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GUÉRISONS MIRACULEUSES

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la grâce, on se prive de certaines manifestations pourtant fort éloquentes de la puissance de Dieu.

Useraitdonc fâcheux de renoncer, sous le spécieux prétexte d’une erreur possible niaisévital)le, àproliter dos bienfaits les plus surprenants, Icsplus facilement convaincants, les plus communément désirés. Ajoutons que les guérisons miraculeuses se déroulent dans un décor où, si l’on ne rencontre pas le miracle, on rencontre du moins la résignation et l’amour : pareils aux enfants du laboureur qui, en cherchant un capital, trouvent les bénétices de leur travail, ceux qui vont au sanctuaire en quête de miracles trouvent parfois utilement les innombrables revenus de l’éternel miracle : la présence de Dieu parmi nous.

11. Eléments divers de la théorie des guérisons miraculeuses. Part de la philosophie. — L’aspect théorique du problème n’est autre que celui-ci : étant donnée la délinitiou théologique du miracle, est-il facile, est-il même possible de l’appliquer à des guérisons ? Le miracle excède en effet les ressources de la nature ; or, sommes-nous en mesure de savoir en médecine où la nature finit ? Le concept de maladie s’applique à des choses fort différentes. Comment oser parler de la gravité naturelle ou de la bénignité de maux aussi divers, dont un facteur problématique nous empêche souvent de donner la formule précise ? Nous savons d’autre part que l’on obtient des guérisons naturelles surprenantes en s’attaquant àla cause, hier insoupçonnée, de certains symptômes rebelles à toute autre thérapeutique : la sérothérapie et l’opothérapie enregistrent à ce sujet des merveilles. Nous savons enfin que la cause d’un trouble en apparence matériel est parfois purement fonctionnelle (névrose) ou mentale (phobies) et qu’en atteignant cette cause on opère ou l’on opérerait des cures prodigieuses. Qui nous dit que certaines « forces inconnues » (c’est la « tarte à la crème » des adversaires de Lourdes) ne font pas tous lesjoursceprodige, suivant un mécanisme naturel ? Voilà de quelles obscurités la pathologie entoure la notion de guérison naturelle et, par contrecoup, celle de guérison miraculeuse. La simple connaissance des processus naturels de réparation, à défaut de l’analyse du mal, ajoute encore à ce mystère. Quand peut-on dire qu’un être est guéri ? Est-ce quand les cicatrisations d’une lésion sont objectivement constatées ? Mais alors on ne connaîtra rien de la guérison quand ces cicatrisations seront invisibles, ou quand la guérison consistera dans la simple reprise d’une fonction troublée ! Se Qera-t-on, pour prononcer le mot de guérison, à l’opinion subjective du malade ? Ce serait s’exposer aux pires mécomptes : on sait qu’un tuberculeux fait encore les plus beaux projets aux derniers degrés de l’hectieité, qu’un typhoïsant demande à manger dans la plus grande fragilité de sa convalescence et qu’inversement tels hypocondriaques font leur testament d’urgenceavecune santé relativement satisfaisante. Gherchera-t-on le signe objectif de la guérison ? mais ce signe n’est pas unique ni soudain. La guérison, comme toutes les crises de la vie, comme l’invasion d’une maladie, comme la puberté, comme la ménopause, comme la mort elle-même, comme les trouvailles du génie ou les entraînements de la passion, se manifeste sous les apparences d’un phénomène typique fort court, mais dure en réalité le temps d’une longue initiation et se prolonge en une suite plus longue encore de phénomènes qui la couronnent et la confirment. Comment saisir le nœud de cette crise ? et comment en disputer l’ouvrage à la nature, si on ne le saisit point ? Abordera-t-on enfin le problème du coté métaphysique ? ou, en d’autres termes, sous le prétexte qu’il est malaisé de savoir où la nature Unit,

cherchera-t-on d’abord à prouver que le fait est surnaturel en le situant sur le domaine où le miracle commence ? en arguant, par exemple, du dessein de Dieu ? Mais si l’on est averti par la foi que Dieu a une intention d’ordre moral en faisant le miracle, si nous savons par les théologiens quelles sont en général ces intentions (.lbert LE Gn.ND, Sum. th., II p., tr. vii[, q. 3-2 ; Du.s Scot, éd. Sallust., vol. V, p. 426, q. 43, art. 4 ; saint Thomas, Siinima Tlieol., III p., q. 43, a. 4 ; — cf. Marc, xvi, 18 ;./e « ", xiv, 12 ; Acl., II, 3 ; I Cor., xiii, 2, etc. —) nous ne devons paspour cela préjuger des intentions divines dans un cas déterminé ; nous avons à faire la preuve cpie la guérison n’est pas naturelle, après quoi l’Eglise, s’il y a lieu, autorise dans certains cas à la déclarer miraculeuse (cf. les décrets d’UnBAiN VIII pour les miracles obtenus par l’intercession d’un personnage même réputé saint mais non canonisé ni béatifié).

C’est ici qu’une définition philosophiquedelamaladie, qu’une analyse des conditions logiques de la guérison naturelle, n’est pas à dédaigner. Au-dessus des conceptions scientifiques indispensables, fécondes mais transitoires, nous pouvons avoir recours à des vérités issues de principes immuables, moins utiles à la pratique, mais plus fidèles aux exigences permanentes de la sécurité philosophique. C’est ce que Benoit XIV a voulu conquérir il y a cent cinquante ans en énonçant, dans son traité De la canonisation des serviteurs de Dieu, lib. IV, p. I, cap. viii, § 2, les règles du discernement des guérisons miraculeuses : ces règles sont éternelles, et les médecins de tous les temps auraient pu y souscrire, Galien comme Lacnnee, Dioscoride comme Avicenne. Un petit nombre de i>rineipes clairs font plus qu’une multitude de faits discutables, même étonnants, non seulement pour l’honneur de notre foi qui veut être raisonnable, mais pour le progrès de la science qui cherche ses limites ; un seul caractère même caché, mais reconnu incompatible avec la nature, vaut mieux que la résurrection d’un membre amputé ou d’un cadavre entier, si nos sceptiques se contentent, pour expliquer ces faits, ou d’une erreur, ou d’un mensonge des témoins, ou, quand ils en sont témoins, d’une analogie, d’un prétendu retour aneestral aux ressources des animaux inférieurs, ou enfin d’une échappatoire comme en a toujours la mauvaise foi pour dire, par exemple, qu’on ignore ce que c’est que lavieetqu’on ne sait jamais s’il y a eu mort véritable, ni, par conséquent, résurrection.

Cherchons donc les raisons philosophiques sur lesquelles on peut asseoirunedéfinition des limitesde la nature. Nousavonsdit Aéjà(oir Ilet’ue de philosophie, i"^ décembre 191 1) que, tant que le monde sera monde, il nous semble que la vie, la santé, la mal.idie et la mort seront toujours justiciables des définitions suivantes : la vie est l’harmonie spontanée d’énergies coordonnées pour une seule fin, la santé consiste dans le maintien de cette unité, la maladie est l’apparition du multiple incoordonné dans l’unité, la mortestle triomphe définitif du multiple sur l’un. C’est de la métaphysique, il est vrai, en partie du moins ; mais, sans cette part de métaphysique, on ne donne des termes susénoncés que des tautologies, plus dignes de La Palisse que du génie de Biehat ou de la science de M. Bouchard, à qui nouslesdevons néanmoins (voirRoGBn, Introd. à l’étude de la médecine, p. 3) : « la vie est l’ensemble des forces qui résistent àla mort, etc. » ou autres semblables.

La maladie étant définie par l’apparition du multiple dans l’un ou, en d’autres termes, par la désagrégation de l’unité vitale, la guérison est a priori la restauration de cette unité. Nous connaissons, à vrai I dire, quelques processus de cette restauration qui, bien que scientifiquement étudiés, ont la valeur de