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FOI, FIDEISME

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celle (lu Sauveur lui-inème, pelle des Apùtres, sinon un appel à la pénitence pour se préparer au royaume <le Oieu, une vigoureuse mise en relief des conditions morales nécessaires pour y entrer, une vive exhortation aux croyants à mourir eoiiinie le Christ aux œuvres de la chair, pour vivre dans l’esprit, et les œuvres de l’esprit, comme le Christ et avec le (Mirist ? El n’est-il ])as évident que les Apôtres, ([uand ils parlent aux lidcles, aux croyants, comme Jean et Jésus, quand ils parlent aux Juifs.leur rai)])elleiit sans cesse qu’il ne sullit pas de croire, mais qu’il faut vivre selon sa foi ? Bref, la prédication évangélique est en nu’me temps dogmatique et morale, essentiellement l’une et l’autre : elle demande la foi aux vérités annoncées, elle demande les œuvres conformes à la foi. Ce n’est qii’en déli^urant la doctrine catholique qu’on arrive à la mettre en opposition apparente avec les idées de l’Evangile et celles des Apùtres. Ce n’est qu’en découpant arbitrairement quelques textes, en les séparant violemment du contexte pour les mettre dans un tout autre jour, en les cousant tant bien que mal pour leur donner quelque apparence de cohésion, que les premiers prolestants ont élaboré leurs systèmes.

2. Foi et dogme, règle de foi, foi implicite. — Les premiers protestants ont accepté la foi dogmatique, les dogmes de la Bible, tout comme les catholiques, mais en ôlant à cette foi et à ces dogmes la place essentielle qu’ils avaient dans l’économie évangélique et chrétienne, et en posant çà et là des principes qui devaient aboutir tôt ou tard à la foi sans dogme du protestantisme libéral.

Mais il y eut controverse sur tel ou tel dogme spécial, ce qui revenait à disputer sur le sens des textes bibliques, objets de foi pour les uns comme pour les autres, sur le sens, par exemple, des paroles de la consécration, sur le sens du Tu es Peiriis, etc. On sait les efforts désespérés des protestants « orthodoxes », pour dénaturer des textes souvent très clairs, et comment l’exégèse protestante fut dominée par les nécessités de système, jusqu’à ce que les protestants libéraux vinssent ladélivreren déniantà l’Ecritui-e toute valeur normative et dogmatique.

Il y eut controverse sur la règle de foi. Les protestants, comme on sait, font profession de ne croire qu’à l’Ecriture, de la tenir pour seule règle de foi. pour seule source de la vérité révélée. C’est la Bible en main que Luther bataillaiteontre l’Eglise. On sait où cela aboutit. On en vint à professer que rien n’est clair comme la Bible, à faire de la Bible une idole, ou à l’idenlilier avec Jésus, avec le Saint-Esprit. Cependant la Bible devenait une pomme de discorde entre les protestants eux-mêmes ; livrée au libre examen et à l’interprétation privée, chacun, suivant le mot de l’un d’entre eux, en y cherchant ses dogmes d’après ses idées, y trouvait ses idées pour en faire ses dognu-s :

Bic liber est in quo quacrit sua doi^mata quisque, Invenit et pariter doginata quisque sua.

Comment d’ailleurs faire d’un livre, d’un livre obscur, d’un livre composé de pièces et de morceaux, d’un livre seul, fùt-il divin, la règle unique lie foi, le juge en dernier ressort des controverses inévitables, son propre interprèle ? Et puis un livre doit être garanti, authentiqué. Où sera, en dehors d’une autorité vivante, la garantie du li^re de son autorité divine, de son authenticité ? Pressés par les arguments des catholiques, pressés par l’expérience des luttes et des divisions sans fin entre protestants eux-mêmes, Luther et Calvin avaient déjà inventé des distinctions subtiles, donné des explications spécieuses. Pour Lutukr, laBible, au lieu d’être un recueil de dogmes, un Uatc qui s’imposât par

lui-même, devenait souvent un simple stimulant de la foi, un livre où l’on pouvait prendre et laisser, suivant que l’esprit propre y trouvait ou n’y trouvait pas le Christ et le pardon des péchés, la justification par la foi seule. Calvin, pour la garantir elBcacemenl, recourait au témoignage même du Saint-Esprit, se faisant reconnaître au lecteur par je ne sais quel goût mystérieux. C’était mettre le sentimentalisme, disons mieux l’illuminisme, à la base de la foi dogmatique comme de la foi justifiante… El le malheur est que l’Esprit se contredisait sans cesse en donnant le goût divin aux interprétations les j^lus opposées. Peu à pe)i, c’est aux moyens humains qu’il fallut recourir pour reconnaître la Bible, pour l’interpréter. Au lievi d’un livre dogmatique, elle devint un livre d’édification. Ou bien, l’autorité des hommes intervint partout pour garantir l’autorité divine. Ainsi, au lieu d’une autorité instituée divinement et divinement assistée, comme celle de l’Eglise, on eut l’autorité vacillante des savants, ou celle de communautés humaines, de prêcheurs sans mission.

Les protestants libéraux, M. A. Sabatier, par exemple, dans Les religions d’autorité et la religion de l’esprit, Paris, igo^, sont les premiers à reconnaître que, s’il faut choisir entre le système du protestantisme orthodoxe et le système catholique, tous les avantages sont du côté de celui-ci. Nous savons et nous prouvons que Jésus a établi une autorité vivante pour garder, propager, expliquer sa doctrine, pour la transmettre vivante et l’adapter aux âmes, comme il faisait lui-même et comme faisaient ses Apôtres ; à cette autorité il a donné son Esprit, son assistance, ses litres de créance. C’est elle qui accrédite, qui interprète, qui authentique la Bible ; et puisqu’il faut quelqu’un pour garder un livre, pour le transmettre, pour en garantir la provenance, qui ne préférera s’en rapporter pour tout cela à une autorité divinement instituée, infaillible, vivante et partout visible, qu’à des colporteurs de livres ou à soi-même ? La doctrine des théologiens catholiques sur la foi implicite a été bien des fois attaquée ou tommée en ridicule par les protestants. Cf. Hoffmann, Die Lehre von der Fides imi’licita, p. 212 et suivantes, à qui j’emprunte plusieurs des traits qui suivent. Luther racontait à ce sujet une histoire qu’il arrangeait à sa façon, mais qui circulait déjà avant lui, puisque Albert Picuirs, qui naquit en i^go, dit l’avoir entendue dans son enfance. Voici l’histoire contée par Luther dans son Avertissement aux gens de Francford d’être en garde contre la doctrine de Zivingle, 1533 : « Maintenant encore, les papistes disent qu’ils croient ce que croit l’Eglise, un peu comme les Polonais, qui disent : Je crois ce que croit mon roi. Et pourquoi pas ? Peut-il y avoir meilleure foi que celle-là, et qui donne moins de peine et de souci ? On dit donc qu’un docteur, sur le pont de Prague (ce détail pourrait sans doute orienter le curieux sur les origines de cette histoire) demanda à un charbonnier, en s’apitoyant sur lui comme sur un pauvre laïc : Eh ! brave homme, que crois-tu ? Le charbonnier répondit : Ce que l’Eglise croit. Et le docteur : Alors qu’est-ce que croit l’Eglise ? Le charbonnier : Ce que je crois. Or, comme le docteur allait mourir.il fut si violemment assailli dans sa foi par le diable qu’il ne put s’arrêter ni avoir de repos, qu’en arrivant à dire : Je crois ce que croit le charbonnier. De même dit-on du grand Thomas d’Aquin que, près de mourir, il n’eut cesse ni repos de la part du diable, qu’il n’eut dit : Je crois ce qui est dans ce livre, et c’est la Bible qu’il avait en main. Mais de cette foi-là. Dieu veuille ne pas nous prêter beaucoup. Car si ces hommes n’ont pas cru d’autre façon que celle-là, ils se sont tous les deux, docteur et char-