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GALLICANISME

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dit très nettement : une loi non acceptée n’a pas de force obligatoire, parce qu’elle serait nuisible et parce que le législateur, surtout le législateur ecclésiastique, à qui Notre-Seigneur a interdit d’exercer une domination tyrannique, n’est pas censé avoir eu dans ce cas l’intention d’obliger. La loi ecclésiastique, conclut-il, doit donc être reçue par l’Eglise, c’est-à-dire par ce corps formé des clercs et du peuple représenté par son prince. La loi, ainsi parfaite, est stable : il n’est pas à présimier qu’un pape, faisant dans un cas particulier un décret contraire aux lois et décrélales acceptées, veuille absolument y déroger ; ainsi, pour savoir comment se règlent chez nous les rapports des deux pouvoirs, doit-on s’en tenir à l’étude des précédents nos libertés ne sont pas autre chose que l’observation des lois acceptées. Cette conception bistorique et juridique déplut à Rome ; la Coiicordiafut proscrite parle S.-Oflice. Marca, nommé à l’évêché de Couserans, dut, pour obtenir ses bulles, signer deux rétractations où il adhérait à la doctrine romaine

« tanquam juri communi canonicu « et déclarait

que toute prérogative du roi de France, contraire à ce droit, était privilège apostolique I Les gallicans n’ont pas pardonné àMarca cette palinodie. Les jansénistes, dont il fut r.ndversaire, l’ont discrédité ; sa théorie n’a point été adoptée par les légistes parisiens, et son système — celui de Richelieu, qui, tout en maintenant les libertés acquises, les arrêtait dans leur développement devenu dangereux pour l’Eglise

— n’a pas inspiré la conduite de Louis XIV.

lo) Louis XIV, écrit M. ILvnot.ux (Introduction, p. cxi) aborda… les matières de religion avec cet esprit de gravité qui lui était naturel ; mais aussi avec la vive persuasion de la sainteté et presque de l’infaillibilité de sa mission. De là la surprise qu’il manifeste dès les premières résistances, son entêtement, sa colère soudaine, ses violences ; assurément, ce qui lui paraissait le plus autorisé dans ses actes, c’était tout ce qui touchait à ces questions… //irt dans la conduite de J.ouis XIV quelque chose du poids et de la rigidité d’un système qui ne peut fléchir sansse rompre. Jl est le gallicanisme >iuint, agissant, militant, triomphant…

On ne fera pas ici le récit, qu’on trouve partout, des démêlés de Louis XIV avec les papes : ambassade de Créqui et all’aire des Corses, déclaration de la faculté de théologie en iG63, arrêt du Parlement et déclaration conforme du roi, défendant d enseigner une doctrine contraire, querelle de la Rkc.ale (voir ce mot), assemblée de 1O82, conflit au sujet des franchises de l’ambassade de Rome, appel au concile en 1688… (voir là-dessus les travaux un peu trop sévères pour Louis XIV de Ch. Gkrin, publiés soit à part. Recherches historiques sur rassemblée… de 168’J, 2" édition, Paris, 1 8^0. Louis XIV et le S.-Siége, Paris, 189^1, 2 vol., soit dans la lievue des questions historiques, t. Xll. WIU. l. XXV, XXVI, XXVIT, XXVIII, XXX, XXXIIl, XXXVI, XXXIX). On cherchera plutôt à délinir le système qu’incarnait le roi. L’explication de sa conduite est un peu courte quand elle se borne à parler de son orgueil, des nécessités de sa politique extérieure, dont le pape ne veut pas se faire l’instrument, des besoins de ses linances (qui inspirèrent cependant une part fâcheuse de sa législation ecclésiastique : création d’ollices, édit sur l’argenterie des églises, etc.), ou de l’idée assez commune dans son entourage et que le roi exprinu- lui-même dans ses mémoires, du droit de propriété royal sur tous les biens des Français, particulièrement des ecclésiastiques.

Le système de Louis XIV n’a jamais clé mieux exposé que par un des collaborateurs les plus éminents

de Colbert (par celui qui rédigea l’ordonnance de la marine sur laquelle nous vivons encore), Roland LE Vayer de Boutigny. Au plus fort de sa querelle avec Innocent XI, Loris XIV demanda à ce maître des requêtes, — moins pour lui-même évidemment que pour le public, — de « lui faire connaître avec précision toute l’étendue des prérogatives de sa couronne » en ce qui concerne l’administration de l’Eglise gallicane et sur quoi elles pouvaient être appuyées ». Les u Dissertations sur l’autorité du roi en matière deliégale » coururent manuscrites par toute la F’rance ; il y en a des copies dans toutes nos bibliothèques ; en 1682 on en fit à Cologne ( ??) une édition anonyme et subreptice que Le Va}er corrigeait encore quand il mourut en 1685. Reproduit depuis sous dillérents noms, sous celui de Talon en particulier, l’ouvrage ne pai-ut dans la forme définitivement arrêtée par l’auteur et avec son vrai nom. qu’en 1^53 (Traité de l’autorité des rois touchant l’administration de Z’£g/(.se, Londres ( ?) 40 + 512 pp. in- 16). C’est bien la synthèse la plus achevée du système gallican et le livre le plus représentatif de sa méthode.

L’Eglise gallicane, dit l’avant-propos, est en même temps : d’abord par relation avec l’Etat dont elle est unmembreo un corps ^o/i/içHe, ensemble de peuples unis par les mêmes lois et sous un même chef temporel [le roi| pour contribuer ensemble à la conservation de l’Etat et à la tranquillité publicpie », et ensuite o par relation au Fils de Dieu dont elle est l’épouse », « un corps mystique, assemblée de fidèles unis par une même foi et sous un chef spirituel |le pape], pour travailler ensemble à la gloire de Dieu, et chacun à son salut particulier ».

On le voit, la vieille conception du moyen âge est encore vivante, mais nationalisée : une seule société avec deux gouvernements.

Comment déterminer les relations des deux chefs’? Une première partie rappelle dans leur ordre chronologique les « exemples » du passé. En la lisant, Louis XIV se persuadait que, comparée à celle de ses prédécesseurs, son ingérence en matière ecclésiastique était fort discrète : c’est la réponse qu’il opposa toujours aux reproches des papes.

Cependant, ajoute Le Vayer, comme les faits ne créent pas le droit, il faut juger de la légitimité des exemples sur des principes admis par les deux puissances. La seconde partie du mémoire est donc le commentaire et le développement d’un texte du VI" concile de Paris(829) passé dans le Décret de Gratien : le maître des requêtes en tire une doctrine générale parfaitement liée sur le partage des deux puissances dans la conduite et l’administration de l’Eglise, et des applications de détail extrêmement minutieuses sur le rôle du roi en ce qui touche l’enseignement de la doctrine, l’exercice du culte, le gouvernement des personnes et des biens ecclésiastiques : toutes les pratiques de l’Ancien régime, même les plus étranges, y sont justifiées et rattachées au principe général jadis formulé par les évêques carolingiens.

Seul responsable devant Dieu des intérêts tenqjorels du corps politique, le roi y pourvoit seul, comme le pape pourvoit seul aux Intérêts purement spirituels. Quand les intérêts ne sont ni purement spirituels, ni purement temporels, mais mixtes, l’intérêt temporel doit s’elïaeer devant le s])irituel toutes les fois qu’il s’agit d’une chose nécessaire au salut ; s’il s’agit au contraire d’un point de perfection ou de conseil, on verra de quel côté il y aurait plus grand dommage à céder. Qui en sera juge ? Ce ne peut être le pape ; on a vu sous Bonifacc VllI, dit notre auteur, comment, sous prétexte de spiritualité connexe, le