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HOMME

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le monde est fait pour nous, qu’il rayonne autour de nous. Or, la plij’sionomie naturelle et objective des choses est tout autre. Pour le savant, il n’y a pas, sur des degrés ascendants, la plante, puis l’animal, puis l’homme. Tout cela lutte de son mieux, pour gagner une place au soleil. Dans cette course au plus être, chacun adopte un type spécial plus ou moins avantageux, s’y lixe, ou dégénère. Sur un terrain privilégié, l’homme a réussi et se maintient : c’est un parvenu. En ce sens seulement, il peut être dit roi de la création.

A ces diverses objections, il est, avant toute autre réponse à faire, une remarque générale à opposer : c’est que, là où on possède des intuitions sur l’intérieur d’un être, le problème de sa nature n’est pas à décider suivant des données superlicielles. Ce quel a conscience fait voir sans hésitation possible, les formes ou allures extérieures l’insinuent seulement, et sans tranclier parfois entre plusieurs hypothèses également satisfaisantes : l’iiistoire a souvent bien de la peine à démêler la vraie pensée de personnages dont elle connaît exactement les œuvres, et il s’est trouvé des philosophes pour soutenir sérieusement que les animaux étaient de purs automates. Les apparences ne déterminent pas complètement les réalités d’ordre plus intime ; et voilà pourquoi entre les unes et les autres on peut très dilUcilement allirmer une contradiction. Des inconciliabilités à niveaux différents de l’être sont presque impossibles à démontrer. Dire : n telle nature exige tel aspect, ou y répugne », est une liardiesse suspecte, qui doit faire condamner aussi bien les prétentions exagérées du scientisme que les débordements de l’a-priorisme.

En fait, et pour en venir au détail, il n’est aucune des apparences invoquées contre nous dont ne puisse s’accommoder la philosophie de l’iiomme, telle que l’Eglise la défend.

1° Que des liaisons déterministes groupent entre eux de nombreux phénomènes vitaux, c’est là un fait incontestable. Sans cesse, dans l’organisme, de nouveaux fragments de chaîne sont mis à jour : citons, par exemple, le cas du têtard, chez qui la sortie des pattes antérieures amorce une série de modiUcations bien constatées, aboutissant automatiquement à faire disparaître la queue par atrophie. En présence d’anneaux si bien soudés, on ne peut s’empêcher de croire que l’enchainement doit commencer beaucoup plus haut, et se poui’suivre bien plus loin que nos yeux ne peuvent le suivre. — Mais de là à dire que le cycle de ces liaisons, si long soit-il, se ferme sur soi à travers l’organisme, il y a encore loin.

Supposons, cependant, que la chaîne des mécanismes vienne à être déroulée un jour, et ne montre, sur toute sa longueur, aucune discontinuité, aucun point d’insertion pour les afflux d’une spontanéité ou d’une liberté. Qu’en résulterait-il ? Simplement ceci, que, la vie n’étant pas une énergie d’ordre mécanique, son action est insaisissable à la physique aussi bien qu’à la chimie. Il faudrait dire alors (ce qui a bien des chances d’être la vérité) que la vie influence le réseau du déterminisme matériel dans sa totalité et sans s’y intercaler nulle part, — le pliant en organes sans, pour cela, en déchirer les mailles ; en sorte qu’il soit toujours possible au savant de suivre sans en trouver le bout, même dans un corps vivant, le tissu des liaisons matérielles. La vie se manifeste par un ordre d’ensemble, et dès lors est détruite par l’analyse ; le meilleur moyen de la voir, parce qu’il est le plus synthétique, est de se placer au point où toute son économie converge : dans la conscience. La vie s’éprouve ; et c’est contre cette intuition qu’échoueront, sinon dans leur valeur représentative de certains

pliénomènes de surface, au moins dans leur portée philosophique, tous les systèmes méeanistes.

2" Contre l’objection tirée de l’immersion apparente de l’àme dans la matière, la même réponse vaut : l’opposition entre la science et la philosophie est illusoire. Pour sauver tout à la fois la spiritualité de l’àme et les apparences biologiques, — pour expliquer comment la raison peut dépendre du cerveau dans son exercice sans en élre un produit, il sullit d’attribuer aux centres nerveux le rôle de condition dans le fonctionnement de l’intelligence, à laquelle ils sont chargés, par exemple, de fournir continuellement son aliment. Toute la difficulté, d’ordre métaphysique, est de comprendre comment un principe s|)irituel indépendant peut être assujetti à ne prendre conscience de soi et de ses facultés qu’au moyen de la matière. Mais, une fois admise l’union de l’àme et du corps, avec la dépendance extrinsèque qu’elle entraîne des idées par rapport aux images, rien de plus normal que la régulation delà penséepar les organes nerveux. Voilée peut-être ]iour une expérimentation superûcielle, l’irréductibilité de l’esprit à la matière deuieure intacte au regard de la raison.

3° A la conception évolutionniste qui fait sortir l’homme d’une force génératrice immanente au monde, il est possible d’accorder une large part de ses postulats. L’homme n’a pas troué la Nature eny pénétrant ; mais, par quelque chose de lui-même, il est pris dans cette sorte de déterminisme vital qui a présidé à l’apparition graduelle des divers organismes siu’la terre. Il a surgi à une heure et dans des conditions que dictait l’ensemble des lois physiques et biologiques. Il a Il poussé » dans le monde, plutôt qu’il n’y a été greffé. Il était un fruit attendu, et en quelque sorte iuipliqué dès les origines. Tout ceci j)arait correspondre à une intuition exacte des réalités. Mais contre la spiritualité de l’àme et notre transcendance relativement aux autres vivants, qu’en suit-il ? Ilien.

Pour que nos adversaires puissent nous atteindre en partant de la considération des perfectionnements successifs de la vie, il leur faudrait prouver que ces progrès ont en eux-mêmes la raison suflisante deleur apparition. Mais rienneressemljle autant à unechose iiui monte que cette même chose quand on la soulève intérieurement. Le mouvement ascensionnel de la vie étant supposé prouvé, il resterait encore à démontrer que l’émersion est active et exclusivement immanente, non subie et provoquée (en partie au moins) du dehors. — Or pour trancher ce dilemme, tout abrité dans les intimités de l’être, la science des apparences, une fois déplus, est incompétente ; au lieu que la raison, elle, affirme sans hésiter que le plus ne sort pas, tout seul, du moins. Si donc un transformisme universel venait à être moralement prouvé, on devrait se ranger à l’idée d’une poussée créatrice ; et celle-ci serait d’autant moins gênante pour les savants, que nous ignorons profondément sous quelle forme se manifeste l’action de la Cause première. Tout ce que nous pressentons, c’est qu’elle agit, normalement, l)ar le dedans, — influençant beaucoup plus les natures en elles-mêmes qu’elle ne perturbe irrégulièrement leurs effets.

Or ce sont là précisément les apparences d’une loi.

Du point de vue strictementphilosophique, les ap[lari-nces (quelles qu’elles soient) d’une évolution s’étendant à l’homme ne répugnent donc pas. Seules les données bibliques pourraientfaire obstacle, parce qu’elles imposent à l’histoire humaine des déterminations théoriquement vériliables : — les unes cxigcantuncertaindegrédediscontinuité visible entre le premier homme et les animaux ; d’autres même, comme le monogénismc, impliquant l’iiitcrvenlion « quasi arliliciellc » d’une activité libre. — En pratique, la