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GRECS (RELIGION DES)

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gner la religion. Protagoras proclamait nettement l’agnosticisme : « Sur les dieux, je ne pviis rien dire, ni qu’ils sont, ni qu’ils ne sont pas. » Gorgias posait des principes qui conduisaient au pur nihilisme :

« Il n’y a rien ; s’il y a quelque chose, ce quelque

chose est inconnaissable. »

La poésie, qui avait puissamment contribué à implanter les légendes mytiiologiques, à concilier les diverses traditions, devenait dans les pièces d’EuRipiDE l’auxiliaire de la sophistique. Tantùt le poète attaque les légendes divines ou héroïques qui lui paraissent contredire le bon sens ou la morale, tantôt il laisse planer sur toute la religion un scepticisme vague. Rien de plus flottant que sa conception de Zeus, le dieu principal de la religion hellénique. Parfois, il semble le confondre avec la nécessité, ou l’intelligence des mortels, ou l’éther lumineux et inlîni qui enveloppe le monde,.ailleurs, un fragment de Mélanippe la philosophe insinue l’agnosticisme : ce pourrait bien être le fond de sa pensée.

Ces attaques produisirent dans les esprits grecs des réactions diverses, qu’il est intéressant de noter. Les uns, comme Pindare, restent attachés à la mythologie traditionnelle, tout en essajant de fortifier ses points faibles. Certains mythes déplaisants sont supprimés, l’idéal de perfection di ine se purilie, se spirilualise. Les idées sur la vie future sont en progrès, la sanction dans l’autre monde apparaît, bien qu’imparfaite. Eschyle, lui aussi, reste profondément religieux. Il ne se lasse pas d’exalter Zeus, « le Seigneur desSeigneurs, bienheureux entre tous les bienheureux, puissant au-dessus de tous les puissants ». Pourtant si l’on songe au vers célèbre de Pindare :

« Qu’est Dieu ? Que n est-il pas ? C’est le Tout » 

(fragment 117), et au fragment eschylien des Hcliades :

« Zeus est l’éther, Zeus est la terre, Zeus est le

Ciel, Zeus est le Tout et encore au-dessus du Tout » (fragment 3^5), on croit entrevoir dans l’esprit des deux poètes un courant profond, qui les entraîne au panthéisme naturaliste, on pressent le monisme stoïcien. D’autres gardaient une sérénité que ne traversait aucun nuage. Sophocle, « l’heureux Sophocle « , nous apparaît comme le type de ces âmes, tranquillement reposées dans les doctrines héréditaires. Et sans doute, dans le peuple d’.thènes, le nombre de ces esprits conliants était grand au v’siècle. Cette foule permet bien à Aristoi-hane de rire de ses dieux, elle n’admet pas qu’on les nie. Les passions religieuses et politiques restent facilement inllaniniablcs contre quiconque est réputé novateur. En 415, un décret mettait à prix la tête de Diagoras, pour cause d’athéisme ; en 411, Protagoras était banni d’Athènes et ses livres brûlés sur l’agora ; en 3g’_),.SocRATE était condamné à boire la ciguo.

Aussi élait-ec jeu moins dangereux d’allier à la libre spéculation philosophique le respect des usages établis. Ainsi lit Platon, qui conserva le culte et même les oracles dans sa cite idéale, ainsi tirent plus tard Epicure, les stoïciens, et même les sceptiques, tels que Carnéaoe, sans se soucier de l’illogisme de leur conduite. Le culte restait la grande force de la religion grecque, l’un des signes essentiels du loyalisme envers l’Etat ; de ses rites et de ses fêtes, il enserrait toute la vie de l’individu.

l. La fin de la religion grecque. — Avec les conquêtes d’.Vlexandre le Grand, la religion grecque pénètre plus avant en Asie et en Egypte. Les dieux grecs l’ureul accueillis avec une spéciale faveur à Alexandrie. Leur culte s’y accrut de celui d’.Vlexandre et des Ptoléinées, rois et reines, divinisés. La nouvelle dynastie héritait ainsi des hommages, rendus jadis aux Pharaons. Les Séleucides à Antioche,

les Atlalides à Pergame suivirent cet exemple. Ces apothéoses se faisaient d’autant mieux accepter, qu’elles cadraient avec des théories, très répandues dans le monde érudit : Evhiïmèrb avait appris aux savants alexandrins que tous les dieux, à commencer par Ouranos, Ivronos et Zeus, n’étaient que des mortels divinisés. Dès lors, déitier les rois « sauveurs* et bienfaiteurs » pouvait passer pour un acte de traditionalisme.

A son tour, la Grèce s’ouvrait aux influences étrangères. Avant la conquête macédonienne, les dieux étaient étroitement liés à la vie de la cité, de la ro/i ; , dont ils étaient les fondateurs ou les protecteurs. La cité finissant, le culte ])erd de son exclusivisme. Les dieux égyptiens, jusqu’alors honorés dans les ports grecs par quelques associations privées (ùix :  ; t, cîKvîi), composées en majeure partie d’étrangers, recrutèrent de nombreux adeptes dans le monde hellénique. Les adorateurs d’isis et de Sérapis se multiplièrent dans les îles de la mer Egée, eu Grèce et en Sicile, d’où la propagande égyptienne gagna l’Italie. Les autres cultes orientaux eurent moins de succès, n parce que les mystères helléniques, surtout | ceux d’Eleusis, enseignaient des doctrines analogues, et sullisaient à la satisfaction des besoinsreligieux ». (CuMONT, op. cit., p. 32^, note 23.) Les Grecs, qui avaient accueilli Cybèle dès le v* siècle, ne purent se défaire de leur répulsion pour son parèdre équivoque, le dieu phrygien, ltis ; la déesse syrienne Alargatis ne trouva d’adorateurs fervents cjue parmi les marchands de Délos. Quant à Mithra, si puissant dans les provinces latines à l’époque impériale, il ne réussit pas à entamer le domaine hellénique ; tout au plus signale-t-on une dédicace tardive trouvée au Pirée, et quelques mithréums sur les côtes de Phénicie et d’Egypte, à.radus, Sidon et Alexandrie. Cette rareté des monuments mithriaques est sans doute à expliquer par l’absence de soldats romains sur le territoire grec, et aussi par ce fait que la i>opulation servile y était indigène.

Mais, en même temps qu’elle gagne en extension, la religion perd en sérieux et en profondeur. Suivant la remarque de J. Iværst (Gescliichle des hellenistischen Zeitalters, 11’Bd., Das ll’esen des Heltenismiis, Leipzig, 190g, p. 207), les dieux grecs sont moins les dieux d’un pays, d’un territoire, que les dieux d’un peuple, d’un groupement. Ils vivent dans la cité qui les honore. La cité se dissolvant et les tendances individualistes venant à triompher, les dieux voient s’affaiblir leur vie personnelle, cessent de jouer leur rôle historique. Le culte ofliciel subsiste, il est vrai, avec ses l’êtes, souvent magniti(pies, mais comment pourrait-il exercer une profonde influence sur la vie des individus, alors que l’Etat qu’il personnifie est souvent si inqiuissant ? Il se maintient à titre de décor qui encadre agréablement la vie ; ce n’est plus la source intime et profonde du sentiment religieux. On voit s’accentuer le divorce de la vie religieuse et de la vie civile : seul, plus tard, le culte des empereurs continuera à les unir étroitement. Au culte public et aux organisations ollicielles se juxtaposent de nombreuses associations privées, où les femmes et les esclaves tiennent une place importante.

Dans toutes ces transformations et révolutions, qui marquèrent le règne d’Alexandre et des diado 1. Ce titre de « sauveur » implique d’ailleurs une conception toute diiTércnle de la conception chrétienne. Datis la religion royale ou impériale, « le jwrïi’a n’est po s celui qui sauve l’Ame, qui la délivre du péché, du mal, dn démon : c’est celui qui sau%o ou qui protège la cité, le royaume, l’empire n. J. Lebheton. /.es origines dn dogme de îu TiiniU, Paris, 1910, p. IG.