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GNOSE

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et s’explique aisément par l’évolution de la pensée juive soiis l’excitation de la curiosité philosophique des Grecs. Il sullit, pour s’en rendre compte, de se rappeler les points essentiels de la doctrine de Philon : Dieu, être inûni, au-dessus, non seulement de toute imperfection, mais de toute perfection ou même de toute qualification. En dehors de lui et ne procédant pas de lui, la matière, sur laquelle il agit par l’intermédiaire de puissances multiples, dont le Verbe est la principale. Ces puissances, et le Verlie lui-même, sont présentées, tantôt comme immanentes à Dieu, tantôt comme deshypostases distinctes ; elles correspondent soit aux idées de Platon, soit aux causes efficaces des Stoïciens, soit encore aux anges de la Bible ou aux démons (ôyiyws ;) des Grecs. Par elles le monde a été organisé avec l’élément matériel préexistant. Certaines d’entre elles se trouvent emprisonnées dans des corps humains, et c’est de l’incoliérence entre leur nature divine et leur enveloppe sensible que naît le conflit moral entre le devoir et le vouloir. Triompher des influences que le corps exerce sur l’esprit, tel est le but de la vie morale. Le principal moyen est l’ascèse ; la science est utile aussi et l’activité bien réglée, avec le secours de Dieu. Ainsi l’àme se rapproche de Dieu ; dans l’autre vie elle le rejoindra ; même en ce monde, il peut lui être donné de le posséder momentanément par l’extase.

Ainsi, Dieu est loin du monde et ne l’atteint que par des intermédiaires procédant de lui ; certains éléments divins vivent dans l’humanité, comme emprisonnés dans la matière, dont ils cherchent à se dégager.

C’est le fond même du gnosticisme. fl n’y a qu’à introduire la personne de Jésus et son action rédemptrice, tendant à ramener vers Dieu les parcelles divines égarées ici-bas : avec cette addition on obtient exactement les doctrines combattues par les plus anciens écrivains chrétiens. Cependant, pour arriver à la gnose proprement dite, il reste encore un pas à faire : l’antagonisme entre Dieu et la matière doit être transporté dans le personnel divin lui-même ; le créateur doit être présenté comme l’ennemi, plus ou moins déclaré, du Dieu suprême, et, dans l’œuvre du salut, comme l’adversaire de la rédemption.

Pour en arriver là, il fallait rompre ouvertement avec la tradition religieuse d’Israél. Ni Philon, si respectueux de sa religion, ni les docteurs de la Loi dont les apôtres combattaient les « fables judaïques », ne pouvaient avoir l’idée de ranger parmi les esprits mauvais le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.

I. Simon et la gnose vulgaire. —Maison peut concevoir un milieu où l’éducation l)il)lique fût assez répandue pour servir de support à la spéculation théologiqiie, sans que cependant on y fût embarrassé de scrupules à l’égard du Dieu de Jérusalem. Ce milieu n’est pas idéal ; il a réellement existé : c’est le monde des Samaritains. Aussi bien, la tradition des Pères de l’Eglise, quand ils exposent l’histoire des hérésies, concorde-t-elle à fixer leur point de départ à Samarie et à indiquer Simon de Gitton, dit le Magicien, comme leur premier auteur. Ceci, bien entendu, doit être accepté avec quelque réserve. Ni Ebion, ni Cérinthe ne peuvent être considérés comme des descendants spirituels de Simon.

C’est donc à Samarie, la vieille rivale de Jérusalem, que la gnose proprement dite fait sa première apparition dans l’histoire chrétienne. Simon dogmatisait déjà en ce pays, qui était le sien, quand Philippe {.ici., viii), y vint porter l’Evangile : « Il exerçait

« la magie et détournait le peuple de Samarie, prctendant

être quelqu’un de grand ; petits et grands,

« tous s’attachaient à lui, disant : « Celui-ci est la
« Puissance de Dieu, la Grande Puissance. » Son atti

tude était comme un décalque samaritain de celle de Jésus en Galilée et en Judée. Suivant la tradition des Actes, il se rallia au christianisme prêché par Philippe, puis par les apôtres Pierre et Jean, et reçut le baptême. Emerveillé des effets de l’inspiration chez les néophytes, il s’efi’orça d’obtenir que les apôtres lui conférassent, à prix d’argent, le pouvoir de faire de tels miracles. Cette prétention fut écartée. Toutefois, à Samarie, où il était sur son terrain, il lui fut donné de prévaloir contre l’Esprit-Saint. Saint Ji’.stix, qui était du même pays, rapporte (ApoL, I, 26, 56 ; Dial. 120) que, de son temps, presque tous les Samaritains honoraient Simon comme un dieu, comme le dieu suprême, supérieur à toutes les puissances

(0e ; v Ûttsckkw 7TKr< ; v.py ?, : y-y.’t èÇ^jffia ; /%( Oyjv.^t’^Ç). En

même temps que lui, on adorait sa Pensée (Ewoia), incarnée comme lui, en une femme appelée Hélène. Saint Iré.née donne plus de détails sur la doctrine simonienne (Ilær., I, 28). « Il y a, dit-il, une Puissance suprême, suhlimissinia Virtiis, laquelle a un correspondant féminin, sa Pensée (=-Vvîic<).Sorliede son Père, la Pensée créa les anges, qui, à leur toiu-, créèrent le monde. Mais comme ils ne voulaient pas paraître ce qu’ils étaient, c’est-à-dire des créatures d’Ennoia, ils la retinrent, la maîtrisèrent, l’enfermèrent dans un corps féminin, puis la firent transmigrer de femme en femme. Elle passa notamment dans le corps d’Hélène, épouse de Ménélas ; enfin elle devint prostituée à Tyr. La Puissance suprême s’est manifestée aux Juifs comme Fils, en Jésus ; à Samarie comme Père, en Simon ; dans les autres pays, comme Saint-Esprit. » L’intervention de Dieu dans le monde est expliquée, d’abord par la nécessité de délivrer Ennoia, puis par la mauvaise administration des anges. Les prophètes ont été inspirés par eux : il n’y a pas à s’en occuper. Ceux qui croient en Simon peuvent, en pratiquant la magie, triompher des esprits maîtres du monde. Quant aux actions, elles sont indilTérenles ; c’est la faveur de Dieu qui sauve ; la Loi, œuvre des anges, n’est qu’un instrument de servitude. Irénée rapporte encore que Simon et Hélène étaient, dans la secte, l’objet d’honneurs divins, qu’on leur élevait des statues où ils étaient figurés en Jupiter et en Minerve.

En ce qui regarde la christologîe, Simon enseignait que la Puissance suprême, pour n’être pas reconnue pendant son voyage en ce monde, avait pris successivement les apparences de différentes classes d’anges, puis la forme humaine en Jésus. Ainsi, parmi les hommes il avait paru être homme, sans l’être en réalité ; il s’était donné en Judée le semblant de la souffrance, sans souffrir véritablement.

Dans cet exposé il peut se faire que certains traits correspondent à un développement de la doctrine après la première fondation de la secte. Mais l’ensemble se rattache bien à ce que dit Justin et à ce que nous lisons dans les Actes. Cette préoccupation de la Bible, alors même qu’on en méconnaît l’autorité, ce mélange d’idées dualistes et de rites helléniques, cette pratique de la magie, tout cela convient bien au milieu de Samarie, terre bénie du syncrétisme religieux. La gnose, qui s’épanouira plus complètement ailleurs, laisse déjà voir ici ses données caractéristiques ; le Dieu abstrait, le monde œuvre d’êtres célestes inférieurs, la divinité partiellement déchue dans l’humanité, la rédemption qui l’en dégage. Il n’est pas jusqu’aux couples (syzygies) du système valentinien dont on ne trouve ici, dans la suprême Puissance et la première Pensée (Simon, Hélène), comme une première esquisse.

l’n trait notable, c’est que l’initiateur de ce mouvement religieux se présente comme une incarnation divine. Ceci est évidemment imité de l’Evangile.