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IDEALISME

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connailre : comme parle Ficlite, le processus est tout entier sul)jeclir, cl pas un seul instant la pensée ne réussit à se dépasser elle luème. Il va i>lus : 'i connaître une chose extérieure » est racme, à le prendre à la rigueur. ine formule dont les termes s’enlredétruisenl, imisquc cette cUose ne se manifesterait à nous que dans notre conscience et qu’elle cesserait ipso facto d'èti-e extérieure. — Mais s’il faut écarter comme erronée et même contradictoire l’hypothèse réaliste, qui voit dans notre conception de l’objet le reiloublemcnt idéal d’un objet existant en soi, que resle-t-il, sinon que ce qu’on appelle objet soit un dédoublement imag^inaire du sujet, résultant d’une projection originelle de nos sensations qui se trouve précisément représenter la condition a priori de la conscience même ? Car. si le moi ne connaît jamais que lui-même, il ne peut d’autre part se connaître lie la sorte qu’en s’opposant un non-moi, et il se l’oppose par un acte d’imagination Iranscendanlale ' qui crée et extériorise du premier couples intuitions à peu près comme l’aperception pure engendre les catégories, à savoir antérieurement à toute conscience proprement dite (cf. supra, I, 4°. ^)- De là même l’apparente extériorité de ces intuitions : les produisant à mon insu (puisque je les jiroduis avant toute conscience), il n’est pas étonnant, il est même inévitable que le contenu m’en soit donné pour étranger ; c’est parce que l’objet est l'œuvre exclusive de ma spontanéité cpie je puis le connaître, et c’est parce qu’il est l'œuvre de ma spontanéité inconsciente que je crois le connaître comme objet, cf. Destination de l’homme, Irad. cit., p. 91 sq., Grundlage der » esammlen IK’issenscliaftlehre, S.'., i. l, p. 101 sq.. aiô sq., 22' ; , 280 sq., etc. — Telle est donc, en substance, la doctrine spéculative de Fichte. Qui ne voit aussitôt, pour considérer en premier lieu l’aspect positif de cette doctrine, l'énorme difficulté qu’elle soulève ? Car enfin, si je produis à moi seul les représentations corporelles, si je suis à ce point actif à leur endroit, d’où vient que je me sente à ce point passif à leur endroit ? quoi donc ! j’ai conscience de subir mes sensations, et c’est moi qui les déterminerais à moi seul et tout entières ! J’agirais seul en elles, alors qu’en elles je me sens « agi » ! Nous voulons bien qu’on distingue €nlre le moi superficiel et le moi profond, entre le moi conscient et le moi inconscient, attribuant l’action à celui-ci et la passion à celui-là, et qu’on s’efforce à motiver cette distinction par l’impossibilité où serait le sujet connaissant de sedépasser lui-même : ce second point va bientôt venir, en attendant nous demanderons si. inconscient et conscient, c’est, oui ou non, le même moi qui est en jeu de part et d’autre. Ou bien c’est le même, comme tendrait à le faire croire le nom unique qui de part et d’autre le désigne, et alors comment peut-il, redisons-le, produire ses sensationset sentir tout ensemble qu’il les subit ? Ou bien ce n’est pas le même, il y en a deux, et alors pourquoi s’obstiner à les appeler l’un et l’autre d’un nom unique, lequel risque de n'être plus à ce compte qu’une équivoque et un trompel’reil ? Adiré vrai, c’est le second membre de l’alternative qui répond en dernière analyse à la pensée de Fichte. Pour peu qu’on la pénètre, on ne tarde pas à s’apercevoir que le moi chargé de faire jaillir des profondeurs de l’inconscientcetteféerie qui s’appelle le monde extérieur est effectivement tout autre chose que notre moi individuel et fini, bref que le moi tout court, sans équivoque et sans ambages : non seule 1. Au sens kantien, c’est-à-dire avi sens où ce mot caractérise d’abord et proprement toute recherche relative aux éléments a priori de la connaissance, puis jiar extension analogique ces éléments eux-mêmes.

ment c’est le sujet intelligible, l’essence logique ou rationnelle du moi, la « pure identité du connaissant et du connu » (fchlieit), dont le moi fini luimême n’est qu’une position >. ou production ; mais, comme il doit produire aussi l’universalité des êtres, il faut qu’il les surpasse eux-mêmes de toute sa plénitude, en sorte que ce sujet intelligible se révèle enfin à nous comme une faconde sujet absolu, identique à la réalité absolue. S’il porte encore le nom de moi ou de sujet, ce n’est donc bien, à notre présent point de vue, que par un abus de langage, comme c’est seulement à la faveur d’une ambiguïté' de termes que le non-moi ou l’objet s’y réduit et s’y absorbe : à parler rigoureusement, il est un objet ou un non-moi pour tout de bon'. Sans doute, et aussi longtemps qu’onne pousse pasplus loin la discussion — à quoi nous ne sommes nullement obligés icimême —, cet objet, ce non-moi m’est plus intimement uni dans le système que dans le réalisme ordinaire, puisque je me rattache à lui et, si l’on peut ainsi parler, que je me « continue » à lui comme au fond impersonnel et inconnu où ma vie personnelle plonge ses mystérieuses racines : mais cela ne le préserve aucunement, au contraire, de s'étendre à l’infini par delà mon individualité limitée et subjective, cela ne l’empêche pas, au contraire, de rester pour moi ce qu’il est, un non-moi et un objet. En d’autres termes, l’idéalisme subjectif que nouseritiquons ici se trouve aboutir en fin de compte à l’idéalisme objectif et tout ensemble au panthéisme, ou plutôt ce qui se présente d’abord à nous comme un idéalisme subjectif se trouve être tout uniment un idéalisme objectif et un panthéisme, mais peu importe pour le moment : sans entrer dans ce nouveau débat, étranger en lui-même à la question actuelle (voir Panthéisme), il nous suflit pour le moment que, par là même, on attribue en réalité à nos sensations un principe extérieur ou étranger et que dès lors l’idéalisme proprement subjectif soit nécessairement dépassé.

4° Dans ces conditions, il paraît déjà bien que l’affirmation d’un objet ne soit pas logiquement empêchée, malgré qu’en ait Fichte, de se rapporter à un objet réel et existant en soi. Examinons pourtant en elle-même cettepartie plutôt négative de sa thèse, ou mieux, et pour généraliser tout de suite notre point de vue, ne retenons ici que le passage où il prétend donc dénoncer une contradiction formelle dans la seule idée d’une réalité extérieure à la connaissance et indépendante d’elle^. De fait, c’est un argument favori des idéalistes. Et suivant eux, cette contradiction éclaterait dans notre effort, et par notre effort même à concevoir des objets comme réels en dehors de notre esprit qui les pense, car dès là que nous les pensons, ils cessent d’exister hors de notre pensée, et n’est-ce pas se contredire in termiuis que de vouloir penser une chose en dehors de la pensée qu’on en a, c’est-à-dire en ne la pensant point ? — Prenons garde aux malentendus. On se contredit lorsqu’on affirme et qu’on nie en même temps la même chose sous le même rapport. Or, quand je conçois un objet qui existe ou peut exister indépendamment du

1. En un mot, idéalisme non plus subjectif, mais objectif, précisément. Par où l’on peut voir si nous avions raison de dire plus haut (I. 2'i que l’idéalisme objectif a toutes les peines du monde à rester un idéalisme proprement dit.

2. Des deux autres preuves mises en avant par Fichte, cel)e qui concerne la subjectivité des qualités sensibles sera discutée dans le paragraphe suivant [critique de l’idéalisme îmmatériali^te). Et quant à la seconde, qui s’api’uie sur la théorie subjcctiviste du principe de causalité, il nous suffit de renvover à l’article Criticis.me.