protestantisme. Où y eut-il tant de disputes ? Le principe même du libre examen y menait fatalement.

Mais en raisonnant, on prétendait au droit de ne tenir aucun compte des raisons qui seraient gênantes, etl’on s’appuyait sur la raison et le raisonnement pour revendiquer le droit de déraisonner à l’aise. Après tout, contre le sentiment et contre l’expérience intime, il n’y a pas à raisonner, au sens strict du mot. Et cependant, qui ne voit que pareil système devait aboutir tôt ou tard au rationalisme ? Zwinglk en était déjà bien près. Les prolestants, en bloc, devaient marcher sur ses traces. El d’autre part, il menait au piétisme. Tandis que les protestants sont rationalistes ou piétisles, rationalistes à la fois et piétistes, les catholiques ont presque seuls continué à mener la lutte pour la foi au nom et avec les armes de la raison, à revendiquer l’harmonie entre la raison et la foi.

Chose curieuse, dans une œuvre toute moderne, l’une de celles peut-être qui ont le plus hàlé l’éclosion du modernisme, on retrouve l’aveu non déguisé de celle opposition entre la foi protestante et la raison, avec un plaidoyer hardi pour légitimer cet aveu et soutenir les droits de cette opposition. Je veux parler de VJ-^squisse d’une philonophie de la religion d’après la psychologie et l’Iiistoire, par A. Sabatier. i< Le troisième reproche que l’on m’adresse, dit l’auteur, Préface, 3" édition, 1897, p. ix, c’est d’innocenter le péché de l’homme, c’est-à-dire de le nier en le faisantapparailre comme nécessaire dans l’évolution de la vie. Icil’on m’enferme dans un dilemme : ou bien le péché n’est plus le péché, quelque chose d’essentiellement condamnable ; ou bien, s’il demeure tel, ma doctrine en fait remonter la responsabilité jusqu’à Dieu, dont elle blasphème la sainteté. » — « En vérité, reprend-il, je m’étonne toujours que cette manière de raisonner puisse inspirer conliance à personne. » Il ne pallie donc pas ce qu’il tient pour des faits de conscience : « Le péché dont je m’accuse est le fait de ma volonté seule… Je constate en moi et dans toute l’humanité une fatalité q)ii m’asservit au péché… Cette fatalité du péché, loin d’alléger ou d’anéantir ma responsabilité, l’aggrave encore… Sans doute, il y a contradiction, apparente tout au moins, entre cedoublesentiment de responsabilitéetde fatalité ; mais dussiez-vous ne jamais la résoudre, ne la supprimez pas ; car c’est elle seule qui rend la vie morale sérieuse, le repentir possible, la régénération du cœur ou la nouvelle naissance nécessaire, selon la doctrine de Jésus-Christ. » Ce n’est pas là, il y a beau temps que les théologiens l’ont prouvé, la doctrine de Jésus-Christ, mais celle de Calvin ; et Môhler, avec beaucoup d’autres d’ailleurs, a démontré que la « vie morale » huit par perdre à ce moralisme contre raison et contre nature. Mais ce n’est pas de quoi il est question. Ce qui est intéressant pour nous, c’est l’attitude à l’égard de la raison. L’auteur conclut, page XIII : « Il faudrait être Dieu pour comprendre tous les secrets de l’action divine. Comment l’esprit fini embrasserait-il la vie de l’esprit inlini ? » Cela est très vrai ; mais ce qui suit n’a rien à faire avec cela :

« Que signifient dès lors les dilemmes ou les propositions

contradictoires que nous tirons de nos idées, toujours imparfaites et courtes par quelque endroit, pour en déduire des conditions ou des règles de conduite pour l’Eternel ? Je dois déclarer une fois pour toutes que je n’accorde plus aucune valeur aux raisonnements de cet ordre. » Autre chose est l’impossibilité de résoudre une question, autre chose la contradiction évidente ; autre chose la reconnaissance du mystère en Dieu, autre chose la vue claire de notions contradictoires dans l’ordre humain. Or il s’agit, dans le cas présent, de notions d’ordre humain et d’incompatibilités évidentes. Mais, comme la raison réclame malgré tout ses droits, M. Sabatier s’évertue