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IDEALISME

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différent. Bref, le mécanisme de la science (comme aussi, par exemple, son positivisme, les deux conceptions ne tarderaient d’ailleurs pas à se rejoindre) n’est qu’une méthode, ce n’est pas, à proprement parler, une théorie du réel. Et encore une fois, la distinction n’est pas de petite conséquence : à vrai dire ille pourrait même bien être la clé de toute la question. Car enfin, si les savants sont libres de ne retenir des faits matériels que l’élément quantitatif et mécanique, parce qu’ils sont aussi juges des procédés ([ui leur conviennent, leur compétence, en tant que savants, ne va pas plus loin ; tout ce qui résulte (le là, c’est que les autres éléments n’existent pas pour eux, et les philosophes sont sans doute bien naïfs d’en conclure aussitôt qu’ils n’existent pas absolument : c’est passer indûment du mécanisme scientifique, lequel, redisons-le, ne soulTre aucune difficulté, au mécanisme métaphysique, qui en soulève de très graves. Ne retenons ici que celle qui a directement trait à notre sujet et qui est au reste impli(]uée dans ce qui jjrécède. En deux mots, le mécanisme métaphysique n’est qu’une immense abstraction, et c’est seidement par un incroyable renversement des rôles qu’on a même pu le tenir pour le dernier mot du réalisme, pour l’expression achevée d’une philosophie soucieuse avant tout de réalité concrète. Au lieu de dire que le monde de la qualité n’est que la projection dans la conscience du monde mécanique, seul objectif, il faudrait bien plutôt dire que c’est le monde mécanique qui n’est qu’une projection, dans la mathématique i)ure, du vrai monde réel, à la fois mouvement et /"orme, quantité et qualité tout ensemble, bien autrement riche, par suite, dans sa complexité effective, que ce décalque abstrait, cette façon de dessin en pointillé que nous en donne le mécanisme. On ne se mettra jamais trop en garde contre la fausse simplicité par laquelle celui-ci en a imposé trop longtemps.

4 Quant à définir le mode d’existence de cet élément qualitatif et formel, quant à savoir s’il se retrouve dans les corps absolument tel qu’il est perçu, à titre de détermination permanente et actuelle, ou s il y représente simplement l’efllorcscence passagère de virtualités latentes, c’est sur quoi nous ne sommes pas, à la rigueur, obligés de nous prononcer ici, précisément parce qu’il ne s’agit plus alors de l’existence des qualités sensibles, mais lien de leur nature. Il nous sullit que, fût-ce dans la seconde hypothèse, leur existence même ou, pour mieux dire, leur objectivité soit sauve. On voudra bien remarquer, en effet, la formule dont nous avons fait usage jusqu’à présent et qui, précisément aussi, ne préjuge rien à cet égard. « La sensation, disions-nous, résulte en somme d’une action extérieure intériorisée au sujet », etc. : que celle action, maintenant, émane, sans plus, de qualités actuelles, imprimant pour ainsi parler leur image en nous, ou qu’il faille plutôt y voir l’effet momentané de forces, d’énergies spécifiques, matériellement conditionné par des mouvements ou des vibrations du corps intéressé, peu importe après tout, toujouis est-il que c’est une action extérieure, objective, dont les vibrations ou mouvements eux-mêmes n’épuisent pas la réalité et qu’ainsi à notre perception sensible, considérée dans son contenu représentatifetfpialitatif, setrouve répondre, d’une manière comme de l’autre, un terme extramental. — Il en est de même de la relativité des qualités sensibles, ainsi que du de^ enir qui les emporte ; nous voulons dire qii’il faudrait opposer une réponse analogue à l’objection qui s’élèverait de ce chef. Car on peut fort bien revendiquer, à l’enconlre du mécanisme, les droits du monde de la qualité et delà forme, sans prétendre jiour autant que celui-ci

subsiste là devant nous à la manière d’un exemplaire immuable et comme figé dans une stagnation éternelle. ()ue les qualités sensibles se muent sans cesse les unes dans les autres, que la perception d’autre part en soit solidaire de multiples conditions de milieu et d’organes, cela prouve-t-il qu’elles n’aient d’existence que dans la pensée qui en reflète le jeu indéfiniment varié ? cela empêche-t-il aucune d’entre elles, pour éphémère qu’en soit l’apparition, pour phénoincnale aussi qu’en soit la réalité, de résider effectivement dans le substrat étranger auquel elle nous est, en fait, donnée comme inhérente ? Objectivité n’est pas nécessairement fixité, ni substantialitè. Si les qualités sensibles appartiennent à la nature physique et que celle-ci soit par excellence le domaine du changement et du « fluent », on ne doit pas s’étonner, bien au contraire, qu’elles participent à cet écoulement universel. Et il n’y arien en tout cela qui puisse faire olistade à leur existence indépendante : on pourrait même affirmer sans exagération que c’en est juste une garantie de plus.

5° C’est pour avoir confondu pareillement les deux questions très distinctes d’existence et de nature, que les idéalistes ont cru parfois pouvoir se réclamer des obscurités qu’enveloppent les concepts de matière et de monde ou de substrat matériel. Cf. v. g. Ch. DUN.A.N, Essais de philosophie générale, p. 53 1 sq. Un mot seulement sur ce sujet, auquel il nous serait loisible de passer outre, pour la raison précise que nous venons de rappeler. On peut dire que les deux premières antinomies de Kant ou antinomies mathématiques résument sous une forme dialectique et abstraite à peu près tout ce qui peut s’accumuler d’objections en ce sens. Qu’il nous suffise donc d’y opposer ces deux simples remarques : a) En admettant même, data, non coucesso, que l’esprit humain fût condamné à donner à ces problèmes cosmologiques des solutions contradictoires, encore faut-il voir si l’idéalisme aurait le droit de tirer la conclusion à son profit. Or, pour être transférée de l’objet au sujet et ne porter que sur un monde idéal, l’opposition des thèses et des antithèses en deviendrait-elle moins aigué ? Que les déterminations temporelles et surtout spatiales n’alfectent les choses qu’autant que nous les connaissons, peu importe à cet égard : de toute manière, la réflexion sur les choses ainsi entendues aboutira à la même impasse, si impasse il y a ; d’un monde de phénomènes ou de représentations aussi bien que d’un monde de réalités proprement dites, nous serons amenés, par deux séries parallèles de déductions également rigoureuses, à conclure qu’il est à la fois limité et illimité, que les éléments en sont tout ensemble indivisibles et divisibles à l’infini, etc. Si la doctrine des antinomies exprimait le véritable état de la raison humaine aux prises avec les problèmes de cette sorte, ce n’est pas l’idéalisme, mais le scepticisme le plus radical qui aurait toutes les chances d’en être le dernier mot. — b) D’ailleurs il s’en faut, et de beaucoup, que la doctrine des antinomies réponde de tous points à la réalité dcsf.iits. Non pas qu’il n’y ait absolument rien de fondé, à le bien prendre, dans cette conception générale, mais le tout est précisément de le bien prendre, ou plutôt de ne pas s’y méprendre. Autre chose, en eflét, est ce (t conflit de la raison avec elle-même » pris à la lettre, dans son sens strict et, si nous osons dire, brutal, comme contradiction proprement dite ou comme alTirmation et négation simultanées d’une même chose sous le même rapport (bref, comme a antithétique [vraiment] naturelle de la raison pure ») ; autre chose, la simple difliculté et même, si l’on veut, l’impossibilité actuelle de mettre